Épanouir (s')

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Plusieurs semaines plus tard, Liz et Nina paraissaient changées. La bourgeoise timide et peu sûre d’elle avait fait place à une séduc­trice hors-pair. La punk sombre l’était toujours autant mais son regard brillait en permanence, et son sourire illuminait ses traits.

Véro avait constaté avec joie que Liz n’était plus la première à sauter sur les embrouilles. Si elle avait toujours cette répartie cin­glante qui faisait d’elle ce qu’elle était et ce que Véro aimait, elle était beaucoup moins ambiguë sur le fond de sa pensée. Elle voyait avec plaisir son amie s’ouvrir à une vie où l’amour avait enfin une place, où enfin elle pouvait ne pas la voir pendant des jours sans s’inquiéter pour elle.

De son côté, Nina avait trouvé un bon compromis entre sa vie du côté des beaux quartiers et celle auprès de Liz. Lorsqu’elle était chez elle, Nina était la fille sage qu’elle avait toujours été. Son père ne remarquait rien et c’était le principal, étant celui qui était garant de la famille sous les projecteurs. Son frère, lui, avait eu le droit à un aperçu de la nouvelle Nina. Finis, les coups d’œil en coin, finies les insinuations comme quoi elle ne faisait pas partie de la famille. Avec les conseils de Liz, elle avait réussi à mettre les points sur les i...

— Toute façon, lui avait dit sa punk, avec les mecs, y a pas de secret... Les couilles. Tu réfléchis même pas. Si tu veux te faire écouter, c’est à leurs couilles qu’il faut causer. Et si tu veux les menacer, c’est aussi à leurs couilles qu’il faut t’en prendre.

Alors Nina avait pris les conseils de Liz au pied de la lettre. Pendant que son frère était sous la douche, elle s’était glissée dans sa chambre. Cela lui donna l’occasion de connaître le nom de la fille qu’il baisait grâce à un texto reçu pendant qu’elle farfouillait dans ses affaires. Cet imbécile n’avait même pas besoin de donner son code pour lire ses messages. Ils s’affichaient directement. Le texto était de la part d’une certaine Perrine : « Puisque tu vas sous la douche, pense fort à moi. Je me caresse en pensant à notre dernière fois ». Nina sourit en coin et attendit patiemment qu’il sorte de la douche.

Une fois séché, il sortit nu de sa salle de bain et se dirigea vers le téléphone qu’il avait entendu sonner. Mais il n’eut pas le temps d’arriver jusqu’à lui. Il sursauta en voyant sa sœur adoptive se ruer sur lui. Celle-ci tendit un bras vers lui et il n’eut pas l’occasion de reculer. Comme le lui avait conseillé Liz, elle l’attrapa directement par les bourses qu’elle serra copieusement. La surprise et la douleur empêchèrent son frère de lutter :

— Mais qu’est-ce que... ?

— Écoute-moi, petite enflure, lui cracha une Nina enivrée par la poussée d’adrénaline que son cerveau déversait dans tout son corps. J’oublierai jamais ce que tu m’as fait. J’oublierai jamais qu’après mon viol, tu m’as enfouie plus bas que terre. J’ai décidé de ne rien dire quant à mon viol. Mais continue avec tes regards posés sur moi, comme si tu me dominais, comme si tu me maîtrisais. Et je te jure, petite merde, que non seulement papa et maman entendront parler de ce qui m’est arrivé, mais aussi du soutien que j’ai reçu de mon cher frère.

Il tenta un mouvement pour la repousser, mais elle serra plus fort, le pliant légèrement en deux, puis se recula, le laissant pante­lant. Elle se dirigea vers la sortie avec des airs de guerrière et lui lança avant d’ouvrir la porte :

— J’espère qu’on est bien d’accord.

Son frère hocha lamentablement la tête. Et depuis ce jour, il ne la prenait plus de haut. S’il avait même pu éviter de la croiser dans la maison, il l’aurait fait. Il n’y a jamais plus grosse merde qu’un homme qui, ayant profité de la faiblesse d’une femme pour se croire dominant, se prend un retour de bâton en pleine face lorsqu’elle se relève.

