Chapitre 2

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Le front appuyé contre la vitre du wagon, Emma laissait le paysage défiler devant ses yeux à une allure vertigineuse. Les yeux plissés et la mâchoire serrée, elle s’efforçait de contenir le nœud de sanglots qui venait de se former au creux de sa gorge. Les fragments de son histoire avec Loïc lui revenaient avec tant de force qu’elle se sentait coupable de partir. Coupable de rentrer.

La remarque que Loïc lui avait adressée lors de leur seconde rencontre l’avait déstabilisée. « Comme si tu savais qui je suis ! » lui avait-elle craché en retour. Il avait souri et l’avait fixée un instant avant de lui répondre qu’il avait vu, plusieurs soirs d’affilée, une jeune fille un peu perdue jouer nerveusement avec le bracelet autour de son poignet et murmurer des phrases pour elle en se ratatinant sur son siège. Emma s’était raidie. Elle détestait ce manque de confiance qui avait toujours fait son lit au creux d’elle et qu’elle s’évertuait à camoufler par un maquillage un peu trop prononcé et un anneau dans le nez.

Alors que Loïc continuait de l’observer, elle lui avait tourné le dos, furieuse de se sentir à ce point dénudée. Pour qui la prenait-il ? Une pauvre provinciale esseulée ? Un cas désespéré ? Des larmes de colère au bord des yeux, elle l’avait planté là et s’en était allée, faisant claquer ses talons sur les pavés.

Elle ferma les yeux et inspira longuement. Elle aurait donné n’importe quoi pour revenir en arrière, sentir de nouveau le regard de Loïc posé sur elle dans le seul but de percer sa carapace. Il lui avait tant offert… bien plus que des mots, une liberté de s’aimer telle qu’elle était.

Soudain, une vague de colère la prit par surprise et Emma sentit la boule au fond de sa gorge remonter, plus acide que jamais. Quand les souvenirs se montraient trop douloureux, quelque chose dans son corps – l’autodéfense ? - semblait se mettre en alerte et lui faisait plus mal encore. D’abord une douleur abdominale, semblable à une crampe, qui remontait lentement le long de son œsophage jusqu’à lui brûler la gorge. Pendant ce temps, son esprit se chargeait de lui remémorer d’autres souvenirs, plus récents, moins larmoyants. Des fragments d’histoire qu’Emma souhaitait plus que jamais oublier mais, qui, en bons soldats, combattaient avec force son apitoiement en lui rappelant une autre facette de Loïc. N’avait-il pas décider tout seul de mettre un terme à leur histoire ? S’était-il soucier un seul instant des conséquences pour Emma ? S’était-il seulement souvenu des promesses qu’ils s’étaient faits ?

Emma serra les dents. Le ressentiment avait pris le dessus, et déjà la boule de lave coincée dans sa gorge dégonflait. Ses larmes ne couleraient pas aujourd’hui, elle pouvait être fière. Trente-quatre jours sans larmes. Trente-quatre jours contre cent-quarante-six passés à pleurer le départ d’un homme qui finalement n’avait pas su l’aimer jusqu’au bout.

Une voix résonna dans le train, rappelant aux passagers l’horaire de leur arrivée prochaine. Quelques dizaines de kilomètres et autant de poignées de minutes la séparaient encore du Nord. De nouveaux souvenirs l’assaillirent : des visages autrefois familiers, à demi-effacés par les années. Qu’étaient-ils devenus ? Elle n’avait jamais posé de questions à sa mère, bien trop fière pour ça. Les croiserait-elle ? Son cœur palpita un temps plus fort. Instinctivement, Emma posa ses doigts sur les mailles de son bracelet et les tritura. Son retour signait l’échec cuisant de cette volonté d’indépendance qu’elle était allée chercher dans la capitale. Elle rentrait, plus seule que jamais et s’imaginait déjà leurs messes-basses et leurs ricanements. « Bien fait pour elle ! » Comment ferait-elle pour gérer ça ? Pour se montrer forte et avancer le dos bien droit ?

Cette fois, la voix annonça l’arrivée du train en gare de Lille Europe. Quelques pas à pied pour rejoindre Lille-Flandres et monter dans un TER ne lui auraient pas fait de mal mais sa mère avait insisté pour venir la chercher sur ce quai. Que craignait-elle ? Qu’elle change d’avis entre deux gares ?

Emma attrapa ses sacs et suivit le troupeau de voyageurs qui s’avançaient vers les portes. Au milieu de la foule qui allait et venait, Mauricette, perchée sur la pointe des pieds, cherchait des yeux la chevelure rebelle de sa fille. Dans la famille de Mauricette, les cheveux bouclés relevaient d’un pur hasard et chaque grossesse donnait lieu à toutes sortes de spéculations. Emma avait hérité des cheveux de Mamie Thé alors même que Sarah, sa sœur, et Mauricette possédaient des cheveux aussi raides que des baguettes. Plus jeune, Emma s’échinait à les attacher ou à les lisser au grand dam de sa mère qui voyait dans ses boucles d’or un trésor de beauté inestimable.

— Oh ma fille, comme tu es belle !

Emma laissa sa mère s’approcher d’elle, les mains en éventail autour de son visage mais ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel, pour le plus grand plaisir de Bertrand.

— Salut Emma, ça fait plaisir de te retrouver, tu as bonne mine.

Emma vint se blottir dans les bras de son beau-père. Il lui avait fallu plusieurs années pour l’accepter. Elle lui en avait fait voir de toutes les couleurs, pour tester sa patience, sa persévérance, son amour pour sa mère, sa tendresse pour elle. Bertrand n’avait jamais cillé, avait aimé la mère avec passion et accepté les filles sans conditions. Puis, lorsqu’ Emma avait compris qu’elle se trompait de combat, que l’homme qui méritait tout son ressentiment s’était envolé vers d’autres contrées, oubliant jusqu’à son existence et celui de sa sœur, alors qu’un autre s’évertuait à leur offrir une vie de famille sereine, Emma avait capitulé et creusé une toute petite place dans son cœur pour Bertrand.

L’odeur musquée de son parfum l’ancra définitivement dans sa nouvelle réalité. Entre sa mère et son beau-père, Emma prit conscience du besoin viscéral qu’elle ressentait, aujourd’hui plus que jamais, d’être entourée de ses parents.

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