Dans une belle union, l’histoire est terminée,

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La réception de mes premiers salaires permet de soulager notre situation financière. J’en profite pour inviter Nathalie au restaurant et lui demander sa main, une deuxième fois, avec une bague cette fois-ci. La bague en or est sertie de diamants sur les bords, et ornée d’un saphir entouré de deux petites émeraudes. Nous avons fixé la date du mariage au 23 juin 2007 ce qui nous laisse près de un an et demi pour tout finaliser. La salle est réservée, le DJ également et dans deux mois nous avons rendez-vous avec des traiteurs pour gouter différents plats.

Le plus long est d’établir la liste des invités : être certain de n’oublier personne, et dans le même temps limiter le nombre. Au final, entre la famille et les amis, nous nous mettons d’accord sur une liste de plus de 200 convives. C’est plus que prévu au départ, tous ne viendront pas, mais nous allons devoir mettre de l’argent rapidement de côté pour financer cet évènement. Cette période est à la fois un moment de joie, celui de préparer un évènement heureux, quasiment unique dans une vie, et un fort instant de nostalgie, justement parce-que ce n’est pas notre premier mariage. Nous partageons nos expériences heureuses, nos soucis rencontrés, pour préparer au mieux une fête parfaite. Je n’ai malheureusement pas souvenir de la météo le 23 juin 2007, cette information aurait pu nous être utile.

Les faireparts sont en mode Sherlock Holmes : pour trouver le lieu, la date et l’heure, il faut chercher les indices dans le texte. À part la famille proche, nous n’avions prévenu personne de nos projets de mariage. Du coup nous croulons rapidement sous les appels de félicitations de nos amis, et sous les demandes d’indices pour résoudre les énigmes. J’ai peut-être été un peu trop tordu. Pourvu que personne ne se pointe à une mauvaise date, ou à l’autre bout de la France.

Le jour J, je vois Nathalie en robe de mariée, pour la première fois, pour une séance photos. Elle est plus magnifique que jamais avec sa robe blanche, les épaules nues. Ses cheveux sont entremêlés de fleurs rouges et bleues. Elle porte un pendentif en forme de deux cœurs croisés, représentant ses deux enfants. De mon côté, je me sens engoncé dans mon costume fait sur mesure. Je ne me sens pas à la hauteur à côté d’une telle femme, sublime, si forte, si intelligente. Elle me prend par le bras, me dit à l’oreille à quel point je suis beau, gentil, intelligent et attentionné. Elle trouve les mots pour me rassurer. Je suis à cet instant l’homme le plus heureux du monde, rien ne pourra gâcher ce moment.

Le soleil est au rendez-vous, la température est parfaite, une journée ni trop froide, ni trop chaude. Seul le vent tente de semer un peu de folie dans ce moment où tout a été millimétré. Nous n’avons pas prévu de cérémonie religieuse, Nathalie étant athée, et que je suis déjà marié devant Dieu, même si un univers nous sépare désormais. Ma mère me tient le bras en montant les marches de la mairie. Alexis et Jean, mes témoins, sont à mes côtés devant le maire. Nathalie a choisi Virginie et Céline. À 15h36, nous nous disons officiellement « oui » devant une assemblée souriante qui applaudit alors que nous nous embrassons. À la sortie, nous recevons une douche de grains de riz, avant de monter dans une belle décapotable bleu azur qui nous conduit vers le parc d’un château loué pour l’occasion.

Avant de me servir mon premier verre de punch, je regarde mon épouse l’air de demander si je peux boire aujourd’hui sans prendre le risque de me prendre une baffe.

« Arrête de faire ton Caliméro. Bois si tu as envie de boire, je te rappelle juste que tu me dois la première danse de la soirée. »

Les photos s’éternisent, mais je prends plaisir à passer du temps avec ceux que j’aime. Nous enchainons les photos avec les familles, les amis de l’école primaire, du collège, du lycée, de nos grandes écoles respectives, du travail… J’insiste pour faire de nombreuses prises avec mes grands-parents, pour profiter qu’ils soient encore là, parmi nous.

Libérés de nos obligations, Nathalie et moi passons de groupe en groupe, tentant de discuter avec chacun. Difficile de se déplacer lorsque nous sommes abordés tous les trois mètres. Les mariés sont les vedettes, telles des stars entourées de groupies. Malgré tout nous parvenons à discuter avec les oncles et tantes de Nathalie, avant de passer à nos amis du collège... Des amis de Centrale se tient à l’écart, je les rejoins, suivi de mon épouse, afin de parler avec eux et apprendre à mieux les connaitre. Il est vrai que je ne les ai pas beaucoup fréquentés ces dernières années. Je dois m’intégrer davantage.

« Sébastien, toutes mes félicitations ! Vous êtes magnifiques tous les deux, et le lieu que vous avez choisi est juste incroyable.

– Merci, dis-je poliment.

– N’en fais pas trop Benoit, Sébastien va avoir les chevilles qui gonflent. Je te rappelle qu’il danse avec moi tout à l’heure, j’aimerais qu’il n’écrase pas mes pieds.