Seule sa mère adoptive avait remarqué quelques changements. Tout d’abord vestimentaires. Nina se laissait aller. Elle s’habillait comme une femme du peuple, et souriait beaucoup plus. Lors des repas en famille, elle était plus absente. Elle se dépêchait de manger et allait se préparer. Elle sortait presque tous les soirs. Elle frappa donc à la porte de sa chambre, un soir où Nina s’apprêtait à rejoindre Liz pour une soirée en tête-à-tête. Pas de bar, pas de squat, pas de club libertin, juste toutes les deux.

Nina la fit entrer et sa mère ne passa pas par quatre chemins. En société, Marie-Alice était toujours parfaite, jamais un mot plus haut que l’autre et jamais elle ne froissait ses interlocutrices avec des questions directes. Mais depuis son enfance, Nina avait eu une relation un peu plus privilégiée avec elle. À l’adolescence, ce franc-parler et les confidences qu’elles se faisaient avaient petit à petit disparu. Ce soir, toutefois, sa mère adoptive retrouva facilement ce contact qui, au fond, lui avait terriblement manqué :

— Je te trouve changée, Nina. Y aurait-il quelque chose que tu aurais à me dire ? Ou quelqu’un à nous faire rencontrer ? Voilà plusieurs semaines que tu sors presque tous les soirs en t’habillant de cette... façon.

Il n’y avait pas vraiment de reproche dans ses derniers mots, mais il était clair que la nouvelle manière de Nina de se parer n’était pas du goût de sa bourgeoise de mère. Elle ricana et vint vers sa mère, émue et nostalgique à la fois. C’est vrai que petite, elle aimait cette relation où elles se racontaient beaucoup de choses. Marie-Alice lui avait expliqué sans détour la raison de son adoption, ainsi que toutes les règles qui doivent régir la vie d’une jeune bourgeoise de son rang. Nina prit sa mère dans ses bras, sachant très bien qu’elle ne pourrait rien lui dire de bien précis. Elle savait la peine que ça lui ferait et elle ne voulait pas lui imposer cela :

— Maman... Je suis à un moment de ma vie où je dois connaî­tre autre chose. La fin de mes études approchent et j’ai le sentiment que je ne connais rien de ce monde dans lequel je vis.

— Mais en as-tu besoin ? Tu as tout ce dont tu peux avoir besoin, ici.

— Non. Et tu le sais très bien. Si je me souviens bien, tu as toi aussi fait tes expériences, d’ailleurs !

Marie-Alice se mit à rougir en regrettant un peu d’avoir raconté à Nina son premier amour. Un “mauvais garçon” comme elle disait elle-même. Nina avait d’abord pensé à un loubard, un de ces “blousons noirs” qui sévissaient à l’époque de la jeunesse de sa mère. Mais il n’en était rien. Il s’agissait simplement d’un garçon d’une famille de classe moyenne. Un adolescent qui, par son intelligence hors du commun, s’était vu ouvrir les portes d’un collège de renom à bas prix. La gloire de voir des articles de journaux parlant de ce petit génie des mathématiques avec un QI de 155 avait suffi à pousser le collège à faire une ristourne à cette famille. Désormais, les articles de journaux ne manquaient pas de mentionner le collège où étudiait cette star en herbe. Mais tout génie qu’il était, il ne maîtrisait pas les codes de la bourgeoisie, et ses parents encore moins. Jamais Marie-Alice n’aurait osé imposer la présence de ces gens simples à ses parents. Elle était pourtant éperdument amoureuse de ce Jacques. Et c’était leur dernier soir qu’il avait défloré Marie-Alice. Jacques partait dans un lycée qui le préparerait aux plus grandes écoles. Il allait passer son Bac en un an au lieu de trois et devenir rapidement le plus jeune étudiant de France, et un chercheur hors-pair. Ils étaient donc destinés à ne plus se revoir, et Marie-Alice s’offrit à lui. Elle avait raconté à Nina à quel point ce moment était d’une importance capitale pour une femme. Mais ce que Nina avait retenu, c’était la tristesse que ressentait encore sa mère à l’évocation de ce Jacques. Elle aurait pu avoir une belle vie avec lui, elle aurait pu le suivre et faire sa vie avec lui plutôt qu’avec cet homme psycho-rigide. Mais plus heureuse, elle n’aurait peut-être pas eu envie de sauver Nina. La vie était faite de petites décisions aux répercussions dont on ne peut jamais deviner les conséquences.

