Douter

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Nina devait bien s’avouer qu’elle n’en pouvait plus d’attendre. Elle savait que Liz ne la rappellerait pas tout de suite. Son départ n’avait pas marqué le début d’une idylle. Elle-même s’était posé la question de son intérêt dans une telle relation, après avoir dormi tout son soûl. Liz était vraiment attirante, au-delà même du physique. Sa personnalité avait tout de suite plu à Nina et elle avait pu se libérer de ce poids. Elle savait que ce n’était qu’un premier pas. Mais cette nuit, ces caresses, cette jouissance partagée avec Liz... Tout cela lui prouvait qu’elle y arriverait.

Elle avait même repris les cours plus assidûment. Le cœur beau­coup plus léger, elle se plongeait à nouveau dans sa vie estudiantine, bottant en touche aux questions de quelques unes de ses amies sur sa présence en pointillés des derniers temps.

Avoir partagé le boulet de ce souvenir avait allégé Nina. Pendant de longues heures. Même quelques jours. Mais force était de constater une chose : à quoi servait de lui avoir parlé de ça, à quoi servait cette soirée dans ses bras, si elle se retrouvait par la suite sans avoir avancé d’un iota ? Elle n’avait pas raconté à ses parents ce qui lui était arrivé, son frère continuait de lui lancer des regards en coin pour lui signaler qu’il l’avait à l’œil et qu’elle n’avait pas intérêt de leur en parler, ses amis étudiants croyaient toujours tout savoir d’elle et elle n’avait pas plus le courage de leur en parler à eux. Elle comprenait surtout que cette soirée avec Liz avait eu deux conséquences définitives : elle avait un nouveau secret qu’elle n’était pas prête de partager avec quelqu’un (elle connaissait les opinions bien tranchées de certains et certaines sur l’homosexualité), et elle avait creusé le fossé entre elle et ce monde auquel elle faisait sem­blant d’appartenir.

En plein cours de droit des régimes matrimoniaux des plus ennuyeux, Nina pensait à Liz. Et comme à chaque fois, elle pensait d’abord à elle avec sensualité. Elle se revoyait l’embrasser dans le parc, à l’endroit où elle avait été violée. Se revoir oser une chose pareille la faisait sourire en rêvant. Elle repensait à leurs corps l’un contre l’autre, dans sa chambre. Elle n’avait pas réussi à se persuader de changer les draps, depuis. Parfois, elle se trouvait nunuche et puérile. Mais depuis ce soir-là, elle s’endormait avec le sourire. Parce que dormir dans ces draps lui faisait penser à elle. Et comme pendant ce cours, son corps réagissait à ces souvenirs. Sur sa chaise, elle commençait à se contracter par à-coups. Elle sentait son ventre se réchauffer, diffuser dans son corps des ondes de bien-être. Revoyant le visage de Liz planté entre ses cuisses, elle se mordillait la lèvre, ses contractions gagnant son périnée et son vagin. Alors elle se sentit mouiller. Elle avait un peu honte, mais se sentait si bien.

Puis vinrent les questions. Plusieurs jours qu’elle lui avait donné son numéro et pourtant aucune nouvelle. Elle l’avait pourtant senti dans son dernier baiser, vu dans son regard. Liz ressentait quelque chose pour elle. Quelle cruche ! Elle aurait dû lui demander son numéro ! Si elle ne se sentait pas prête pour le reste, comme elle l’avait dit, elle aurait dû prendre son numéro. Elle aurait appelé, elle. Elle l’aurait aidée à se préparer. Elle savait qu’elle aurait été patiente tant que Liz lui faisait une place dans sa vie... et peut-être dans son lit de temps en temps.

