Et ensemble être unis.

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Progressivement mes idées noires s’envolent, j’ai définitivement fermé le livre du passé. Je fête mes 21 ans avec mes amis et mes 51 en tête à tête avec Nathalie. Ce décalage entre l’âge de mon esprit et celui de mon corps sera toujours présent, je dois me faire une raison. Au moins j’ai la sagesse des années, sans les désagréments de l’arthrose. Il n’y a que sur ma vie amoureuse que je ne parviens pas à trouver une once de solution : les filles de mon âge me paraissent trop jeunes et trop immatures, et mon cœur ne semble battre que pour une femme qui n’envisage sa vie qu’avec un autre.

Le temps continue d’évoluer et de nous surprendre. Martine Aubry gagne la présidentielle et devient la première femme présidente de la république française, succédant ainsi à Jacques Chirac éliminé dès le premier tour. J’ai cessé de m’interroger sur ces bouleversements temporels. Après tout pourquoi pas ? Je voulais du changement, le monde m’offre un avenir plein de nouveautés et de promesses. Les États-Unis ont même lancé, sous l’impulsion d’Al Gore, un plan climat pour lutter contre « The worst challenge humanity has ever faced. »

Ma vie continue son cours, tranquille, entre les amis fidèles, présents au moindre coup dur, les devoirs et les stages en entreprise. Pour la fin de mes études, je pars six mois en Suède dans la région de Stockholm travailler au sein d’une entreprise de nouvelles technologies. L’objectif est de découvrir une nouvelle culture, perfectionner mon anglais et m’offrir un bol d’air frais. Très frais. Quand j’arrive, le soleil pointe son nez moins de sept heures par jour et la neige a envahi toute la ville.

Le choc culturel est brutal, je découvre rapidement que le petit bonhomme rouge signifie que les piétons doivent attendre avant de traverser, sous peine de recevoir des regards inquisiteurs de l’ensemble des personnes autour. Je remarque également le nombre incroyable de pistes cyclables, et de cyclistes, malgré un climat peu adapté pour ce genre de moyen de locomotion. Je m’adapte rapidement à ce principe de respect des règles, je l’apprécie même. Quelle différence avec la France !

Ce respect, je le retrouve en discutant avec mes collègues de travail. Tous s’expriment dans un anglais parfait et font l’effort de parler entre eux dans cette langue en ma présence. Je tente de mon côté d’apprendre quelques mots : hej, tack så mycket, et l’incontournable öl. Je travaille beaucoup, découvre énormément et je profite du pays. Tous les vendredis soir, nous sortons entre collègues manger et boire dans les bars du coin. La nourriture est gratuite à condition de consommer des boissons. Les taxis, habitués à ces foules du vendredi, attendent les passants pour les ramener chez eux.

Sur place, je trouve quelques français avec qui nous décidons de partir un long weekend pour la Laponie, le pays du père noël, à l’intérieur du cercle polaire. Bien emmitouflés dans nos manteaux, sous-pulls et collants, nous effectuons une balade avec des chiens de traineau. Nous aurions aimé observer des aurores boréales mais ce n’est malheureusement pas la saison, et de toute manière les impressionnantes chutes de neige ne nous auraient pas permis de voir quoi que ce soit.

Si les premiers jours je me plaignais du manque de luminosité, sur la fin de mon stage je maudis le soleil qui se lève avant 4h et m’empêche de dormir. Mais pourquoi n’ont-ils pas de volets dans ce pays ? Si j’ai apprécié ce séjour et accumulé de nombreux souvenirs, je suis aussi soulagé qu’il se termine et de pouvoir retourner dans mon pays natal pour retrouver ma famille, mes amis, et le climat auquel je suis habitué.