— Tu as raison, ma fille, lui dit une Maire-Alice dont le regard reflétait encore le regret de cette vie dont elle était passée à côté. Mais tu dois aussi penser à ton avenir. De femme, de mère. Tu es encore jeune, mais bientôt, il te faudra voler de tes propres ailes. Et tu connais ton père. Il ne supportera pas n’importe qui à tes côtés. Il y a des chances qu’il t’en parle d’ici quelques mois. Tu le connais, il aura des choix bien arrêtés.

Nina s’était crispée aussitôt.

— Es-tu en train de me dire que papa compte m’arranger un mariage ?

— Arranger un... ? Grand Dieu non, Nina ! Nous ne sommes plus au XIXème siècle, bien heureusement !

— Comme si ça n’existait plus. Maman, je t’aime, mais je n’aime pas quand tu essayes de le protéger comme ça. C’est quoi ? Il compte me présenter deux ou trois garçons et que je fasse moi-même mon choix parmi eux ? Comme ça, on ne pourra pas dire que je n’ai pas choisi ? Tu sais aussi bien que moi que ça n’arrivera pas. Et franchement, maman. Élitiste comme il est, est-ce qu’il a une seule chance de trouver une famille qui voudra d’une bru noire ? Et adoptée, de surcroît !

Marie-Alice se fit toute petite, comme si elle se recroquevillait sur elle-même. Elle faisait cela lorsqu’elle défendait son mari sans vraiment être d’accord avec lui. Alors elle cachait des choses et ne les dévoilait qu’en cas d’obligation. Ce qu’elle dut faire, là.

— Disons qu’il se contentera de...

— Je ne veux pas entendre ça, maman. Il me dégoûte, quand il fait ça. J’ai toujours été bien consciente que tu as dû insister pour m’adopter. Et je me suis fait à cette attitude de colon qui a sauvé une petite négresse en croyant simplement céder à une lubie de sa femme. Mais aller jusqu’à... me brader ! Tu peux aller lui dire : je me débrouillerai seule et trouverai quelqu’un qui m’aimera pour ce que je suis, et non pour ce que je peux lui apporter. D’ailleurs, j’espère bien que la personne que je vais retrouver ce soir sera celle avec qui je ferai ma vie.

— Nina, tu ne songes quand même pas à imposer à ton père ? Lui qui...

— Lui qui quoi ? Est-ce qu’il s’est simplement posé la question de savoir ce que je pourrais ressentir ? Avoir cru qu’il m’avait aimée, tout ce temps, pour qu’au dernier jour il me balance à quelqu’un qui de toute façon ne lui conviendra pas plus que ça ? Hé bien, maman, quitte à le décevoir, je préfère largement le faire avec panache !

Nina se tenait droite devant sa mère. C’est peut-être simplement à ce moment-là que Marie-Alice se rendit compte d’une chose. Nina n’était plus leur petite fille qu’ils protégeaient. Elle était devenue une femme, forte et belle. Elle avait un caractère de feu qui lui rappelait sa propre sœur, partie à 17 ans vivre en Norvège. Elle y était institutrice, s’était mariée deux fois et avait eu trois adorables enfants dont l’aîné de 16 ans parlait quatre langues couramment et se destinait lui aussi à être un grand voyageur. Elle aimait beaucoup sa sœur mais ce n’était pas le cas de son mari. Alors elles s’échangeaient des lettres, puis maintenant des emails. Cela faisait cependant tant d’années qu’elle ne l’avait pas serrée dans ses bras. Mais Marie-Alice avait la bourgeoisie dans le sang. Tous ces codes, ces valeurs, ces gestes, ces pensées, cette façon de vivre et de regarder le monde. Tout cela, elle l’avait intégré, fait sienne. Elle posa donc une main sur le bras de Nina qui s’apprêtait à sortir de la chambre.

