18. Maya Delorme – 23 Avril

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QG - 11h20

Tout en procédant aux présentations, les Tuteurs, trois hommes – dont Mac Snyder – et une femme prennent place sur une banquette, face aux jeunes gens. Sans perdre de temps, le dénommé Martin Fleming prend la parole d'une voix posée à l'accent britannique distingué.

— Chacun d'entre nous mesure l'importance de votre présence ici. Je sais que nous ne vous avons pas vraiment laissé le choix et que nous vous avons fait venir sous de fallacieux prétextes. Ayant vécu le même bouleversement il y a de nombreuses années, nous comprenons vos réticences. Il est maintenant temps de rééquilibrer la balance, d'apporter des réponses à vos questions.

Rayan lève la main. Tout en lui exprime son impatience, arrachant un sourire bienveillant aux quatre mentors.

— Nous ne sommes pas en classe, Rayan. Tu as le droit de t’exprimer comme bon te semble.

— C'est quoi, au juste, un Élément ?

— Un protecteur de la Terre.

Martin Flemming laisse passer quelques secondes, laissant l'idée faire son chemin. Maya, patiente, déroule mentalement sa longue liste de questions.

— Cela sonne comme un mauvais scénario fantastique, reprend le mentor, pourtant c'est très sérieux. Vous et les autres membres de l'équipe avez des capacités hors norme qui vous permettront de sauver notre planète, de sauver la vie elle-même. Vous apprendrez à maîtriser ce qui est en vous pour nous offrir – et par « nous », j’entends le monde entier – un futur digne de ce nom. Vous lutterez contre une force dont l’existence remonte aux origines.

Le Britannique fait une nouvelle pause. Luther et Rayan s'agitent sur le sofa tandis que Liz reste parfaitement immobile. Seuls ses yeux expriment un semblant de réaction, passant d'un Tuteur à l'autre.

— Savez-vous ce que sont le « Yin et le Yang » ?

— L’harmonie et l’équilibre au sein de l’univers, représentés par le blanc et le noir, répond fièrement Luther.

— Une dénomination pour qualifier les composantes différentes d'une dualité, qui sont à la fois, opposées et complémentaires, ajoute Maya.

— Effectivement, c’est l’interaction de deux énergies opposées, approuve le Britannique. Ces forces sont à l’origine de tout ce qui se produit dans notre monde et au-delà. C’est une combinaison universelle : blanc et noir, positif et négatif, attraction et répulsion.

Mac Snyder l’interrompt brusquement :

— Vie et mort !

Martin Fleming sourit :

— Notre collègue est pressé d’en finir ! Remontons maintenant à quelques milliards d’années en arrière. Environ quatre milliards.

— Entre 3.5 et 3.8 milliards.

— Merci Maya. Vous voyez donc où je veux en venir.

— À l’apparition de la vie sur Terre.

— En effet. La première étincelle de vie serait apparue grâce à la combinaison complexe des quatre éléments, à savoir l’eau, le feu, l’air et la terre. L'eau a permis l'émergence des premières molécules organiques, tandis que la terre a fourni un support solide pour l'évolution des organismes. L'air a apporté l'oxygène nécessaire à la respiration, tandis que le feu a été la source d'énergie primordiale pour la photosynthèse, créant ainsi la chaîne alimentaire et permettant la diversification de la vie. La vie sur Terre est le résultat de l'interaction dynamique de ces éléments au fil des milliards d'années. Maintenant, si l’on reprend l’idée du Yin et du Yang, ce qui génère un pouvoir de création, génère également un pouvoir de destruction. Au moment de l’apparition de la vie sur notre planète, une entité destructrice s'est développée. Condamné à demeurer dans les entrailles de la Terre, cet organisme n'a qu'un seul et unique objectif : se nourrir.

— La vie est son carburant, enchaîne Mac. Végétaux, animaux, êtres humains. Plus il bouffe, plus il devient puissant.

Snyder ne s'encombre pas de beaux discours, il va à l'essentiel avec un naturel déconcertant. Maya réalise soudain qu'ils sont en train de parler d'un être vivant, d'une créature bien réelle à l'instinct destructeur. La biologiste doit en savoir plus. À l'instar de Rayan et Luther, l'impatience la gagne à son tour.

— La vie a été générée à partir des quatre éléments. J'imagine qu'il en est de même pour cette entité.

Mac répond d'un signe de tête affirmatif.

— Mais, comment se nourrit cette... chose ? enchaîne Luther.

