37. Maya Delorme – 28 Avril

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Base secrète - 06h15

Sa montre, posée à côté sur la petite table, indique six heures quinze. Cela fait plus de deux heures que Maya se retourne dans son lit, le sommeil irrémédiablement perdu. Malgré la fatigue, la tension de la veille refuse de la quitter. Elle se revoit, au sommet du phare, au moment où Björn donnait le signal.

***

Leurs pouvoirs combinés fusaient à une vitesse vertigineuse, provoquant en Maya une sensation de liberté jusqu'alors jamais éprouvée. Puis il y eut le choc. Brutal. Le mur d'eau résistait, avide de poursuivre sa trajectoire dévastatrice. Les Éléments s'y étaient préparés, unis pour ne faire qu'un face au monstre déchaîné.

Soudain, l'étrange impression d’être propulsée hors de son corps saisit la jeune femme. Elle se retrouva - du moins le crut-elle - au cœur de l’océan, ballotée, malmenée par le raz-de-marée. Les conseils de Björn, assénés sans cesse durant les quelques jours d’entraînement à la base, résonnaient dans son esprit.

Commande à ton élément. Impose-lui ta volonté.

Son niveau de concentration monta d’un cran. Si les Éléments Eau se tenaient toujours sur le phare, une part de chacun d'eux luttait en haute mer, côte à côte. Ils n'y étaient pas seuls. Maya devinait une présence, une force impitoyable tentant de les aspirer plus avant, dans le tumulte. Un pouvoir sombre, terrifiant... affamé. Résister s'avéra douloureux. Une souffrance telle que la biologiste crut, pendant un interminable moment, que son corps et son âme explosaient.

Ne doute jamais de tes capacités. Tout ce qui est d'eau t'obéira jusqu'à ton dernier souffle. Accepte ta part d'Élément.

Dans un éclair de lucidité, la jeune femme réalisa que là était désormais son devoir, la tâche à laquelle elle consacrerait le reste de sa vie. Alors la fureur de l'océan faiblit, s'apaisa, jusqu’à devenir une simple houle de gros temps.

***

Le ciel s'éclaircit à peine au-dessus de la base endormie lorsque Maya quitte son austère logement. Une marche matinale lui fera le plus grand bien. Apercevant de la lumière dans l'antre du Veilleur, elle change brusquement d'avis. Par la porte entrouverte, lui parviennent des bougonnements mécontents :

— Vous voilà, bande de petits fouineurs. Je vais te bloquer tout ça, moi. Ça va être vite fait. Vous ne verrez rien venir mes cocos !

— Salut Tom !

— Mince, tu m'as fait peur !

— Excuse-moi. Je sonnerai la cloche la prochaine fois ! Ça va ? Tu as l'air contrarié.

— Oh non, c'est rien. Juste quelques curieux qui nous collent un peu trop aux basques. On ne pourra plus garder le secret des Éléments bien longtemps. C'est une véritable communauté d'apprentis détectives que nous avons là. T'inquiète, j'en fais mon affaire. Bien dormi ? C’était quelque chose hier, hein ? Café ?

Depuis qu’elle le connaît, Maya l'a rarement vu se départir de son sourire, de sa bonne humeur communicative.

— Un verre d’eau me suffira, merci.

— Déshydratée ? C’est le comble pour un Élément Eau ! Pardon pour la blague, elle était facile. Mais je n’ai pas eu l’occasion de la sortir depuis longtemps. Avec Björn, ça ne prend plus.

— Essaie avec Rayan, il va adorer ! rétorque Maya en riant.

Depuis quelques heures, la Française voit sa nouvelle condition d’un œil différent. Si le monde doit s’écrouler, autant être du côté de ceux qui tenteront de le sauver, plutôt que d’attendre passivement la fin.

Sur l’un des nombreux écrans de Tom, une image satellite sur laquelle apparaissent des sinuosités colorées. Jade et incarnat enchevêtrés.

— C’est l’Europe de l’ouest. Je n’ai jamais rien vu de tel. Ces couleurs, ce ne sont quand même pas…

Comme elle hésite à continuer, Tom enchaîne :

— Éléments Feu, Éléments Air. Ce sont les empreintes résiduelles des énergies élémentaires. Il y a quelques jours, ton pouvoir s'est activé. Comme pour chacun d’entre vous, cela a laissé une signature dans l’atmosphère, légère et fugace. Ça n’a pas duré longtemps, mais c’était suffisant pour que je te localise.

— C’est donc comme ça que vous trouvez les Éléments.

— Ouais, c’est mon job !

Maya ne relève pas. Son cerveau bouillonne de questions.

— Mac m'a raconté que l'Organisation m'avait repérée lors de l'accident avec ma mère. Mais vous étiez arrivés trop tard. C'était grâce à mon empreinte résiduelle ?

