Pour accueillir cet être.

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Puis l’heure de la rentrée est arrivée. Le 10 septembre est passé, et ma petite sœur n’est toujours pas née. J’en discute avec Nathalie :

« C’est quand même bizarre, elle aurait dû naitre hier.

– Tu es sûr de la date ?

– Non mais sérieusement ?

– Oui, bon, excuse-moi.

– Qu’a-t-il bien pu se passer ? Jusqu’à présent tout était identique, autant que je m’en souvienne.

– Elle veut rester plus longtemps au chaud, ce nouveau grand frère lui fait peut-être peur ?

– Je vais être le plus mignon des frères, c’est l’ancien qu’elle aurait pu chercher à fuir.

– Tu étais si terrible que ça ?

– Non, faut pas exagérer. Mais j’étais un ado, et franchement les filles, à l’époque… Disons que je n’ai pas toujours été très sympa, ni prêteur et que j’ai gardé mes distances avec elle. Les années ont passé, et nous nous sommes apprivoisés ; je l’aime bien ma petite sœur.

– Et du coup tu es pressé de la retrouver.

– Voilà. Mais là… Elle traine un peu. Peut-être que tout simplement, étant plus calme, ma mère est plus reposée. Et du coup le bébé tarde un peu plus… J’en sais rien.

– Ne t’inquiète pas, elle va finir par arriver de toute manière. Tu auras juste une nouvelle date de naissance à apprendre, c’est pas la mort.

– Je devrais pouvoir m’en souvenir effectivement. J’ai bien retenu ta date d’anniversaire.

– Ah oui ?

– Le 30 février, c’est bien ça ?

– Je te hais… »



Finalement la naissance a eu lieu le 15. C’est mon oncle et ma tante, qui nous gardaient pour l’occasion, qui nous déposent à la maternité voir la dernière petite merveille.



Un garçon.

Mon visage se décompose plus vite qu’il ne faut de temps pour l’écrire. Je lâche un « non, ce n’est pas ma sœur » devant mes parents médusés. Je sors en claquant la porte, sans rien ajouter. Je parcours le couloir en courant, m’attirant les foudres de la puéricultrice. Je descends les escaliers quatre à quatre, et me dirige vers la sortie, en larmes. Je parcours la ville au hasard, sans but. J’arrive devant une cabine téléphonique isolée. J’appelle Nathalie, en espérant qu’elle soit rentrée du collège.

« Allo ?

– C’est Sébastien, pourrais-je parler à Nath ?

J’attends deux minutes.

– Sébastien ? Alors elle s’appelle comment ?

– IL ! Je ne sais pas, je n’ai pas demandé.

– Mais comment ? Tu ne m’as pas dit que ?

– OUBLIE CE QUE JE T’AI DIT ! C’EST DU PASSÉ MAINTENANT !

– …

– Je suis désolé, je ne voulais pas… Je n’en peux plus… Dès qu’on pense que la situation s’améliore… Qui s’acharne sur nous comme ça ? Pourquoi moi ?

– Écoute, je vais convaincre mes parents de m’amener, on se retrouve à la clinique. Tu y es actuellement ?

– Non. Je suis parti.

– Retourne là-bas, j’appelle tes parents avant, ils doivent s’inquiéter. Attends-moi, on fait au plus vite. »

Une heure plus tard, Nathalie et ses parents arrivent à la clinique. Je suis assis sur une chaise à l’entrée. Dès qu’elle me voit, elle court dans ma direction et me prend dans ses bras. Elle en profite pour chuchoter à mon oreille « Jamais je ne t’abandonnerai ». J’ignore ce qu’elle veut dire à ce moment-là, mais je me sens soutenu. Elle est la seule à pouvoir comprendre mon désarroi.

Christine, sa maman, vient également me soutenir.

« Alors Sébastien, qu’est-ce qu’il t’arrive ?

– …

– Ah ce n’est jamais facile d’accueillir un nouveau membre dans la famille. Mais tes parents t’aiment toujours autant, l’amour ne se partage pas, il se multiplie.

– …

– Je comprends, j’ai aussi eu des frères et sœurs. Bon, j’étais plus jeune. Et puis l’adolescence est une période de changement compliquée, tu te sens un peu perdu… »

Une larme coule le long de ma joue.

« Maman, laisse-le tranquille. Il a surtout besoin de temps. »

Merci Nathalie. Merci d’être là.

Je rentre en dernier dans la chambre, je ne dis pas un mot. Mon oncle et ma tante sortent pour laisser la place dans cette pièce étroite. Christine trouve le bébé tellement mignon, puis elle s’inquiète du sort de ma maman. Paul discute avec mon père. Nathalie demande la permission de prendre le bébé dans ses bras.