— Depuis la nuit des temps, reprend Martin Fleming, notre ennemi – appelons-le ainsi pour le moment – déclenche des catastrophes naturelles. Chaque vie prise est une réserve d'énergie supplémentaire. Concrètement, il attire des météorites, réveille des volcans, déclenche des tsunamis, des séismes, des incendies, des maladies et j’en passe. La destruction des dinosaures, à la fin du Crétacé, lui apporta une puissance telle qu’il n’eut pratiquement plus besoin de se sustenter pendant une longue période. Puis vint l’Homme. Petit à petit, il prit le contrôle sur Terre. Notre adversaire réalisa que, plus l’humanité évoluait, plus sa force vitale était importante. Les civilisations les plus puissantes furent alors prises pour cible. Les Anasazis, les Mayas, les Minoens, les Mycéniens, le Royaume d’Aksoum, les Olmèques ou encore les Nabatéens, pour ne citer qu’eux, ont disparu suite à de violents conflits, des éruptions volcaniques, des tremblements de terre, des épidémies ou de brusques changements climatiques.

— Pardon m'sieur Fleming, mais vous avez parlé de violents conflits. Ce ne sont pas des catastrophes naturelles, ça ?

— Non, gamin, répond Mac en s’adressant à Rayan. Ça, c'est la cerise sur le gâteau ! Notre cher ami a vite compris que, contrairement aux autres êtres vivants, l'Homme est manipulable, corruptible. Alors, il a trouvé le moyen de pénétrer les consciences des esprits les plus noirs, de les posséder. Pions isolés ou véritables armées, l'ennemi est désormais partout.

Soudain, une voix forte et claire s'élève dans l'immense salle. Sam Baker, le Tuteur Air, se met à scander :

— « À leur tête, comme roi, elles ont l’Ange de l’Abîme ; il s’appelle en hébreu Abaddôn et en grec Appolyôn. »

— Apocalypse selon Saint Jean.

Les regards se tournent vers Liz Mc Kennan, restée muette jusque-là. Elle se tient assise sur le bord du sofa, comme si elle s'apprêtait à fuir.

Elle aurait bien raison. Un destructeur à l'origine des catastrophes naturelles. Un démon responsable de la disparition des plus grandes civilisations. Un ange de l’abîme à la tête d'humains corrompus. Une entité réelle, un intra-terrestre en somme. Il m’en faudra davantage pour avaler ça.

Son scepticisme grandissant, Maya se lève pour s'approcher de la baie vitrée. Perdue dans ses réflexions, la jeune femme contemple le rivage. Le vent s’est levé au changement de marée, gonflant les vagues qui viennent frôler le pied de la dune. Face à elle, l'immensité de l'océan, l'infinité de secrets qu'il recèle encore. Des mystères dont le cerveau humain, étriqué, ne peut saisir la portée.

Mac Snyder la tire de ses pensées :

— Maya ! Tu es toujours avec nous ?

La biologiste se retourne lentement. Du coin de l’œil elle perçoit son aura. Le halo nacré semble accompagner les battements de son cœur.

Ce phénomène-là est bien réel pourtant.

— Si l’on récapitule, vous considérez qu’une sorte de seigneur des ténèbres doté de conscience et de pouvoirs sur les éléments, capable de manipuler les esprits, serait la cause de tout ce que subissent la planète et l’humanité. Notre civilisation étant apparemment la source d’une incommensurable puissance, il s’apprêterait à absorber la totalité de notre énergie vitale. En gros, c'est votre théorie pour l'ultime extinction.

Sourde aux exclamations de ses compagnons, Maya poursuit :

— La question est la suivante : quelle est la finalité ? Une fois que votre démon aura absorbé toute vie sur Terre, il n'aura plus rien. Il doit bien avoir un objectif. Pourquoi emmagasiner autant d'énergie sinon ? Et puis, quid des autres sources d'énergies terrestres, comme celles contenues dans le manteau ou le noyau par exemple ?

— Celles-ci, intervient Snyder, il se les garde pour la fin. À force d'étudier notre ennemi, nous en sommes arrivés à la conclusion qu'il n'a pas encore la capacité d'absorber autant de puissance sans conséquences. Nous pensons qu'un flux trop important d'énergie assimilé d'un seul coup pourrait le mener à l'autodestruction. Une fois la vie éradiquée dans notre monde, ce sera une autre histoire. Il aura alors la capacité de réduire la Terre à un caillou stérile. Puis, il brisera ses chaînes et trouvera d'autres sources d'énergie ailleurs, devenant ainsi...

— Le maître de l'univers ! s'exclame Rayan en bondissant, comme un élève ayant trouvé la solution d’un problème. Son aura laiteuse s'échappe, palpitante.

— C’est en effet ce que nous pensons, en des termes bien moins héroïques, cependant, conclut Martin Fleming.