Nina avait découvert de nouveaux plaisirs qui l’avaient bous­culée. Elle n’aurait jamais cru que ça lui plairait. Elle n’aurait jamais cru qu’elle aurait même l’occasion de connaître ça. Elle n’aurait surtout jamais cru être celle qui ferait le premier pas vers une autre femme. Elle avait beau regarder les autres femmes, elle ne ressentait aucune attirance. Elle les imaginait plus facilement coucher avec d’autres femmes, elle pouvait même s’imaginer avec elles. Mais pas vraiment d’attirance à proprement parler. Après l’avoir vécu, il était juste plus facile d’imaginer, savoir que cela pourrait être finalement possible. Jamais elle n’aurait pensé que le faire avec une autre femme aurait été si simple. Les seules fois où elle avait imaginé le faire, c’était dans le cadre d’un trio, avec un homme jouant le troisième.

Liz était vraiment spéciale. Et la distance que la punkette met­tait entre elles en la laissant attendre rendait Nina de moins en moins certaine des bienfaits de cette soirée. Était-ce seulement vraiment arrivé ? Il pouvait lui arriver d’en douter... Mais son corps se souvenait de chaque geste, chaque caresse, chaque baiser. C’était bel et bien arrivé, c’était aussi réel que ce dernier regard, ces derniers mots, que Liz avait eu pour elle. Alors pourquoi ne rappelait-elle pas ? Avait-elle rêvé ? Peut-être n’avait-elle été qu’une conquête parmi d’autres et que depuis, Liz se vantait de s’être tapé une bourgeoise dans sa propre maison ? Et ses amis devaient rire à gorge déployée. Ils trinquaient ensemble, se moquaient d’elle, et pendant ce temps-là, elle attendait un coup de fil qui ne viendrait jamais.

Mais à chaque fois qu’elle pensait à ça, elle la revoyait partir. Hésitante, les yeux fixés sur elle. Nina était persuadée qu’elle partait à contre cœur. Elle pouvait être naïve, parfois, mais son cerveau avait beau penser au pire, son cœur lui disait exactement l’opposé. Plusieurs de ses réactions dans la soirée avaient prouvé à Nina que Liz était sincère. Et de toute façon, Nina ne voulait pas qu’il en soit ainsi.

— Hey, Nina !

C’était Mélissa. Une fouine, mais assez sympa pour être une des filles de la promotion les plus appréciées. Malgré son physique un peu ingrat. Un surpoids dont elle n’arrivait pas à se débarras­ser contrebalancé par un doux visage tout en rondeur. Et elle était assez maligne pour mettre ses seins imposants en valeur. Quand quelqu’un la regardait, ses yeux tombaient aussitôt sur son décolleté. Personne n’échappait à la règle, et Nina non plus quand elle se tourna vers sa voisine.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-elle à voix basse.

— Ben toi, qu’est-ce qu’il y a ! s’exclama Mélissa. T’es toute bizarre depuis un moment. Et là tu rêvasses toute seule. T’es amou­reuse, ou quoi ? lui fit-elle en lui lançant un regard complice appuyé d’un coup de coude.

Nina rougit instantanément. Elle fut gênée de sa réaction et rougit de plus belle. Et au petit ricanement de Mélissa, elle ne put que lui répondre :

— J’ai rencontré quelqu’un, oui. Mais... ce quelqu’un ne me rappelle pas. C’est compliqué, tenta-t-elle afin de conclure cette gênante discussion, car en aucun cas elle ne voulait que qui que ce soit ne sache qu’il s’agissait d’une femme.

Mélissa ricana de nouveau. Nina savait qu’elle était celle qui colportait le mieux les ragots, alors elle fit semblant de se remettre à suivre le cours. Mais c’était sans compter sur l’appétit de sa voisine qui lui remit un petit coup de coude pour attirer son attention.

— Et qu’est-ce que t’attends pour le rappeler ? lui demanda-t-elle.

— Je n’ai pas son numéro.

— C’est un garçon de la fac ?

— Non, répondit sèchement Nina qui commençait à en avoir assez de cet interrogatoire.

— Alors retourne où tu l’as rencontré. Franchement, Nina... À part s’il est marié, il pourra pas te résister !

