Chapitre 1 (PDV Prométhéa)

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La porte se ferme sur Epiméthéus. Me voilà seule avec Quentin et Miss Isis. Je n’arrive pas à comprendre comment ce jouvenceau a pu arriver jusqu’ici. La prof a l’air de le connaître. Elle n’a rien dit quand il s’est installé. Elle l’a même laissé en résoudre une équation pour laquelle j’ai été dans l’erreur. Ce qui n’étais jamais arrivé. Qu’est ce qui peut les lier ?

- Ne tardons pas, nous avons quand même un peu de chemin à faire ! dit Isis.

- Je me lève et me tourne vers la porte pour m’y diriger.

- Nous passerons par un autre chemin aujourd’hui, ajouta-t-elle.

Isis se tourne vers le tableau noir rempli des caractères écrits par Quentin. Elle prend une craie et commence à esquisser quelque chose. Au fur et à mesure des traits on voit apparaître un oiseau. Elle lui donne des ailes en point, des serres au bout des doigts, un bec crochu… Le dessin est terminé et je crois reconnaître un faucon. Les écritures du tableau s’illuminent de bleu. Les écritures se déplacent et fusionnent pour former des courbes dirigés vers le faucon. L’oiseau s’illumine et commence à battre des ailes. Il se dirige vers le milieu du tableau, le lignes ondulent au tour de lui pour former un tympan. Les traits lumineux métamorphosent le tableau en portail. A la vue de ça je sursaute d’incrédulité. Rien ne peut expliquer ceci de manière rationnelle et pourtant j’en suis témoin. Le faucon se mets de dos et s’envole dans le mur. Au fur et à mesure une porte en bois se forme. Isis tourne la poignée. Le faucon se trouve sur un mur derrière la porte et des traits lumineux forment un couloir. Le rapace s’envole dans ce corridor lumineux qui progressivement se matérialise. Je n’en crois pas mes yeux. Un tel prodige ne se peut pas ! Isis nous invite à l’y suivre. Le couloir est sombre avec l’oiseau étincelant au bout. Nous nous y avançons. L’obscurité m’empêche de distinguer autre chose que les silhouettes de mes compagnons. A la poursuite de la lueur, nous marchons dans les ténèbres. Progressivement elle se fait plus forte, le bout du tunnel est proche. Nous entrons dans un immense amphithéâtre circulaire. Il y a au moins dix-mille places presque remplies. Le plafond forme un dôme au milieu duquel il y a une ouverture qui laisse passer la lumière sur l’arène centrale. Tout au centre il y a une estrade de pierres soutenue par 4 colonnes. Je suis émerveillée, mais en même temps je me sens perdue. Je regarde Isis d’un air interrogateur.

- Normalement chacun de nous doit voir sa place scintiller, rassura-t-elle.

Nous sommes sur une passerelle en pierre avec au bout une statue de faucon. Je me sépare de mes compagnons à la recherche de ma place. J’observe l’énorme salle. Il y a quatre passerelles qui abordent le haut des tribunes, quatre galeries qui arrivent sur leur mi-hauteur et quatre tunnels qui débouchent à leur base. Au bout de chacun de ces passages il y a une statue d’animal. Je vois dans le sens des aiguilles d’une montre à partir du Faucon : un scorpion, un ours, un paon, un dauphin, un taureau, un cygne, un serpent, un lion, un corbeau, une tortue et un cheval. Je vois la lumière scintiller. Je descends les escaliers. Ma place se trouve entre la passerelle du faucon et la galerie du cheval. Je suis à cinq rangées derrière la tribune du faucon. Je rejoins ma place. Juste à côté de mon fauteuil, un grand homme métis qui porte une cape, allonge ses jambes sur mon passage.

- Excusez-moi, vous permettez que je passe ? demandais-je.

- Bien-sûr, c’est votre place ? répliqua l’homme d’un ton nonchalant.

- Merci, dis-je en me faufilant vers mon siège.

- C’est la première fois que je vous vois ici, constata-t-il.

- Car c’est la première fois que je me rends ici, répondis-je sèchement.

- Je ne vois pas ce que ça a de si extraordinaire, que de rencontrer un étranger à une telle occasion. Je me tourne vers mon autre voisine pour qu’il ne me parle plus.