Rayan quitte son siège puis se met à faire des allers et venues entre la baie vitrée et les sofas. Maya ressent l’excitation du garçon à travers son aura. Plusieurs fois, il ouvre la bouche mais semble incapable de produire le moindre son. Tout à coup il se plante devant les Tuteurs, une lueur de défi dans le regard :

— Et vu qu’on est des protecteurs, vous allez nous dire que notre job est d’empêcher ça. Douze guignols en pyjama, équipés d’un joli bracelet !

Sa sortie arrache un sourire aux responsables de l'Organisation, tandis que Luther éclate de rire. Maya envie la façon dont il a l’air d’accepter les choses. Liz, quant à elle, semble maintenant vouloir disparaître au fond de la banquette. En fait, aucun d’eux ne remet en question ce qui vient d’être exposé. Chacun digère juste la nouvelle à sa façon. Pour la jeune femme, tout ceci ressemble à un discours sectaire. Elle tournerait les talons immédiatement s’il n’y avait ce doute lancinant, une aiguille s’insinuant inlassablement au cœur de sa raison.

Regarde ton aura, celle de Rayan. Pense à Aïko, Izaya… Noah. Rappelle-toi les hommes sur la plage, les émanations grisâtres et les tentacules d’obsidienne. Les gouttelettes d'eau quittant leurs corps par ta seule volonté. Et Julia... ma Julia. Tu n'as pas rêvé tout ça !

Un silence agité plane dans la pièce. Enfin, Gil Blake prend la parole avec une douceur toute maternelle :

— Votre rôle est double. Grâce à vos pouvoirs élémentaires, vous pouvez stopper les catastrophes touchant notre environnement. Pour faire court – vos Tuteurs attitrés vous donneront tous les détails ultérieurement – vos capacités sont programmées dans votre génome, mais vous devrez apprendre à vous en servir. Sachez que deux Éléments Eau par exemple, n’auront pas forcément les mêmes aptitudes. Il est également important de savoir que votre puissance provient de l’astre qui gouverne votre destinée ainsi que du lien qui vous unit, tous.

— Nous avons atteint un point de non-retour, enchaîne Mac Snyder. Si on ne l’arrête pas, Abaddon fera table rase.

Gil lui jette un regard peu amène, le faisant taire immédiatement.

— Merci Mac pour cette transition. Empêcher toutes les catastrophes est désormais impossible tant sa puissance est grande. Mais la lutte continue, inlassablement. La différence entre hier et aujourd’hui, c’est que maintenant, la destruction totale d’Abaddon est envisageable. La seule condition pour le supprimer de l’équation vient d’être remplie : le fait de vous avoir tous réunis vous confère un pouvoir supplémentaire, un pouvoir unique… l’arme ultime contre le Mal.

La Tutrice de l'équipe Feu laisse le silence flotter un instant. Si Maya peut nier l’existence d’un destructeur suprême – ou quelle que soit sa dénomination – elle ne peut, en revanche, occulter les phénomènes étranges de ces dernières heures, ni la théorie d’une ultime extinction, maintes fois abordée par nombre de spécialistes. Lorsque la jeune femme s’adresse aux Tuteurs, sa voix résonne, glaciale, dans l’immense pièce :

— Êtes-vous en mesure de nous apporter une preuve tangible de ce que vous avancez ?

Dans l’open-space, la tension devient palpable. Les auras des quatre novices pulsent à l’unisson, les cœurs battent de concert, fébriles. Brusquement, la porte s’ouvre sur ceux que Maya identifie sans peine comme étant les autres membres de l’Organisation. En tête, la jeune femme reconnaît Noah Blake. Un léger sourire flotte sur ses lèvres. Pourtant ses yeux, fixés sur elle, restent de glace. La Française se détourne pour adresser un signe de tête à ses nouveaux amis, Aiko et Izaya Tanaka. Puis entrent trois femmes et deux hommes. L’un d’eux, vêtu de rouge, pose sur Maya un regard sombre et pénétrant qui la met aussitôt mal à l’aise. À ses côtés, se tient le plus âgé du groupe. Un élan de sympathie inattendu lui donne à croire que son destin est lié à celui de cet homme qu'elle n'a jamais vu.

— Pile à l’heure ! tonne Mac, brisant l’instant. Voici donc venue la seconde partie de notre exposé : qui sommes-nous et comment botter les fesses de ce bon vieux Abe !

Snyder se tait soudain. Maya le voit se figer, son sourire disparaît. Il fixe quelque chose dans le dos de la biologiste. Elle se retourne mais ne distingue rien, mis à part la houle océanique et le bleu limpide du ciel qui se brouille quelque peu.

— Il va falloir agir plus vite que prévu. Il nous a trouvés. La voilà ta preuve tangible, Maya.

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