Nina lui sourit. Un garçon. Si elle savait ! Mais Mélissa lui avait donné une idée. Certes, elle y avait déjà pensé. Pourtant, lorsque cela vint de son amie, elle comprit qu’elle devait le faire. Retourner à ce bar, la voir, parler avec elle, et être fixée une bonne fois pour toute. Peut-être que Mélissa avait raison, peut-être que Liz ne résisterait pas à la prendre dans ses bras, l’embrasser. Nina en soupira d’avance.

— Tu as raison, Mélissa. Je vais faire ça, lui dit-elle enfin.

— J’ai toujours raison, lui répondit la ronde avec un clin d’œil. Mais tu me raconteras tout en détails, tu me dois bien ça !

Elles ricanèrent et se concentrèrent à nouveau sur le cours. Nina s’imaginait pourtant arriver à ce bar. Et la journée fut longue. À peu près tous les scénari possibles étaient passés au crible de sa conscience. Les plus décevants comme les plus enthousiasmants. Plus elle y pensait, plus elle sentait son cœur s’emballer. D’impatience, d’envie, de crainte, de peur.

De retour chez elle, elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Elle entendait à peine les questions de sa mère sur sa journée, y répondait par automatisme sans grande conviction. Nina n’avait plus qu’une chose en tête : sortir ce soir et retrouver Liz, où qu’elle se trouvât. Il fallait pourtant supporter le repas familial. Le père mettait un point d’honneur à ce que l’ensemble de la famille soit présent au dîner. Il y avait quelques exceptions, surtout pour lui et son frère, mais en règle générale, c’était ce qui se passait.

Nina se surprit elle-même à ne pas réagir aux coups d’œil de son frère. Il avait remarqué que quelque chose la travaillait. Il craignait qu’elle ne parle. En fait, elle avait eu très peur d’en parler elle-même. Mais lui en avait encore plus peur. Aujourd’hui, sa mère se remettait de son opération, et plutôt bien. Si elle leur disait, ça ne changerait sûrement rien. Elle ne porterait pas plainte, car elle n’aurait pas de suite. Plusieurs mois avaient passé et il était certain qu’on ne le retrouverait pas. Alors à quoi bon ? Mais cette petite pourriture... Lui subirait les conséquences de son acte. Oh que oui ! Si Nina en parlait aujourd’hui à ses parents, elle pouvait être certaine que la question tomberait : « Mais pourquoi n’as-tu rien dit ? ». Et elle répondrait. Elle leur dirait que leur fils adoré lui avait imposé le silence, se rendant complice de cet homme qui l’avait violée. Elle leur dirait, oui. Leur fils bien-aimé, la chair de leur chair, complice d’un viol, qui avait préféré le silence plutôt que de protéger sa sœur adoptive.

Elle le comprit à ses regards qui prirent ce soir-là une toute autre signification à ses yeux. Il ne s’assurait pas simplement qu’elle se taise, il se protégeait. Et cela lui donnait un ascendant sur lui. Parce qu’elle savait que ce qu’il lui avait fait le suivrait toute sa vie. Même au moment du partage de l’héritage. Même lorsqu’il tenterait de la renier, il ne le pourrait plus. Sans le savoir, il s’était lié à elle d’une manière tout à fait inattendue : il était à ses pieds. Cette pensée fut une douce vengeance, pour Nina. La rencontre de Liz l’avait fait renaître. Elle s’était découverte encore dotée d’un désir de vie. Eros avait reprit place en elle auprès de Thanatos. Et elle sortait grandie de cette absence imposée par la punk.