– J’essaie de le mettre à l’aise, il a l’air super timide.

– Ne t’inquiète pas pour lui, il sait répondre. Quand il le veut.

– Ne parlez pas de moi comme si je n’étais pas là ! Merci Benoit pour ta prévenance. J’apprécie.

– C’était sincère. Tu es quelqu’un qui gagne à être connu.

– Hum… C’est-à-dire ?

– Ben disons que… Comment dire… La première fois qu’elle t’a présenté à nous…

– Je vois ce que tu veux dire. Je n’étais pas très bavard…

– Non, c’est pas tout à fait ça…

– Vous vous êtes dit : « c’est quoi ce plouc qu’elle nous ramène ? »

Nathalie a toujours le mot pour m’enfoncer.

– Voilà ! Exactement !

– Ah ben merci ! J’apprécie !

– Faut pas te vexer Sébastien. Disons qu’on ne vous imaginait pas ensemble… Mais oui, c’est sans doute que tu n’étais pas très bavard. »

Je comprends mieux pourquoi elle s’entend si bien avec ce groupe : le même humour vache, des réponses du tac au tac, un esprit vif. Je devrais pouvoir m’entendre avec eux.

Le soleil commence à baisser, il est temps de s’installer à l’intérieur. Nous rentrons dans la salle de mariage sur le troisième mouvement de la sonate de Clair de lune de Beethoven, ce morceau de piano que je saurai jouer un jour. Nous avons passé deux jours à la décorer, et à y installer tout ce que nous préparons depuis des mois. Les murs sont sur le thème du temps qui passe, nous y avons accroché des photos et objets du quotidien caractéristiques de la décennie qu’ils représentent. Ainsi pour les années 1970, nous avons agrandi les photos de mariage de nos parents. Nous avons retrouvé une vieille radio orange cassée. Nous avons également accroché un bout de tapisserie aux couleurs psychédéliques. Un peu plus loin, nous rentrons dans les années 80, avec de nombreuses photos de Nathalie et moi, de bébés tout nus à des photos de classe de l’école primaire. Sur une table, en dessous, une vieille télévision cathodique sur laquelle nous avons scotché une image en noir et blanc d’un feuilleton de l’époque. À côté, un lecteur vinyle. Nous passons ensuite aux années 90, les premières photos de nous deux ensemble, en train de réviser, de jouer, de se tenir la main et même de s’embrasser. De nombreuses photos des copains aussi, certains sont présents aujourd’hui, d’autres ont été perdu de vue. Faute de meilleure idée, j’ai suspendu à côté mes deux consoles de jeux de l’époque et installé en dessous mon premier piano électrique. Il fonctionne toujours, peut-être aurais-je l’occasion de jouer un morceau ce soir. Enfin vient la décennie actuelle, les appareils numériques nous ont permis de couvrir une grande partie du mur de photos des amis, des sorties, de nos voyages, séparés, ensemble. Au milieu en grand, une photo de New-York prise en 2002. En dessous, une impression d’écran de notre premier site internet. La visite se poursuit vers le futur, une période que presque personne n’a connue. Nathalie a dessiné des gens dans la rue, se déplaçant le regard rivé sur leurs smartphone. À côté, nous avons emprunté un mannequin en plastique et lui avons ajouté sur la tête un casque de réalité virtuelle fabriqué maison. Pour les photos, une dizaine, j’ai utilisé Photoshop pour nous vieillir exagérément. La frise se termine sur l’année 2022 par une machine à remonter le temps. Une grande caisse en bois, par laquelle on rentre d’un côté pour passer sous un grand drap noir sur lequel j’ai collé des étoiles fluorescentes. Quand nous sortons de l’autre côté, nous nous retrouvons au début du parcours, dans les années 70.

« Ouah ! Sébastien et Nathalie, quel travail, et quelle imagination ! s’exclame Julien.

– Bah, pour l’idée, ça nous est venu comme ça, c’est tombé du ciel, soudainement, me moqué-je.

– Et pour l’installation, nous avons reçu l’aide de la famille et de nombreux amis fidèles, tacle Nathalie.

– Désolé, je ne pouvais pas me libérer plus tôt, je commence à peine un nouveau travail, c’est délicat.

– Je plaisante Julien, je suis très heureuse que tu aies pu venir. Surtout que depuis l’Allemagne, cela te fait un sacré trajet.

– Merci à vous, pour l’invitation, pour la fête, et encore une fois, je suis super heureux pour vous. Vous êtes faits l’un pour l’autre, cela se sentait dès le début, et un univers entier ne pourrait vous séparer. »

J’ai un rire nerveux. Il fait évidemment référence à la décoration des tables. Mais s’il savait à quel point il est tombé juste. Chaque table est gratifiée du nom d’une galaxie, en référence au métier et à la passion de Nathalie. La nôtre, au centre de la pièce, est représentée par la Voie Lactée, berceau de l’humanité. Nathalie et moi continuons à discuter avec nos nombreux invités. Nous devons jongler entre toutes les sollicitations, répondre aux mêmes questions en boucle. Nous avons chargé nos témoins de notre ravitaillement. Alexis joue parfaitement son rôle et m’apporte amuse-bouches, verrines et verres remplis, alternativement d’eau gazeuse et d’alcool.

