25. Luther Bolt – 23 Avril

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Base Secrète - 21h10

Agglutinés autour de la table, Luther et ses compagnons observent les tablettes en écoutant attentivement les explications de Noah. L'Afro-Américain bouillonne intérieurement. L’effet de surprise des premières heures passé, il est maintenant très excité à l’idée de ce qui l’attend.

Il a tout quitté sans se retourner : la galerie et ses contraintes, Lina et sa possessivité maladive, ses projets en cours qui, de toute façon, n’étaient que le reflet du désastre de sa vie. Un nouveau chapitre commence. Il s’annonce beaucoup plus exaltant que le précédent.

Luther laisse ses pensées s’envoler pour se concentrer de nouveau sur les supports de granit noir. Incroyablement bien conservées, les gravures ressortent comme si elles venaient d’être réalisées. Chaque détail apparaît avec une précision stupéfiante.

Sur la première des six plaques, on peut voir une représentation sommaire de l’arbre de vie dont la ramure feuillue rejoint les racines, formant ainsi un cercle parfait. Cette image existe depuis des millénaires. Elle n’a rien d’extraordinaire. Sauf qu’à bien y regarder, ce n'est pas du tout ce que l'on peut imaginer au premier abord.

— Cet arbre est en fait très différent de celui que vous connaissez, confirme Blake. Regardez les racines.

— On dirait un tas de tentacules avec des épines, lâche Rayan.

— Ils crèvent la surface et remontent vers les branches pour les entraîner sous terre, comme pour les absorber, ajoute Luther convaincu de son interprétation. Si on reprend le discours de Martin ce matin, je pense que l'arbre représente la création et les racines, la destruction.

Noah approuve d’un signe de tête encourageant. Luther poursuit :

— Le tronc a l’air creux, comme s’il y avait un conduit ou une sorte de puits creusé à l’intérieur. On y a gravé des symboles. Qu’est-ce que cela signifie ?

Des figures sont positionnées verticalement sur toute la longueur du tronc. La première, en haut, forme un triangle pointant vers la gauche, dont la base a été oblitérée. Vient ensuite ce qui ressemble au chiffre « un » à l’envers, puis un cercle coupé en son milieu par un trait vertical. Enfin, tout en bas, une sorte d’échelle comportant deux barreaux obliques.

— Effectivement, le tronc est creux, explique Noah. C’est ce qu’on appelle le Gouffre Originel. La vie en est sortie, le Mal y est resté. Quant aux symboles, ce sont ceux des quatre éléments. Dans l’ordre, vous voyez le feu, l’eau, la terre et l’air.

— D’habitude, ils sont représentés par des triangles et des traits, s’étonne Liz d’une voix discrète, comme si elle hésitait à s’exprimer.

— Oubliez ce que vous connaissez. En cherchant bien, vous retrouveriez ceux-ci dans certains alphabets runiques, mais ils n'auraient pas la même signification.

Après une courte pause, l'Élément Feu reprend :

— Regardez à présent la seconde tablette. Elle est quasiment identique à la première. La seule différence réside dans le fait que…

— Les racines-tentacules prennent davantage de place, l’interrompt aussitôt Luther, pris au jeu.

— L’arbre paraît plus chétif, beaucoup moins fourni, ajoute Liz.

Décidément, sa coéquipière dans l'équipe Terre s'enhardit. Depuis que Luther a fait sa connaissance ce matin, il l'a à peine entendue aligner quelques mots. La rejoignant sur son commentaire, le New-Yorkais conclut :

— Cette gravure symbolise l’absorption de l’énergie vitale par l’entité destructrice.

Tout le monde semble avoir compris car personne ne pose de questions. D'un même mouvement, les novices se rassemblent devant la troisième représentation. L’arbre malingre, toujours en proie à l’attaque souterraine, possède toutefois davantage de feuilles sur ses branches, laissant entrevoir un retour de vitalité. La grande différence entre les deux gravures tient au fait que les symboles élémentaires sont désormais répartis sur le pourtour du végétal, et non plus au sein du tronc creux.

À l’extrême gauche se trouve le triangle tronqué du feu suivi, au niveau du premier tiers, par le « un » inversé de l’eau. Au deuxième tiers on trouve le cercle divisé de la terre et enfin, à droite, l’échelle de l’air.

— C’est la naissance des pouvoirs élémentaires ? interroge Maya.