Nina se leva de table en précisant à ses parents qu’elle sortait rejoindre des amies, puis alla se préparer. Il était encore tôt et elle avait le temps. Liz était ce genre d’oiseau de nuit qui ne sort qu’une fois que les diurnes étaient couchés, songeait-elle. Dans sa chambre, elle choisit ses vêtements avec soin. Elle ne voulait pas être remarquée comme la dernière fois. Du moins, pas autant, pas de la même manière. Sur son lit commençaient à s’étaler diverses tenues, espérant en trouver une qui ne montrerait pas sa provenance bourgeoise. Ce mois de mars ne connaissait pour l’instant aucune giboulée, et les températures étaient plutôt agréables. Alors elle décida d’être à la fois “normale” et sexy. Pour Liz. Pour qu’elle ne lui résiste pas, comme disait Mélissa.

Elle jeta donc son dévolu sur sa robe tunique préférée, celle qui moulait si bien ses fesses et ses seins. Ne lui arrivant qu’à mi-cuisses, elle y rajouta un legging noir qui mettrait le haut en valeur. Ses bottes en daim qui montaient jusqu’aux genoux finiraient de parfaire sa tenue. Elle imaginait déjà Liz faire courir ses mains sur le tissu en lui picorant les lèvres. Et c’était un vrai délice. Un délice coupable, mais un délice tout de même. Parce que Nina devait bien s’avouer qu’il y avait quelque chose qu’elle ne comprenait pas dans ses sentiments. Elle avait couché avec Liz, et plus les jours passaient plus elle se sentait l’aimer, avoir besoin d’elle. Pourtant elle ne sentait pas être devenue lesbienne. C’était pourtant le propre d’une lesbienne : aimer une femme. Elle n’aurait su dire, à ce moment-là, si c’était parce qu’elle ne ressentait cela qu’avec Liz ou si c’était parce qu’elle niait sa propre nature. Peut-être un peu des deux. Mais elle avançait malgré tout. Aucun questionnement ne pouvait la faire reculer. Liz avait eu cet effet sur elle : elle avançait coûte que coûte.

Ce fut donc avec naturel qu’elle choisit ses dessous les plus affriolants. Un ensemble string ficelle et soutien-gorge qui était normalement accompagné d’un porte-jarretelles, mais qu’elle laissa cette fois de côté. La douceur du tissu était à tomber par terre. La dentelle était fine et délicate. Elle espérait vraiment que Liz apprécierait.

Elle prit une longue douche. Il lui était difficile de ne pas se laisser aller à quelques caresses en pensant à cette femme qui l’avait ranimée, sortie de ce cauchemar. Mais elle restait concentrée sur son objectif, malgré cette petite voix de plus en plus audible qui lui répétait que Liz l’avait déjà oubliée, qu’elle allait se ruer vers une défaite assurée, que si elle n’était pas une vraie bourgeoise elle était encore moins du monde de Liz et que celle-ci n’avait que faire d’une petite greluche dans son genre qui s’amourachait à la moindre embrassade. Son cœur lui disait de foncer, son cerveau d’y aller mollo. Et Nina se forçait d’écouter son cœur et uniquement son cœur.

Moment de répit. Le tissu glissait sur sa peau, comme des caresses. Elle pouvait déjà sentir Liz contre elle. Ses petits tétons contre ses seins plus volumineux. Elle voulait sentir son odeur, sa douceur virile. Ces pensées requinquèrent Nina et elle jeta sa veste sur ses épaules avec aplomb. À peine eut-elle refermé la grille derrière elle que le doute s’immisça à nouveau en elle. Une bonne demi-heure de marche. Trente minutes à lutter contre l’hésita­tion. Trente longues minutes à se répéter que tout allait bien se passer. Après tout, elle ne sera peut-être pas là et je m’en fais pour rien. Mais repousser le moment de la revoir serait insoutenable. Elle se connaissait et savait qu’elle n’arrêterait pas de penser à tout cela. Les doutes finiraient par prendre le dessus et elle n’oserait plus.

Ce soir-là, elle osait et ne rentrerait pas avant d’avoir une réponse définitive. Soit elle devait aller de l’avant sans elle, soit elles seraient ensemble ce soir. Elle marcha trois quarts d’heure, en se perdant. Elle finit pourtant par arriver devant le bar où elle l’avait rencontrée. Son cœur semblait vouloir sortir de sa poitrine, elle avait les joues en feu.