— Oui. Malheureusement, c'était la seule et unique fois. Nous t'avons cherchée partout durant toutes ces années. Tu m'as donné du fil à retordre !

— Faut croire que mon père a bien travaillé !

— Ne le blâme pas. On fait parfois des choses insensées, par amour. Il voulait te protéger. Je pense qu'il n'était pas le seul.

— Qu'entends-tu par là ?

— Ne néglige pas les forces cosmiques qui t'accompagnent. Si ton destin était de rester cachée si longtemps, c'est probablement pour une bonne raison.

— Je suppose que je dois me faire à l'idée qu'il y a certaines questions qui ne trouveront jamais de réponse.

Sur le moniteur, Maya suit du doigt les courbes délicates.

— Tu viens de dire que ces traces d’énergie étaient habituellement fugaces. Mais ce que je vois là m’a l’air plutôt stable et durable. J'imagine que, maintenant que nous sommes tous réunis, notre énergie résiduelle est plus importante. Si j'ai bien compris les explications de Noah l'autre soir, elle restera dans l’atmosphère jusqu’à nous conduire à l’emplacement du Gouffre Originel.

— C’est assez bien résumé. Il manque toutefois quelque chose. Blake n'a sûrement pas omis ce détail.

— La convergence. L’énergie d'Abaddon doit se mêler à la nôtre afin que l’emplacement du Gouffre se dévoile. Comment cela se manifestera-t-il ?

Les mains du Veilleur courent rapidement sur le clavier. Une seconde image s’affiche. Tom laisse quelques secondes à Maya. Le temps de réaliser qu’elle a sous les yeux l’image de sa propre empreinte énergétique, associée à celles de ses compagnons Eau et Terre. Des traînées lumineuses immaculées mêlées de volutes ambrées recouvrent une partie de l’Asie du sud-est. Weber zoome. Çà et là, de sombres altérations troublent les traces luisantes.

Bien que déstabilisée, Maya sait désormais qu’elle ne peut plus remettre en question ses pouvoirs, ni tout ce à quoi elle a assisté depuis son arrivée. Même si cela défie toute logique.

Ma logique. Rome ne s'est pas faite en un jour. Il me faudra apprendre à faire abstraction de mes vieux réflexes.

Tom la tire de ses pensées. Dans sa voix, une inquiétude non feinte :

— À partir de maintenant, vous crèverez l'écran. Abaddon ne va plus vous lâcher. Il vous attend, là, dehors. Cette base a été conçue pour vous rendre invisibles aux yeux de l'ennemi. Nous avons conçu une sorte de dôme, indécelable à l'œil nu, qui vous protège et empêche vos énergies de prendre le large. Mais, à l'extérieur, ces empreintes énergétiques, c'est la flèche pointée sur votre tête. Si le Destructeur ne vous trouve pas lui-même, ses sbires s'en chargeront.

— Ne stresse pas. Nous pourrons faire face. Regarde, ce qui s'est passé sur la plage. Blake et moi avons réussi à nous en sortir.

Blake et toi, justement ! Mais d'autres, isolés du groupe, n'auraient peut-être pas la force de lutter. Il ne s’agit plus seulement de risquer sa vie en mission. C’est désormais permanent. L'ennemi peut vous retrouver où que vous soyez. Autant limiter les risques.

— En gros, nous sommes privés de sortie !

Weber sourit, à nouveau détendu. Du moins, en apparence. Maya commence à connaître le personnage. Investi à cent pour cent dans sa mission, il s'active sur tous les fronts, s'inquiète des moindres détails techniques et organisationnels, dans le seul but d'assurer la sécurité des équipes.

— Tout à fait jeune fille ! Qu’il ne vous prenne pas l’envie d’aller faire la fête !

— Ce n’est pas mon genre, Tom ! réplique Maya en prenant un air faussement offusqué.

Redevenant sérieuse, la jeune femme profite de ce moment avec son nouvel ami pour lui poser une question qui lui brûle les lèvres depuis quelques jours :

— Je dois me faire à l'idée que j'ai été choisie. Mais j'ai l'impression qu'on ne me dit pas tout.

Tom la fixe un instant, puis baisse le regard, s'abîmant soudain dans la contemplation de son clavier high-tech.

Il me cache quelque chose, mais il va bien finir par lâcher

— Depuis que je suis arrivée, reprend-elle, j’ai l’impression d’être scrutée, regardée comme un animal bizarre. Certains, comme Aïko ou Izaya semblent s’enthousiasmer de ma présence, quand d’autres ont plutôt l’air méfiant.

Tom se racle la gorge, hésitant :

— Patiente encore un petit moment. Tu auras ta réponse.

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