— Exactement. C'est l'apparition des premiers Éléments, à l'aube de l'Antiquité. Sur la quatrième tablette, les symboles ont été triplés, portant leur nombre à douze. L’arbre a repris des forces et les racines se sont considérablement affaiblies. On peut en conclure que les anciens avaient prédit qu’il faudrait douze Éléments pour protéger la vie et mettre fin à l’existence d'Abaddon.

— Et on fait comment pour se débarrasser de cette bestiole ? s’enquiert Rayan, déjà prêt à en découdre.

— Ce n’est pas si simple. Regardez la tablette numéro cinq.

Celle-ci fait froid dans le dos. L’arbre, auquel il ne subsistent que quelques maigres branches, parait vraiment mal en point. Quant aux racines tentaculaires, elles sont, pour la plupart, complètement atrophiées. Quelques-unes tentent péniblement de remonter le long du tronc creux, telles de longs doigts squelettiques.

— Regardez les symboles des Éléments ! s'exclame soudain Liz. Ils semblent avoir été jetés aux quatre vents. Que s'est-il passé ? Je croyais qu'à douze, les Éléments étaient plus puissants.

— C'est aussi ce que croyaient nos prédécesseurs, explique patiemment Noah. Ils ont tenté de détruire Abaddon. Ils ont échoué. Certes, ils l’ont sévèrement diminué mais ont également causé des dommages considérables en surface. Ça a été un cataclysme sans précédent. Le Grand Cataclysme. Un seul des nôtres y a survécu. Aujourd’hui, c’est devenu un mythe.

S'il parle du mythe auquel je pense, je veux bien qu'on me pende haut et court !

Maya devance ses compagnons :

— Le mythe du déluge. Bien avant les écrits religieux, il est mentionné, sous différentes versions, dans nombre de récits traditionnels de par le monde. Ce serait donc cet événement-là qui lui a donné naissance !

Fuck ! J'avais raison !

Luther s’approche de la dernière tablette, désireux d'en savoir davantage. Après l’avoir observée quelques instants, il interpelle leur professeur d'un soir.

— Est-ce que celle-ci nous concerne ?

— Tout l’indique, confirme l’intéressé.

Luther reste sceptique face à la sixième gravure. Un végétal opulent muni d’un tronc solide, de vraies racines. En son sommet, quatre symboles élémentaires, massifs, protecteurs.

— Si les anciens ont échoué, pourquoi réussirions-nous ?

Noah regarde longuement son auditoire. Luther comprend qu’il prépare la suite avec minutie. Ce type, pourtant à peine plus âgé que lui, semble avoir déjà vécu plusieurs vies. Les traces de ses combats passés et présents se lisent sur les traits de son visage, dans l’éclat de ses yeux.

Ce mec en a sûrement vu plus que nous tous réunis. Respect !

— Nos prédécesseurs, bien que visionnaires, ne détenaient pas les informations dont nous disposons aujourd'hui. Siècle après siècle, notre... base de données, s'est enrichie grâce aux observations et interprétations de nos aînés. De plus, nous avons aujourd'hui des connaissances et des outils à la pointe de la technologie qu'ils ne pouvaient posséder.

Noah désigne la base du tronc, sur la sixième tablette.

— Nous sommes étroitement liés à celui que nous choisissons d'appeler Abaddon. Notre essence, ainsi que la sienne, proviennent du Gouffre Originel. Maintenant que nous sommes au complet, cela nous confère une puissance accrue. Toutefois, l'énergie que nous produirons désormais, beaucoup plus importante, nous rendra plus aisément repérables. Abaddon peut maintenant nous localiser avec une facilité déconcertante, envoyer ses Corrompus ou nous attaquer lui-même de front. Nous en avons eu la preuve hier soir et ce matin.

Au moment où Noah se tourne vers Maya, celle-ci se décompose. Luther a entendu dire que l’arrivée de la jeune femme ne s’est pas passée en douceur. Elle aurait pratiquement liquidé deux Corrompus à elle-seule.

Ça aussi, ça force le respect !

— À partir du moment où Mac est entré en contact avec toi, Maya, poursuit Blake, nous étions douze. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’on se fasse repérer. Ici, grâce à nos chercheurs et ingénieurs, nous bénéficions d’une protection, une sorte de bouclier invisible empêchant nos traces énergétiques de partir en balade dans l'atmosphère. Cependant, tôt ou tard, nous devrons sortir pour faire face à une nouvelle catastrophe. Et là, nous aurons intérêt à être prêts. Ce sera une lutte sans merci.