- Ça explique tout, insista-t-il.

- Je me tais et fait mine de ne pas l’entendre.

- Vous venez du faucon ou du cheval ? continua-t-il.

- Que savez-vous à leurs sujets ? m’étonnais-je.

- Je croyais que je vous dérangeais, souriait-il.

- C’est-à-dire que je suis tellement sidérée par tout ce que je vois, que parler me semble dérisoire, dis-je en rougissant.

- Ce sont bien là, des paroles de faucon, déduisit-il.

- Cela ne répond toujours pas à ma question, protestais-je.

- Le faucon symbolise une haute intelligence. Il a également comme caractéristique d’être persévérant et précis. J’imagine que pour un tel être, un tel endroit doit être saturant et déconcertant, expliqua-t-il.

- Je ne vois pas en quoi je suis concernée par le faucon, objectais-je.

- Laissez-moi vous éclairer alors sur les trésors que renferme ce lieu, proposa-t-il.

- Je ne sais plus quoi dire. Je ne suis pas venue ici pour faire la conversation. Où que je pose les yeux, de nouvelles questions me viennent à l’esprit. Je suis habituée à des lieux plus minimalistes.

- Vous êtes ici dans l’observatoire de Tourneppe qui à plusieurs fonctions. Tout d’abord il nous permet de porter un regard dans l’univers. L’ouverture du dôme se déplace sur toute sa surface. Ce qui permet de voir le ciel de différents points de vue. Les douze animaux représentent les constellations du zodiaque de Saulé, mais ils sont aussi les gardiens des accès à l’observatoire. La partie centrale de l’arène est l’adyton. C’est là que l’oracle est inspiré et professe, expliqua-t-il en guidant mon regard.

Je scrute les différents endroits qu’il me désigne. Pour la première fois je fais attention aux gens assis dans l’auditoire. Il y en a pour tous les gouts. Tous les styles vestimentaires sont disponibles allant de tenues simples et frustres au plus extravagantes. Certaines tenues semblent venues d’époques passées, alors que d’autres sont totalement futuristes. Je remarque aussi des gens venus d’autres contrées. Il y a les cléricaux d’Usas : des moines, des prêtres, des prophètes, des ermites, des ritualistes, … C’est également la première fois que je vois des citoyens de Gé. J’avais déjà entendu parler de leurs habits « vivants », mais jamais je n’aurai pu m’imaginer ce que je vois. Des végétaux qui poussent au tour de leurs corps pour les couvrir. D’autres sont habillés par une soie que des bombyx, araignées et autres arthropodes tissent. Un peu plus loin d’où je suis, je remarque un homme dont les membres sont robotisés. Il y en a même un peu partout dispersé : des hommes, des femmes ; à moitié humain, à moitié machine.

- Ce sont des citoyens d’Oxid. Grace à la technologie, ils arrivent à se soigner et à prolonger leurs vies. La rumeur court qu’il sont immortels, mais cela au prix de leur fertilité. Ils ne peuvent plus se reproduire, m’éclaira-t-il.

- Je trouve cela effrayant et totalement contre nature, m’indignais-je.

- Le jeune homme lève sa capuche, qui dévoile son visage. J’en blêmit. Son œil gauche est un globe mécanique doré avec au centre une iris de lumière rouge. Le jeune homme sourit.

- Je sais, ça fait souvent cet effet-là. Je me sens tout de même chanceux d’avoir pu bénéficier de cette technologie lorsque j’ai perdu mon œil. En plus de restaurer les fonctions de celui que j’ai perdu, cet œil me permet de voir le spectre électromagnétique au complet. Il possède également un système de navigation dans l’espace très pratique, précisa t’il.

- Désolée, je ne voulais pas vous manquer de respect, bredouillais-je.

- Je m’appelle Sángô, se présenta-t-il.

- Promethéa, enchantée, hésitais-je.

- Regardez la cérémonie commence, lâcha-t-il.

Une jeune femme parée d’une robe en soie bleu turquoise, venant de la porte du dauphin se dirige vers l’adyton. Elle porte un turban couvrant ses yeux d’où tombent des perles.

