Le Génie des origines

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Le roi dansera avec ses chaînes à la cour du bouffon vengeur !

Adversaire, tu m’as toujours appris à reconnaître, dans ma chair jusqu’à mes os, à quelle engeance j’appartenais en réalité : race d’or, supérieure entre toutes, âge des Héros chez Hésiode !

À la seconde où je suis né, l’air ne me venant pas, le cri alors contenu au fond de mes entrailles, je pris la décision de mener la révolte dans le silence. Les ténèbres précipitées sur mes yeux à la paupière en peine de se lever, l’obscurité d’où je sortais la seconde d’avant me rappela de toutes ses forces à la retrouver comme le ferait une mère avec son fils loin de son giron pendant trop longtemps. L’hésitation fut longue. L’univers ne savait encore quelle allure prendre pour moi. Les larmes s’échappèrent de mes deux petits globes cependant que la vie s’agitait à leur surface. D’un feu follet à l’autre, la vie “luminait” à toute vitesse au-dessus de mes petits yeux noirs, telle la luciole convulsant à la face d’une mer dressée, hérissée de toutes ses vagues. Je balançai entre mort et vie, Thanatos Eros, entre obscurité et lumière ; quand, tout d’à coup, le halo apparut, pour bientôt laisser place à l’étoile qui célébrerait la victoire de la lumière ! Mais l’étoile était filante : à peine apparue qu’elle disparut. La vie se déchira d’un cri pendant que je demeurai moi, silencieux dans mes prières. Mes yeux brûlèrent d’abord, puis louchèrent peu après sur la grande lame de celle qu'on appelle faucheuse, jusqu’à s’évanouir, enfin, dans le trop de noir qui broutait, dents acérées, le champ de ma pauvre vision.

Vivre est une lutte. Nous sommes, nous, des survivants du Chaos d’où l’on vient et de ses cris de misère qui n’ont de cesse, tout au long de notre peine sur terre, de nous rappeler.

Je pris le parti de vivre. une chose en moi, d’éminemment puissante, étrangère, d’éminemment téméraire, folle ! jeta mes paupières en arrière et mes yeux s’ouvrirent avec un éclat qui ne mentait plus : la vie. Et ce fut dans un même souffle que mon cri te mit au monde et que ta vengeance de naître fit redoubler l’intensité de mon cri. Le bruit fut d'enfer. Une guerre entre dieux de même corps avait débuté dans l’ombre. Et elle se poursuivrait désormais dans les foudres du ciel, que seule notre colère l'un contre l'autre nous donnerait à voir. Je compris alors que j’appartenais à une autre race, une solaire, mais bipolaire, dérangée ; une qui s’envolerait du ciel des hommes pour atteindre celui du grand Homère !

Petit garçon, mes yeux photographièrent la surface de ce monde d’enfance – en proie à la nostalgie des temps où, nourrisson, je peignais encore sa profondeur. De mes mains d’enfant j’imprimai les roches marines de petites secousses avec l’intention que le fruit des origines y tombe, avec le désespoir qu’elles me livrent le bonheur, le secret de leurs ancêtres : les graviers, les grains de sable, les étoiles...

Je ne t'entends plus maintenant. Ni tes soupirs ni même tes rires. Que t'arrive-t-il tout d'à coup ? Après tout, tant mieux ! Je ne vais pas m'en plaindre. Poursuivons alors la digression, avant que l'harmonie entre nous s'évanouît.

Aujourd'hui, et demain, malheur aux arbres qui pleurent et pleureront des larmes de séquoia dans une obscurité sans étoiles ! Malheur aux chiens à trois pattes qui aboient et aboieront au clair de lune, malheur aux marrons qui roulent et rouleront sous la révérence d’un sol qui aux origines n’était pas pleureur ! À croire que la terre est redevenue plate et que c’est après avoir fui les honneurs ( d'on ne sait qui ? ) qu’elle penche maintenant plein de sueur d’un côté... Alors que, oui, au temps des commencements, il en allait tout autrement pour ces témoins silencieux du passé : bonheur au sol debout qui riait aux éclats et aux arbres d’automne mais d’humeur toujours estivale et qui ne perdaient pas plus de feuilles que de temps à pleurer les jours passés ! Bonheur encore aux races canines qui s’ébattaient tous de concert à la face d’un soleil éternel ! ( Loin encore du jugement dernier humain, et dont le marteau décrétera le paradis en vérité pour peu – l’indifférence, la vie à l’état sauvage – et l’enfer pour tous les autres – la muselière, la niche, le servage.)

Petit garçon, je vivais dans un monde qui ne m’appartenait pas, qui ne méritait pas mes hommages. De même que l’oiseau pris en otage dans une cage où seuls les chants arrivent à passer au travers des barreaux, de même que mon corps enchaîné au carcan terrestre enviait la nuée de mes songes s’envolant par-delà le dôme et de ses orages qui me retenait prisonnier.

Vouloir naître relève d’un choix, grandir d'une nécessité. Depuis les berges célestes d’un paradis perdu, tes mains me poussent, ô génie vengeur ! Et d'un saut de l’ange, je tombe dans le foin de la grande charrette des hommes charriée par trois gargouilles d’un âge ancien.

Adieu, ô origines... ! À peine plus haut que trois pommes, petit garçon, je pris conscience des rouages d’une tragédie qui se jouait et se jouerait ad infinitum sur le théâtre du monde.

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