Luther ne tient plus en place.

— Crache le morceau ! Comment fait-on pour éliminer le problème une fois pour toutes ?

— Nous devons apprendre à unifier nos pouvoirs pour n’en faire qu’un : le pouvoir originel. C’est la seule force capable de le détruire. À condition de déverser notre puissance au point d’origine, là où Abaddon se terre. Le Gouffre Originel.

— Bon ben c’est pas compliqué alors ! On est douze, on va au gouffre, on le canarde et le tour est joué !

— Ne t’emballe pas Rayan ! Atteindre le pouvoir originel n’est pas chose aisée et demande un entrainement rigoureux. Or, nous manquons de temps. Notre planète est un véritable garde-manger. Notre ennemi devient extrêmement puissant. Ses attaques s’intensifient et ça va continuer. Chaque intervention de notre part nous mettra en danger. Mais les anciens étaient persuadés que nous y arriverions. Regardez à nouveau la dernière tablette. Les douze symboles se sont unifiés pour n’en faire que quatre, beaucoup plus imposants.

Luther n’en revient pas. C’est complètement fou, et pourtant, cela semble bien réel. Il observe ses compagnons. Tous concentrés à l’extrême, essayant probablement d’intégrer toutes ces informations dans un schéma de pensée qui ne laisse que peu de place à l’inexplicable. Lui, à travers son art, a la capacité de donner vie à l’imaginaire aussi souvent qu’il le désire. Ses attentes les plus intimes sont à présent comblées.

— Et où se trouve le Gouffre Originel ? questionne-t-il.

Noah hésite une seconde.

M’est avis que la question est épineuse !

— Nous ne connaissons pas encore son emplacement. Encore une fois, tout dépendait du fait que nous soyons douze. Seule la convergence de nos énergies et de celle d’Abaddon nous le révèlera. Mais nous ne savons pas comment, ni quand, cela se manifestera. Une fois que ça sera fait, nous devrons arriver au point d’origine avant qu’il ne nous intercepte. Autrement dit, il fera tout ce qui est en son pouvoir pour nous empêcher d’atteindre notre objectif.

Évidemment, ça ne pouvait pas être si facile. Il y a quand même quelque chose qui me chiffonne.

Luther entend vaguement que Maya prend la parole mais il n’y prête pas attention. Préoccupé, il se concentre sur la dernière gravure, lorsque Noah intervient :

— Nos prédécesseurs sont arrivés au Gouffre Originel sans problème, pensant pouvoir contrer la prédiction de la cinquième tablette. Malheureusement, contrairement à ce qu’ils croyaient, ils ne maîtrisaient pas le pouvoir unifié parce qu’ils n’avaient pas…

— La bonne stratégie !

Luther n’a pu s’empêcher de crier sa découverte. Sous ses yeux, les symboles élémentaires lui hurlent la solution. Il la partage sans attendre.

— Les symboles ! Leur disposition a changé. Depuis le début, on voit toujours le feu, l’eau, la terre et enfin l’air. Mais là on a terre, eau, feu et air. C’est dans cet ordre que nos pouvoirs seront unis et c’est comme ça que nous le détruirons !

Luther s’aperçoit que Noah affiche un sourire satisfait. L’artiste est euphorique.

Personne n’a le temps de commenter : Izaya Tanaka apparaît dans l’embrasure de la porte.

— Salut ! On s’est dit qu’on pourrait s’inviter.

En quelques instants, il y a foule dans le Centre Opérationnel. Ne manquent que les Tuteurs. Luther ignore ce qu’il est advenu d’eux mais ses compagnons n’ont pas l’air inquiets outre mesure. De toute façon, au vu de ce qui se passe depuis vingt-quatre heures, le New-Yorkais ne doute pas que Mac Snyder, Gil Blake, Martin Fleming et Sam Baker avaient un plan de sortie. Il décide de ne pas s’en faire, de simplement profiter du moment présent.

Tandis qu’il se mêle au groupe, impatient d’échanger sur ce qu’il vient d’apprendre, son regard est soudain attiré vers la table où reposent les reliques. Il n’en croit pas ses yeux : la sixième tablette s’embrase.

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