À mon retour en France, après avoir fêté mon diplôme avec l’ensemble de ma promotion, je m’offre deux semaines de bronzage en bord de mer. Nathalie m’accompagne lors de ce séjour. L’occasion de parler de nos projets professionnels. De mon côté j’ai quatre entretiens d’embauche que j’ai décalé pour profiter de mes vacances. Je ne suis pas inquiet pour mon avenir, mon profil est recherché, ce qui me laisse le loisir de me reposer et choisir les entreprises.

« Et toi Nath ? Tu as quelques pistes je suppose.

– Oui, j’ai eu une réponse du Centre d’Étude Spatiale des Rayonnements, je pense que je vais accepter leur offre. Ils me proposent de financer un doctorat.

– C’est là où tu travaillais avant ?

– Non, le C.E.S.R. est sur Toulouse, je travaillais sur Paris. Tu n’écoutes rien de ce que je raconte.

– Cela m’étonnerait que tu m’aies dit le nom de l’entreprise dans laquelle tu bossais. Tu as toujours été discrète sur ta vie d’avant. Par contre, je ne comprends pas, que fais-tu de Victor du coup ? Je me souviens très bien que c’est pour lui que tu es restée sur Paris. »

Je me tourne vers elle et je vois son visage couvert de larmes. Je voudrais la prendre dans mes bras, lui dire que je comprends sa détresse, que je serai toujours là pour elle. Mais nous sommes tous les deux en maillot et une pudeur stupide me retient. Elle se lève, prend sa serviette et s’en va seule en me disant « T’es vraiment trop con ! » Je reste là, allongé sur le sable avec mes pensées contradictoires qui s’emmêlent.

Pendant les trois jours qui suivent, nous faisons comme si de rien n’était. Nous nous amusons comme deux gamins, je la jette à l’eau, elle me balance du sable. Nous nous incrustons dans une partie de beach volley, évidemment Nathalie nous met la misère. Et puis, à quelques jours de la fin des vacances, je l’oblige à sortir pour regarder les étoiles au-dessus de l’océan. Nous nous asseyons sur un banc, dans les hauteurs d’une falaise surplombant la plage. Je veux lui parler, sans lui laisser la possibilité de se défiler.

« Nath, je peux te poser des questions ? Sans que tu t’énerves ? Sans que tu t’enfuies ?

– Tu es tellement prévisible. Oui, tu peux m’interroger sur Victor ou mes enfants. Je répondrai à tout. Je ne te promets pas de ne pas pleurer par contre. »

Il fait noir, mais je devine déjà une larme sur sa joue.

« Je suis désolé de t’infliger ça, mais je dois savoir. Tu devrais déjà être avec Victor, n’est-ce pas ? Alors pourquoi ?

– Au moins tu n’y vas pas par quatre chemins. Oui je devrais être avec lui si je voulais respecter la chronologie. Mais nous nous serions quittés, puis retrouvés. Alors pourquoi je ne suis pas avec lui maintenant ? Oui, tu avais raison, nous ne pourrons jamais reconstruire notre monde tel qu’il était. Mes enfants ne sont plus, Mickaël et Lisa appartiennent à un autre monde où j’espère qu’ils sont heureux, même si je ne suis plus là pour les embrasser. »

Elle s’interrompt un instant, le temps de se reprendre et calmer ses sanglots. Je peste intérieurement de lui infliger ça.

« J’ai bien revu Victor, j’ai provoqué la rencontre. J’ai eu l’impression de revoir tous ses mauvais côtés, ceux qui ont entrainé notre séparation. Je ne me suis pas sentie prête à revivre toute la souffrance de l’époque, si ce n’est pour mes enfants. Et quand j’ai vu que ce monde changeait par rapport à notre ancienne vie, je me suis souvenue de tes paroles. Tu as réussi à faire le deuil, je dois pouvoir y arriver également. Et après tout, nous avons également le droit d’en profiter, se construire une meilleure vie dans un monde meilleur.

– Je serai toujours là pour toi.

– Je sais. Et réciproquement. C’est ce qui m’aide à tenir.