— Laisse-le au moins te les présenter. Ça me donnera du temps pour lui parler.

Nina sourit à sa mère et lui embrassa le front. Elle ne répondit rien, laissant sa mère croire qu’elle le ferait. Mais en la voyant ainsi, Nina venait de comprendre une chose. D’ici quelques mois, elle ne vivrait plus chez ses parents.

*

* *

De son côté, Liz vivait aussi sur un petit nuage. Elle voyait Nina prendre ses marques dans son monde. Elle semblait s’embellir de jour en jour et ça se propageait sur elle-même. Liz avait beau clamer son anarchisme, son féminisme, son progressisme et plein d’autres trucs cool en -isme, elle avait besoin de rituels, elle n’oubliait pas que les symboles étaient parfois aussi importants que ce qu’ils repré­sentaient.

Alors elle était passée prendre Véro chez elle, sans la prévenir, bien entendu.

— Mets un truc sur tes fesses et viens, lui avait-elle dit à peine arrivée chez elle à 9h du matin.

— Putain, Liz, t’as pris quoi ? Nina est pas avec toi ?

— On s’est pas vues hier soir, elle avait un truc de famille et j’ai rien pris. Faut que tu viennes avec moi, Véro.

— Merde, je peux boire un café, au moins ? C’est quoi ton délire, encore ?

— Va foutre ton putain de froc pendant que je te sers un café. Tu le boiras dans la caisse, on a une heure et demi de route.

— Bordel ! Et moi qui croyais que Nina était en train de te calmer ! Tu peux au m...

— Ton froc, putain ! Ou je t’embarque en string !

— Ok, ok !

Puis Véro avait compris qu’il y avait un truc qui ne tournait pas rond une fois arrivées dans la voiture, chacune clope au bec, et Véro avec un verre en plastique rempli de café :

— Ces quoi ces putain de fleurs ? On va voir ta mère ou quoi ?

— T’es conne, ou quoi ? J’irais même pas lui en foutre sur sa tombe, à cette grognasse. Non, tu comprendras en arrivant.

Véro laissa Liz tranquille une bonne partie du trajet. Elle gérait la musique, demandait des nouvelles de Nina, lui donnait des nou­velles du squat. qu’elle avait un peu délaissé depuis l’arrivée de Nina dans sa vie. Mais tout le monde comprenait. Ils aimaient beaucoup sa copine noire, toute bourgeoise qu’elle pouvait être. C’est pour ça que Liz les aimait tant. La réciprocité dans le respect et dans l’irrespect. Souris-leur, et ils te donneront leurs plus beaux sourires en retour. Fais-leur une crasse et tu le regretteras toute ta vie.

Et c’est pour ça qu’elle avait tout de suite su qu’elle pourrait faire confiance à Véro, pour ça qu’elles étaient devenues les meilleures amies... et qu’aujourd’hui, elle voulait que ce ne soit pas un vain mot. Elle gara la voiture sur la place d’un village où Véro n’avait jamais mis les pieds. Liz sortit de là et prit les fleurs sans un mot, une énième clope entre ses lèvres. Elle fit simplement signe à Véro de la suivre, et pour une fois, elle était avare de mots. Celle-ci arqua un sourcil et marqua un temps d’arrêt en voyant Liz se diriger vers l’église :

— Qu’est-ce que... Putain, Liz, c’est quoi ton trip ?

Mais Liz marchait d’un pas décidé, recrachant d’épais nuages de fumée. Véro se pressa pour la rejoindre, se disant qu’elle finirait bien par avoir une explication. Elle s’alluma donc aussi une cigarette, n’écoutant que le bruit de leurs pas sur les gravillons qui menaient aux portes de l’église. Liz bifurqua sur la droite, en direction du cimetière. Une deuxième fois, Véro arqua un sourcil. Mais elle suivit encore. Liz marchait comme si elle connaissait l’endroit par cœur. Elle aurait embarqué Véro pour aller cogner du facho qu’elle n’aurait pas eu une autre attitude.