Nathalie vient à côté de moi :

« Regarde, il trop chou. Il s’appelle Alexis. Tiens, il te regarde. »

Et là, sans prévenir, elle me le passe. J’ai peur de mal le tenir, de lui faire mal ou pire, de le laisser tomber. J’ai perdu l’habitude des bébés.

Une larme roule sur ma joue avant de s’écraser sur le front d’Alexis, mon petit frère. C’est vrai qu’il est mignon. On va bien s’entendre tous les deux, je t’apprendrai à faire du vélo, tu pourras jouer avec mes trains électriques, je ferai de toi un pro de jeux vidéo. Il se rendort, je le repose dans son lit et pose la petite souris en peluche que j’avais achetée pour ma petite sœur. Puisqu’elle n’en aura pas besoin là où elle est, autant que cela profite à un autre mignon petit bébé.

Je reste à côté du lit, en silence. Bientôt la famille Guéron rentre chez elle, nous laissant entre nous. J’ai honte de ma réaction. Je n’ose pas regarder mes parents que j’ai inquiétés. Mon regard est accaparé par ce petit être fragile qui dort paisiblement et qui bientôt va prendre une nouvelle place dans notre grande famille. Je pense à mon fils, à sa naissance, mais Alexis est très différent avec sa chevelure noire et ses yeux verts. Je souris.

Les jours suivant, je m’occupe de presque tout à la maison. Je laisse à mes parents la joie des réveils nocturnes. J’ai même négocié une semaine sans collège pour cause « d’obligations familiales ». Je prépare des repas, je donne le biberon, le bain et parfois même, quoi que le plus rarement possible, j’accepte de changer la couche. Je revis par procuration les merveilleux moments des premiers instants avec mon fils, la fatigue de la nuit en moins.

Je suis toutefois soulagé de reprendre le chemin du collège. Les bébés, ils sont rigolos cinq minutes, mais il faut avouer qu’à part dormir, manger et pleurer, ils ne font pas grand-chose. Dès le premier jour, j’ai droit à une interro en géographie, sur une leçon étudiée la semaine dernière où évidemment j’étais absent. Nathalie refuse de me laisser copier, je pense que cela l’amuse de me voir dans la panade. J’essaie de broder avec mes restes de connaissances et avec les documents fournis. Surtout, j’évite d’inclure des exemples qui ne se seraient pas encore produits.

Mon retard est vite rattrapé. Toutefois, ma crainte de revoir s’installer l’ennui est immédiatement chassée par le travail que me donne à faire Nathalie. Nous avons commencé par étudier le programme de seconde, en mathématiques, puis ensuite nous sommes passés à la biologie, l’anglais et la philosophie. Je prends rapidement l’habitude d’écouter le cours d’une oreille, tout en résolvant des problèmes autrement plus complexes. Ma voisine, elle, ne semble éprouver aucun souci à gérer les deux. Elle se permet même parfois de lever la main pour répondre aux questions du professeur alors que nous sommes en train d’échanger sur le rôle de Kant dans la philosophie moderne. Le mieux pour réviser, c’est les interros. Nous finissons vite les exercices demandés pour nous plonger dans de véritables défis. Si notre attitude agace toujours les professeurs, nos résultats scolaires nous permettent d’obtenir la paix.

Le premier bulletin de notes me sert toutefois de sérieux avertissement, une moyenne en baisse de trois points, 15,5, et des appréciations peu reluisantes. « Bavardages », « Doit se reprendre », « Devrait écouter en classe », « Fort potentiel mais se repose sur ses acquis ». Je n’ai pas droit aux félicitations du fait de mon comportement. Dire qu’il y a trente ans, je n’avais que des éloges, avec une moyenne plus basse… Ma complice s’en tire nettement mieux, avec une moyenne de 17,1 qui frise l’indécence. Et uniquement des commentaires élogieux ! Pourtant si je bavarde, c’est bien avec quelqu’un ?

Mes parents ne se formalisent pas, ils sont trop épuisés par les nuits entrecoupées pour consacrer du temps à suivre mes notes. Après tout, mes résultats sont bons et je travaille sérieusement, certes sur les dérivées, la dynamique des fluides et La Phénoménologie de l'Esprit de Hegel, mais cela, ils ne peuvent pas le savoir.

Pour moi, la difficulté est de trouver de l’aide pour m’aider à comprendre. Les livres atteignent vite leurs limites, nos connaissances également. J’ai l’impression de faire du bourrage de crâne, en perdant le sens de tout ça, et en renonçant à notre présent. Je me vois mal tenir jusqu’au bac à ce rythme-là.

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