Quand dire, c’est (dé)faire

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Austin est un diablotin au visage d’ange

Cher Unheimliche,

C’est avec une certaine solennité que j’ai pris la résolution de m’adresser à toi avec ce par quoi tu existes : des mots. De même que le soleil (re)naît chaque fois que j’ouvre les yeux, de même, toi, tu surgis dès que je te dis. Tu adviens quand je te nomme. Tu descends du ciel quand je te somme. Tu te fais l’expression d’un acte performatif. Tu te fais l’écho d’un murmure superlatif. Tu es l’œuvre de ce que ma langue a parachevé dans la palette colorée de mon être. Tu trahis le secret de tes ambitions quand j’apprends à mon corps défendant quelles sont tes intentions – tandis que je t’ai moi, "performé", t’ai permis de voir le jour et de parler la nuit, voilà que toi, pour seul remerciement, l’idée, non de me “performer” à ton tour, non de me (ré)inventer au travers d’une noble dialectique s’envolant dans les cieux, mais voilà que l’idée de me "perforer", de me trouer de l’intérieur te vient à l’esprit ! Après ça, ose encore te récrier des maléfices, qui après un temps se retournent contre le sorcier qui les a jetés ! Ne prends pas l’air choqué. Tu n’es pas mieux.

Toujours tu surgis de l’ombrage au moment même où je pensais te tenir à distance, toujours tu rugis à l’instant précis où je me croyais sauf dans une clairière de silence. Quand tes tentacules de mains brisent la terre du dessous : alors, tout devient noir, tout devient bruit en moi. Et c’est en essayant de fuir ce tapage nocturne que j’en amplifie les effets démoniaques. Ainsi, telle la malédiction d’Œdipe, c’est en t’évitant que je te réalise, en te fuyant que je me cogne à toi, en te semant que je te récolte ! C'est en accélérant dans un sens inverse que je me prends les pieds dans tes mains, oui.


Le silence revenu d’entre les morts, la lumière de retour de son exil et je reprends moi, le gouvernail de ma barque – et alors les ténèbres et les rats quittent le navire et alors emportant entre tes dents à la fois lambeaux de ma chair et lambeaux de ma joie quotidienne tu disparais pendant un temps. Mais, dans les tiédeurs de ces accalmies, Troué je demeure, ma sève se meurt, et dans ces trous, la frustration s’élève. Dans ces moments, je m’enracine dans l’angoisse de ta réapparition. Car l'attente, que je ne te le répète pas !, c’est l’angoisse. Pourquoi à chaque fois ces arrivées bruyantes à l’improviste ? Pourquoi toujours ces piétinements de tes mains sur un corps qui pourtant t’appartient, nous appartient ?! N’oublie pas que tes larmes sont mes rires et mes rires tes larmes... Tu es mon image inversée d’un miroir qui nous sert à tout deux de corps.


Il suffit que je danse pour que tu m’envoies la pluie, que je ris pour que tu m’envoies des dieux en colère ! Tu cherches constamment à me déplaire. Mais, je le répète, pourquoi ? Pourquoi tout cela ? Hein ? C’est, je crois – non, j'en suis sûr en fait –, c'est quand je te pose une question que tu me réponds par un silence et c’est quand je dialogue avec le silence qu’il est question que tu (ré)agisses sans même rougir de n'avoir point d'idée de repentance ! Ton cheval de bataille à toi, c’est donc l’antithèse (tranchante, dois-je ajouter). Eh bien sache que moi, le mien d'animal prend plutôt l’allure d’un cheval de Troie : l’anaphore comme arme fatale. J’aime à patienter dans la répétition d’un terme déjà mille fois entendu. Dans cette attente, et sous les fourreaux de belles phrases et des effets de style offerts, ainsi j’aiguise mes armes.

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