Il est 21h30 quand tout le monde s’assoit à sa table. Un blind test est organisé par Jean le temps que le ballet des serveurs commence. La table de Centrale rafle la plupart des points, suivie de près par celle de nos amis du collège/lycée, parfaitement au point sur les génériques de dessins-animés, alors que la table des oncles et tantes se lève en protestant afin d’obtenir la victoire sur tapis vert, ma grand-mère sauve l’honneur de sa table en trouvant La Vie en rose d’Édith Piaf. Les entrées sont déposées assiette par assiette devant les invités, mettant fin au jeu. Nous finissons rapidement notre plat pour commencer un tour de salle.

Alors que le plat principal arrive sur les tables, Virginie et Céline nous installent sur une chaise, dos à dos, et nous posent une série de questions pour savoir si nous nous connaissons vraiment bien Nathalie et moi.

« Quelle est la comédie musicale préférée de Nathalie ?

– West Side Story. Facile !

– Quel est le réalisateur préféré de Sébastien ?

– Hayao Miyazaki évidemment.

– Quelle est la couleur préférée de Nathalie ?

– Bleu-saphir, comme pour sa bague.

– Le livre de chevet de Sébastien ?

Une brève histoire du temps de Stephen Hawkins. Non je plaisante, Le petit prince évidemment.

Je la regarde de travers, elle me fait un clin d’œil et un large sourire. Personne ne comprendra la blague.

– Quelle est la première langue étrangère apprise par Sébastien ?

– L’allem… Euh non, l’anglais. C’est vicieux cette question.

– Et bien je pense que devant cette large assemblée, nous pouvons vous déclarer fait l’un pour l’autre ! »

Nous nous embrassons sous les hourras des presque 200 convives.

Une fois notre plat terminé, nous rejoignons la table de nos parents et grands-parents avant de nous avancer sur la piste pour entamer la traditionnelle valse. La première danse est pour ma bien-aimée, la seconde pour ma belle-mère, Christine. Les invités nous rejoignent progressivement. Après le dessert, la musique devient plus dynamique, plus moderne, plus entrainante. La journée a été longue et nos jambes commencent à nous le faire sentir. Portés toutefois par l’enthousiasme de ce moment exceptionnel, nous continuons d’enchainer les danses, moi avec Nadia, Virginie, Céline, ma sœur, ma mère et tellement d’autres, Nathalie enchaine les pas avec Jean, Antoine, Julien, Sylvain, Alexis… La fête se termine vers 6h du matin. Exténués nous nous éclipsons rapidement. Nous avons loué une chambre à proximité, nous évitant ainsi de prendre la voiture. Je ne suis de toute manière pas en état de conduire, et ma femme ne semble pas en meilleure forme.



Deux mois plus tard, bagues aux doigts, nous nous envolons pour le Mexique. Nous profitons de deux semaines de voyage de noce pour visiter Mexico et le Chiapas. Le dépaysement est total, un autre climat, une autre culture et des produits que nous n’avons pas l’habitude de consommer en Europe. Du jus de cactus à la papaye, des taxis dont il faut négocier le prix à ces serveurs qui enlèvent nos plats si l’on ne mange pas assez vite, d’une chaleur étouffante à 2 000 mètres d’altitude, à un climat tropical dans une nature préservée. Quel que soit le lieu de visite, il y a toujours une pyramide à gravir. Nous aurions pu partir pour l’Égypte, beaucoup plus proche, mais main dans la main avec Nathalie, je suis prêt à parcourir le monde. Palenque est probablement le lieu qui m’a le plus marqué, j’imagine la vie des mayas à l’époque, je les vois déambuler dans les rues et ces bâtiments encore debout aujourd’hui. Ces pyramides en pleine nature, le ruisseau en contre-bas, les arbres qui nous entourent, un lieu isolé du monde.

Malheureusement tout a une fin, et de retour dans notre cité toulousaine je m’attelle au déménagement. Nous avons trouvé une maison dans un village résidentiel autour de Toulouse : deux étages, cinq pièces et un petit jardin. Au rez-de-chaussée nous avons un salon, une cuisine et notre chambre. À l’étage, j’aménage un bureau pour chacun d’entre nous. Nathalie est en dernière année de doctorat, je ne la vois quasiment que lors des repas et au moment de se coucher. Au fil des mois, avec l’approche de l’oral final, le stress la rend de plus en plus irritable et j’apprécie de pouvoir passer mes soirées seul devant un film ou un jeu vidéo.

En juin, elle valide son diplôme brillamment, avec un oral préparé au moins une cinquantaine de fois avec moi. Nous fêtons la fin de ses études avec des petits fours et du champagne. Le C.E.S.R. lui a proposé un poste qu’elle a immédiatement accepté. De mon côté, j’en suis à mon troisième travail, à la recherche constante de nouveauté et de diversité.

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