Derniers moments d’hésitation. L’heure de vérité. Je fais demi-tour ou j’entre dans ce bar sans retour possible. Car Nina le savait. Il était fort possible que même en l’absence de Liz, certaines personnes puissent la reconnaître et en informer la punkette. Elle tremblait de tout son corps mais n’avait pas froid. Nina était morte de trouille et n’osait plus avancer, restant idiotement regarder l’écriteau « Apérock », qui donnait directement le ton. Un groupe de trois personnes passa près d’elle et la sortit de son état végétatif. Elle les interpella timidement et leur demanda une cigarette et du feu. Elle l’alluma, les remercia et se retourna vers le bar en les laissant continuer leur chemin. Nina prit une grande inspiration et se dirigea vers la porte.

Lorsqu’elle ouvrit, elle se prit le son en pleine poire. Une guitare hurlante qui était à deux doigts de lui faire pleurer les oreilles. Le rock, elle appréciait, du peu qu’elle en connaissait. Mais ça, c’était juste trop violent pour elle. Et beaucoup trop fort ! Pourtant, il n’y avait que quelques clients dans le bar. D’un coup d’œil, elle sut qu’ils étaient sept, plus le patron, un petit bonhomme tout rond et chauve avec une dégaine de biker, tatoué même sur le crâne. Il agitait ses bras en l’air au rythme de la musique, imitant un batteur, devant cinq clients pliés en quatre. Les deux autres étant installés à une table un peu plus loin à regarder le spectacle en riant aussi.

Personne ne fit vraiment attention à son entrée. Et encore moins le patron qui était parti dans un mime endiablé. Sûr qu’à un concours de air-batterie, il ferait fureur. L’endroit était bas de plafond et sentait le tabac à plein nez. Nina avait bravé l’interdit en rentrant avec sa cigarette allumée et s’assit à un tabouret du comptoir pour la terminer, à une distance respectable du groupe, essayant de ne pas grimacer à la musique.

Elle se mit à observer les gens pour oublier la raison de sa présence ici, oublier qu’elle n’était pas à sa place parmi eux. Les deux attablés semblaient être un couple. Assis sur une banquette, elle voyait leurs mains l’une dans l’autre. Ils se jetaient des regards complices, amusés par le patron qui faisait le pitre. Ils respiraient l’amour dès qu’ils se regardaient. Le jeune homme n’était pas du tout le genre de Nina. Grand et barbu, on ne voyait pas son visage, et elle aimait voir la bouche d’un homme. La femme était elle bien trop marquée par les années d’alcool et de tabac pour faire naître quoi que ce soit en Nina. Mais ensemble, elle les trouvait beaux. Les cinq autres étaient cinq amis, ça sautait aux yeux. Les mêmes couleurs (dominante de kaki), à peu de choses près les mêmes coiffures (crêtes en berne), les mêmes piercing. Une bande de caricatures de punks, déjà cuits, apparemment, à 21h.

Le morceau se termina. Le patron baissa le son en se faisant applaudir par la bande de jeunes punks. Nina souriait de bon cœur, malgré tout, lorsqu’elle entendit la voix rauque du barman lui souhaiter le bonsoir et lui demander ce qu’elle voulait. Elle aurait bien répondu « Liz », mais commanda une bière en écrasant sa cigarette.