- Voici l’oracle qui entre en scène : Delphine Pythonisse, commenta-t-il.

Elle monte les marches de marbre et s’assied sur un trépied au milieu de l’adyton. Les lumières de la salle se tarissent. Le silence se fait. Je regarde mon horloge. Il ne reste plus que quelques secondes avant l’équinoxe de Saulé. L’ouverture du dôme laisse de plus en plus entrer les rayons de Saulé. La place de la prophétesse est inondée de lumière.

- Le jour naîtra où le vainqueur pleurera la perte de son ennemi. Le vaincu poussera son ultime râle. Un autre béni de Niké verra son sang mêlé à celui de son rival, qui lui verra tous ses biens réduits en cendres. Au crépuscule Erda sombrera dans le croissant stellaire, déclara-t-elle solennellement.

La salle reste silencieuse quelques instants, puis le remous se fait entendre de plus en plus fort. A la tribune du faucon, Isis se redresse. Elle écarte les mains en les levants et fait signe à la salle de baiser le volume. Le silence se fait. Je n’avais pas remarqué qu’elle était assise à la place d’honneur.

- Vous vous demander sans doute pourquoi votre professeur se retrouve là-bas, chuchota Sángô.

- Je ne me l’explique pas, avouais-je.

- Vous ne saviez pas que c’était la rectrice de la Tournaisscience ? murmura-t-il.

- C’est impossible, quand aurait-elle le temps ? Elle est toute la journée et chaque jour en classe avec nous, balbutiais-je.

- Là, c’est ce que croient tous disciples de la Tournaisscience et c’est l’un des plus grands mystères de Tritione, dit-il.

- Vous voulez dire qu’elle enseigne à tous ? m’abasourdis-je.

- Effectivement, admit-il.

- Comment vous en savez autant ? le questionnais-je.

- C’est mon métier, je suis diplomate, révéla-t-il.

Je n’en reviens pas de toutes ces choses que j’apprends aujourd’hui. Je ne sais pas ce qui est le plus sidérant entre ces divulgations et le présage funeste qui vient d’être fait. Mon attention se refocalise sur Isis, qui s’apprête à prendre la parole.

- Peuple d’Erda, cet augure lie notre destin à toutes et à tous. Plutôt que de céder à la panique, je propose que nous unissions nos forces pour découvrir son sens. Il existe justement la possibilité de trouver son interprétation au cœur de la Tournaisscience, annonça-Isis.

- Vous savez pourtant qu’il est formellement interdit aux érudits de faire appel aux forces métaphysiques pour obtenir de nouvelles connaissances, l’interrompit une femme assise à la tribune du serpent.

C’est une femme aux cheveux argentés, portant une robe blanche en dentelle en une tiare argentée ornée de cristaux incolores.

- Voilà, la reine Tiamat de Gé, souffla mon voisin.

- Si tel était le cas, vous rompriez les accords de paix avec Oxid, ajouta un humanoïde à la tribune du lion.

- Le président d’Oxid, je suppose ? fis-je à mon voisin.

- Oui, Set Pandemos est bien notre leader, confirma-t-il.

- Vous n’allez tout de même pas nous faire croire qu’Oxid respecte les accords. Vos assauts de braconniers sur la forêt Asophique n’en sont qu’un modeste exemple, gronda-Tiamat.

- Ne m’entrainez pas sur ce terrain, car on devrait parler de vos citoyens qui viennent clandestinement profiter de notre technologie, rétorqua-Set.

- Du calme mes amis, du calme ! Il est bien évidemment hors de question de briser les accords. D’ailleurs il est impossible d’accéder à certaines connaissances sans un représentant de chaque nation. Je propose donc que chaque nation choisisse un représentant, calma-Isis.

- Cela me parait raisonnable, approuva Delphine.

Set et Tiamat opinent de la tête.

- Ce sera la princesse Eve qui représentera Gé, déclara Tiamat.

