Chapitre 1

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« Je serai à la gare à 11h. Bonne route. Bisous ma puce. Je t’aime. »

Emma sourit malgré elle. L’idée de retourner vivre chez ses parents lui laissait un arrière goût amer au fond de la gorge mais c’était sans doute la meilleure solution. Elle devait se rendre à l’évidence, plus rien ne la retenait à Paris. Elle y était descendue sur un coup de tête, cinq ans plus tôt. Une envie soudaine d’indépendance, de quitter les terres de Flandre et sa campagne natale pour se mêler au grand monde. Pour oublier aussi.

Paris s’était imposée comme destination de choix. Emma se voyait déjà fouler les rues aux côtés de jeunes gens chics et insouciants. Des filles et des garçons de son âge qui, comme elle, voulaient croquer la vie à pleines dents. Elle entendait leurs rires couvrir les bruits des voitures au sortir d’un bars à cocktails et résonner jusque tard dans la nuit. Elle imaginait parfaitement sa silhouette et celle de ses nouvelles amies, perchées sur des hauts talons, se refléter dans les vitrines des boutiques de luxe. Sûre que sa place se trouvait là-bas, pas au fin fond de ce trou perdu qu’elle habitait depuis qu’elle était gosse. Quel avenir avait-elle ici ?

Elle avait alors sauté dans le premier train et s’était retrouvée dans une chambre de bonne qu’une amie d’une amie de sa mère louait à Saint-Mandé pour moins de six-cents euros par mois. « Une aubaine pour le secteur » avait précisé la propriétaire qui lui avait même dégoté un CDD dans une bijouterie de luxe qu’une amie d’une de ses amies tenait à quelques pas des Champs-Élysées.

Paris ! La ville-lumière, les boutiques de luxe, la Tour-Eiffel. C’était la belle version de son rêve. En réalité, Emma avait eu beaucoup de mal à se faire à cette grande ville qui semblait l’avaler comme le misérable insecte qu’elle représentait au milieu de cette gigantesque fourmilière. La face cachée de sa vie parisienne c’était des ampoules aux pieds, un salaire à moitié grignoté par son loyer et une solitude écrasante.

Joviale et sociable, elle n’avait aucun mal à engager les conversations ni à s’entourer de beau monde mais les amies supposées ne restaient que de vagues connaissances et les histoires du soir, de simples histoires sans lendemain.

Emma ne laissait jamais rien paraître lorsque sa mère lui téléphonait. Elle aurait préféré mourir plutôt que d’avouer que sa vie dans le nord lui manquait. Alors, elle travestissait la vérité, s’inventait de vraies amies, l’une brune, l’autre rousse - toutes les deux évidemment jolies - avec qui elle sortait dans des endroits branchés. « Faudra que je t’y emmène un jour ! » avait-elle décrété sur un ton si enthousiaste qu’à ce moment précis, le mensonge ne semblait même pas en être un. Puis, lorsqu’elle raccrochait, elle pleurait. Pour évacuer ses fragments de rêves brisés. Ses regrets aussi.

Sa rencontre avec Loïc avait tout changé.

« T’es qu’une petite conne » c’est comme ça qu’il l’avait rembarrée lorsqu’elle était venue se tortiller près de lui. Elle l’avait aperçu plusieurs soirs d’affilée dans le bar qu’elle fréquentait. Il était plutôt discret mais elle avait toute de même noté les coups d’œil qu’il lui jetait. Sûre d’elle, elle s’était finalement approchée de lui et lui avait payé un verre. Elle lui avait parlé de son job, de l’appart’ qu’elle se paierait « bientôt », de sa vie parisienne qu’elle « kiffait grave ». Elle avait reçu une bonne douche froide sur la tête lorsqu’il l’avait traité de conne alors même qu’elle lui proposait de finir la soirée avec elle. Emma ne s’était jamais sentie aussi vexée que ce soir là.

Ils s’étaient revus de manière fortuite à l’anniversaire d’un ami d’une amie d’une collègue d’Emma auquel ils étaient conviés tous les deux. Elle l’avait esquivé toute la soirée, pourtant, alors qu’elle fumait sur le trottoir, il était venu lui parler. Emma l’avait pourri comme la sale petite conne qu’elle était, mais avant de rebrousser chemin, Loïc lui avait lancé : « Dommage que tu ne veuilles pas te montrer telle que tu es vraiment. »

Cette phrase tourbillonnait encore dans sa tête, cinq ans plus tard, aussi limpide qu’à l’époque. Emma chassa du bout du doigt les larmes qui pointèrent au coin de ses yeux. Loïc l’avait vue elle, malgré les artifices dont elle usait pour s’en détourner. Elle avait changé pour lui, s’était retrouvée grâce à lui.

Le cœur serré, elle enfouit dans sa valise les derniers vêtements accrochés de son côté de la penderie. L’autre était vide depuis six mois déjà. Il lui avait fallu tout ce temps pour se décider. Quitter cet appartement, c’était quitter Loïc pour de bon. Malgré les protestations de sa mère, Emma avait voulu attendre. Pour se prouver qu’elle était capable de faire face seule. Seulement, les journées s’étaient succédées, identiques les unes aux autres. Aussi sombres qu’une nuit sans étoiles. Aussi douloureuses qu’une lame plantée dans son ventre.

Rentrer au bercail signifiait renouer avec un passé qu’elle avait fui mais cela représentait surtout une occasion de s’extraire d’un présent qui la consumait à petits feux. Que valait-il mieux ? Mourir de honte ou de désespoir ?

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