Puis vint l’attente. Elle buvait son verre à petites gorgées. D’autres clients commençaient à arriver. À chaque fois que la porte s’ouvrait, elle se tournait brusquement vers elle. À chaque fois, elle était déçue, à chaque fois elle retournait à son verre qui se vidait petit à petit. Et lorsqu’il fut terminé, elle en commanda un deuxième. Il n’était que 21h30 mais le bar se remplissait, les discussions formaient un brouhaha presque berçant. Mais elle se sentait de moins en moins à l’aise. Tous et toutes jetaient des regards vers elle en se demandant qui elle était. Pas un seul ne s’était pas demandé ce que ce genre de nana faisait là toute seule. Et à 21h45, Nina décida de sortir. Elle pourrait attendre dehors, non loin du bar, mais surtout pas sous les regards de tous ces gens. Peut-être même que certains ou certaines l’avaient reconnue et trouvaient ça hilarant. Elle descendit de son tabouret et ouvrit la porte en prenant une grosse bouffée d’air, sentant les larmes lui venir. Elle devait paraître si pathétique. Elle fit quelques pas en cherchant un endroit où s’asseoir pour attendre encore un peu quand elle entendit quelqu’un l’interpeller :

— Hey, toi !

Nina se retourna, prise entre la surprise, la peur et l’espoir. Elle savait qu’il ne s’agissait pas de Liz, elle l’aurait reconnue au son de sa voix. Un petit bout de femme qui avait sûrement quelques années de plus qu’elle. Son truc à elle, c’était le jean’s, apparemment. Veste et pantalon de cette matière, elle se traînait en baskets et ne portait qu’un débardeur en-dessous. Ses seins opulents remuaient pendant sa course jusqu’à Nina, qui lui répondait d’une petite voix hésitante :

— Oui ?

— Hey ! C’est toi qui t’es barrée l’autre jour avec Liz, non ?

— Heu... Oui, c’est moi, répondit-elle en rougissant.

L’autre lui tendit une main bien blanche et frêle en se pré­sentant :

— Moi, c’est Véro. Une très bonne amie de Liz.

Nina lui serra la main avec un sourire niais qu’elle eut beaucoup de mal à retirer. Mille questions inondèrent son cerveau en l’espace d’une seconde. Avait-elle un message pour elle de la part de Liz ? Vue son attitude avenante, cela ne pouvait pas être une mauvaise nouvelle. Peut-être même que si cette Véro l’avait reconnue, c’était que Liz lui avait parlé d’elle ? Et en croisant ce regard taquin de la blonde décolorée aux gros seins, elle ne pouvait que lui avoir parlé d’elle en bien !

— Nina. Enchantée.

— T’es venue essayer de la revoir, hein ? Mais elle sera pas dans le coin, ce soir.

— Oh, je... non... Je passais dans le coin, je me suis simplement dit que peut-être...

— Pas la peine, Nina ! s’exclama Véro en ricanant. Je vois qu’elle t’a chamboulée autant que tu l’as remuée, toi. Depuis ce soir-là elle est d’une humeur de chien. Enfin, je veux dire, plus que d’habitude. T’es la première à l’avoir mise dans cet état. Et je peux te dire que je la connais. Enfin je croyais. J’étais persuadée que c’était un mec qui lui ferait ça un jour.

Nina devint écarlate malgré sa peau. Elle sentit une vague de chaleur l’envahir et eut envie de détaler sans un mot de plus. Mais elle était comme clouée sur place. Cette nana la regardait avec malice et ça la rassurait, mais elle n’arriva qu’à bafouiller :

— Je... Enfin... j’en... suis ravie, oui... Je crois.

— Viens, on va s’asseoir, lui fit Véro en lui tapotant l’épaule. Une clope ?

Nina en prit une en tremblant et suivit Véro un peu plus loin où elles s’assirent sur un petit muret.

— Tu sais, Liz, c’est un vrai mystère. Un château-fort. Je sais pas ce que tu comptes faire avec elle exactement et ça me regarde pas. Mais je l’ai vue te regarder, ce soir-là. Et j’ai vu comment elle m’a envoyée chier quand j’ai voulu savoir comment ça s’était terminé. Sans déconner, t’es balaise. Mais elle est pas le granit qu’elle semble être.

— Oui, j’ai cru le comprendre, la coupa Nina. Enfin... le déduire.