Une jeune femme élégante se lève et quitte les gradins de l’ours. Elle porte un bustier en écorce. Le bas est fait de branchages qui forment une crinoline sur laquelle poussent des feuilles de chêne. On dirait un arbre renversé. Elle porte un collier en or, orné de pierres rouges. Se yeux sont bleus et sa chevelure est couleur blé. Quatre sièges se matérialisent au tour de l’oracle sur l’adyton. Eve s’installe sur celui qui fait face au cygne.

- Sángô Pandemos, annonça Set.

- Et oui, c’est mon père, me fit-il en me quittant.

Je n’avais pas remarqué qu’il était si grand. Le cyborg métisse s’éloigne de moi. Il s’assied dans le siège en face du corbeau. Comme c’est étrange pourquoi ne va-t-il pas prendre place en face du faucon ?

- Indra Ridvan représentera Usas, proclama Delphine.

C’est un grand homme au teint basané qui vient des gradins du paon. Il a les cheveux noirs et bouclés. Il porte un pantalon et une tunique en lin. Aux pieds il a des spartiates. En arrivant à l’adyton, Sángô et Indra se foudroient du regard. Indra s’assied en position du lotus sur son siège, tout en maintenant le contact oculaire avec le représentant d’Oxid. Il ne reste plus que le représentant de Tritione à choisir. Est-ce pour cela qu’Isis m’a fait venir ici ? C’est vrai que mes connaissances de la Tournaisscience sont grandes. Nous avons exploré les mécanismes de sa restructuration perpétuelle. Pourtant, je serai incapable de trouver mon chemin jusqu’à son cœur. Comment des étrangers n’ayant jamais pratiqué cet endroit pourraient m’aider à en traverser les méandres.

- Quentin Soren, appela Isis.

Je n’en crois pas mes oreilles ! Serait-ce le garçon, qui est apparu de nulle part ce matin. C’est absurde ma prof choisirait pour cette tâche quelqu’un de plus chevronné. Je regarde dans les gradins au tour de moi pour le repérer. Je ne le vois nulle part. Où peut-il être ? A quoi ça sert que je vienne ici, si c’est pour assister à cette mascarade ? J’en suis verte de rage. Je crois le reconnaître. Il vient de la tribune de la Tortue. Il ne porte plus les mêmes habits qu’en arrivant. Il porte une exomide avec une chlamyde. Où et comment s’est-il changé ? Il rejoint les autres représentants à l’adyton et s’assied sur le siège du faucon.

- C’est scandaleux qu’il nous représente, s’exclama un homme un peu plus loin.

- Comment le connaissez-vous ? demanda sa voisine.

- Il est arrivé ce matin dans notre classe de nulle part, expliqua-t-il.

- Comme c’est curieux, chez nous aussi il est apparu de nulle part, répliqua sa voisine.

- Comme c’est curieux, comme c’est bizarre, il est également venu dans notre classe, intervint un autre homme.

- Comme c’est curieux, comme c’est bizarre et quelle coïncidence, ce matin c’était pareil pour moi, ajouta encore une femme.

Partout dans l’auditoire on voyait des érudits réagir de la telle sorte. Ils se questionnent sur ce qui s’est exactement passé et chacun raconte une histoire similaire. Comment pouvait-il se retrouver à différents endroits de la Tournaisscience et qui plus est en même temps ? C’est l’ouvrage d’une vie, que de s’initier à une voie. Alors que lui a l’air de maîtriser des connaissances diverses : sciences exactes, science humaines, langues, littérature, arts, techniques, …

- Très chers érudits, je comprends votre désarroi. L’heure n’est plus aux questionnements. Nous avons besoin de vous pour reprendre ma fonction dans les différentes classes dont vous êtes issus. Je vous convie donc à reprendre les flambeaux et partager votre savoir. Quant à vous mes très chers hôtes je vous convie à un banquet que vous pouvez rejoindre par les portails d’où vous venez, déclara-Isis.

D’un signe de la main elle convie l’assemblée à se lever et à rejoindre les portails. Le silence s’est fait et les personnes présentes se dirigent vers les sorties. Je vois Delphine quitter l’adyton et rejoindre le dauphin, tandis que les quatre ambassadeurs restent assis. Quelle journée déconcertante et me voilà désormais enseignante. Je me lève et me dirige vers le portail du faucon. Un tourbillon de lumière bleu m’attend. Je m’y avance.

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