– Et du coup tu as décidé de voir la vie en rose ?

– Toulouse ? J’ai décidé de ne plus suivre qui que ce soit et de construire mon avenir professionnel comme bon me semble. Et toi ? Tu veux aller où ?

– Moi ? Je ne sais pas. Je n’ai pas d’attaches particulières. Mes prochains entretiens sont sur Paris, mais franchement, si je peux trouver ailleurs…

– Et pourquoi pas Toulouse ?

– Écoute Nath, tu connais mes sentiments pour toi. J’ai eu beau essayer, rencontrer d’autres filles, couper les ponts, faire des études de malade… Au final, tu le sais, je suis toujours amoureux de toi. Si je ne peux avoir ton amour en retour, je veux au moins garder ton amitié. Mais si je veux me construire une nouvelle vie, je vais devoir mettre entre nous une certaine distance physique.

– Du coup je renouvelle ma question : pourquoi pas Toulouse ?

– …

– Je te pensais plus vif Sébastien… Je regrette de t’avoir quitté. Veux-tu venir vivre avec moi ? »

Pour toute réponse je la soulève dans mes bras et l’embrasse sur la bouche. Je suis tellement heureux. Alors que je la repose sur le banc, ma musculature ne me permettant pas de la porter très longtemps, je pose un genou à terre sous l’éclairage de la pleine lune.

« Nathalie Guéron, veux-tu m’épouser ? Je sais que cela peut paraitre précipité, mais nous avons cinquante ans, nous nous fréquentons depuis presque dix années, tu m’as soutenu, supporté, aidé, moqué, et je te l’ai bien rendu…

– Tais-toi idiot et laisse-moi te répondre. Oui, je le veux. Par contre tu as intérêt à m’acheter une vraie bague, avec un saphir. »

Elle rit, je suis aux anges, nous passons le reste de la soirée main dans la main, à nous embrasser. Le lendemain, à défaut d’argent pour lui payer la bague de ses rêves, je l’invite au restaurant et lui offre un bouquet de roses rouges.

Nous interrompons nos vacances une journée plus tôt afin de rentrer chez nos parents leur annoncer la nouvelle. Ils sont partagés entre le bonheur de nous revoir ensemble, et l’inquiétude liée à un mariage aussi jeunes. Surtout que je n’ai pas d’emploi et que je viens d’appeler pour annuler tous mes entretiens d’embauche sur Paris.

Nous trouvons en urgence un appartement deux pièces dans la périphérie toulousaine. Le maigre salaire de Nathalie ne nous permet pas pour l’instant de vivre la grande vie. Les deux premiers mois, je me fais entretenir par ma future femme. En échange, je m’occupe de l’aménagement de l’appartement, des courses et des repas. De son côté, elle étudie l’espace, les étoiles, les trous noirs. Elle souhaiterait se pencher sur les perturbations temporelles dans le but d’expliquer notre soudain voyage dans le temps, mais nous nous accordons sur le fait que la priorité est la réussite de son doctorat.

Une grande partie de mon temps est consacré à la recherche d’un emploi stable et bien payé. Même si la tâche est moins aisée que dans la capitale, Toulouse regorge d’entreprises intéressées par mon profil. Quelques entretiens plus tard, je commence ma nouvelle carrière en tant que développeur C++ pour une entreprise gérant les approvisionnements en eau de nombreuses villes de France. Les débuts sont compliqués, j’ai du mal à accepter de me faire traiter de jeune débutant alors qu’il y a une quinzaine d’année je gérais des équipes. Je prends mon mal en patience et j’essaie de faire mes preuves. Après tout, si cela se passe mal, je pourrai toujours trouver un travail ailleurs.

Dans le même temps, je suis occupé à la préparation de notre mariage. Nathalie croule sous le travail, j’essaie au maximum de la soulager des tâches quotidiennes. La propreté de l’appartement en est la première victime.

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