— Ouais, c’est exactement ça ! s’exclama Véro en ricanant. On peut que déduire, avec elle. Mais y a une chose qu’est sûre, pour moi, sa meilleure amie. Tu l’as envoûtée. Et elle pense que vous êtes peut-être faites pour être ensemble. Au moins un temps. Tu serais bien la première à qui ça arriverait. Du moins depuis ces trois dernières années. Je l’ai jamais vue avoir envie de plus d’un soir. Mecs ou nanas. Mais tu vois, cette envie, elle la repousse. Alors je dois te prévenir, jolie Nina. T’attends pas à un accueil facile.

Véro plongea une main dans sa poche arrière en tortillant du cul et lui tendit un papier en lui expliquant.

— Je t’ai remarquée tout de suite en arrivant. J’ai tout de suite su pourquoi t’étais là. Mais je savais pas si je devais. Bref. Quand je t’ai vue te barrer, je me suis dit que ce serait tellement dommage. Même si ça foire, elle s’en remettra, je pense. Mais j’aimerais bien que ça marche. Alors voilà ta chance. Votre chance. J’ai essayé de la faire bouger mais elle m’a dit qu’elle restait se faire un film chez elle. J’espère que c’est pas un film de cul.

Nina ricana avec elle par réflexe. Elle avait le papier dans la main mais n’osait pas le déplier. Son cœur battait ses tempes au point de lui lancer des pics de douleur. Avec des gestes aussi sûrs qu’une Parkinson, elle se décida à ouvrir le mot. Il s’agissait de son adresse, griffonnée par Véro juste avant de lui courir après : « 47 rue Émile Zola, l’appart sous les toits, au 4ème ».

Elle avait les mains moites et regarda Véro, les yeux pleins de considération. Elles se sourirent, toutes les deux un peu gênées mais heureuses.

— Allez, file, lui fit Véro.

Nina bondit sur ses jambes et commença à se diriger vers la rue de Liz qui n’était pas bien loin. Elle avait vu ce nom l’autre soir sans savoir exactement où c’était. Mais elle avait repéré un arrêt de bus où il y avait une carte. Elle s’arrêta net dans sa marche et fit volte-face. Elle courut jusqu’à Véro et la serra dans ses bras.

— Merci. Vraiment, lui dit-elle, les yeux humides.

Véro lui rendit son étreinte puis la repoussa gentiment en repre­nant son air de bonne femme désabusée :

— Allez, dégage. Et rends-la heureuse.

Nina ne répondit que par un rire nerveux avant de repartir, le cœur léger. Dix minutes plus tard, elle montait les marches du 47 de la rue Zola, le cœur beaucoup plus lourd, battant à tout rompre. Quatre étages à monter. Elle n’était pas arrivée au premier qu’elle se demandait si elle y arriverait. Elle suait à grosses gouttes, elle s’était faite belle et allait débarquer en puant la sueur. Ses jambes allaient la lâcher, c’était sûr et certain. Elle s’appuyait à la main courante, essayant de faire mine que tout allait bien. Mais plus rien n’allait. Plus elle se rapprochait de Liz, moins elle était sûre d’elle.

Et c’est presque avec surprise qu’elle découvrit qu’il n’y avait plus de marches à monter. Juste une porte devant elle. Des odeurs d’herbe s’en dégageait, mais Nina n’avait même plus la force de sourire. Elle sentait ses tempes inondées de sueur, tout comme ses aisselles. Comment était-ce possible qu’elle soit là, elle ? Aussi fébrile que si elle se dirigeait à l’échafaud. Alors qu’elle s’apprêtait à revoir Liz ?

Elle prit un temps qui lui parut des heures. Retrouver son souffle, ne pas penser à ce qui allait se passer une fois la porte ouverte. Son corps se refroidit petit à petit. Elle sentait l’odeur âcre de sa transpiration, mais son cœur avait repris un rythme à peu près acceptable. Sa bouche était pâteuse et ses pas vers la porte vacillants. Mais elle ferma son poing et frappa à la porte.

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