Puis elle s’arrêta net devant une pierre tombale. Elle était entre­tenue et avait récemment été nettoyée. Véro lut aussitôt les inscriptions, pendant que Liz se baissait pour y déposer les fleurs qu’elle avait ramenées : « Cécilia Dugrand 1992-2009 ».

— Putain... Tu la connaissais ? demanda-t-elle à voix basse en venant se coller à son amie.

Liz serrait les dents en regardant ce nom inscrit sur le granit. Tout son corps était tendu et elle sortit une cigarette qu’elle alluma en tremblant. Véro se tut, passa un bras autour de Liz, et attendit simplement de longues minutes que ça sorte :

— On s’est aimées, toutes les deux. Pas juste une nana avec qui j’ai baisé. C’est ma première tout. Ma première nana, la première fois que je couchais vraiment avec quelqu’un, la première personne qui me doigtait comme il faut... et mon premier amour.

Elle sécha quelques larmes du revers de sa manche et tira fort sur sa clope. Véro était sidérée. Elle avait fait le deuil qu’un jour, ces aveux viennent. Elle l’aimait de toute façon comme elle était. Elle avait peur de la suite, parce qu’elle savait que cette histoire finissait mal, vu le résultat sous ses yeux. Alors elle serra Liz encore un peu plus pour l’inciter à ne pas s’arrêter.

— On a fait l’amour sur une crique, un peu plus bas, par là-bas. Je savais même pas vraiment qu’elle était attirée par les filles. Enfin... Y avait des rumeurs, mais j’y croyais pas vraiment. Ou alors ça m’arrangeait. On n’a pas baisé, Véro. On a fait l’amour. Putain, c’était merveilleux.

Liz fit une pause, et pour la première fois depuis dix ans, elle en voulut à Cécilia. Elle lui en voulut de ne pas lui avoir donné l’occasion de l’aider, de ne pas lui avoir montré ce qu’elle ressentait vraiment.

— Qu’est-ce qui lui est arrivé ? demanda Véro avec une petite voix, à la fois curieuse de savoir et craintive d’entendre la réponse.

— Elle est rentrée chez elle, elle a pris le fusil de son père et elle s’est fait sauter le caisson.

Un long silence passa. Véro regarda, effarée par ce qu’elle venait d’entendre, le nom de la jeune fille. Puis son amie.

— Tu... Je veux dire... C’est pas ta...

— Si... la coupa une Liz autoritaire. Elle a laissé aucun mot. Rien, que dalle. Elle s’est foutue en l’air parce qu’elle savait ce qu’engendrerait ce qu’on avait fait ce jour-là. Moi, j’étais trop conne pour le comprendre. Mais je l’ai vu, ensuite. Putain, je l’ai pris en pleine gueule. Elle s’est foutue des plombs dans le crâne parce que j’avais aucune idée de la connerie humaine, parce que je voulais pas la voir. J’ai eu beau tourner et retourner la question. Elle s’est foutue en l’air parce que je l’ai souillée. J’aurais dû pouvoir l’arrêter. J’aurais dû lui dire non. Mais putain, j’ai toujours pensé qu’avec ma chatte.

Contre elle, Véro pleurait à chaudes larmes sans pouvoir arrêter Liz de dire de telles inepties. Mais elle savait par expérience qu’une Liz qui parle d’elle, ça ne s’arrête pas. C’était trop rare pour ne pas être précieux.

— Je veux dire... Je pense qu’elle-même était persuadée que ses envies étaient sales. Sinon, elle m’aurait laissé un mot, quelque chose, pour que je ne me sente pas coupable. Et aujourd’hui que je comprends, je lui en veux, putain. Ces dix dernières années, il s’est pas passé un putain de jour sans que je pense à elle. Et puis Nina débarque. Un matin, je me rends compte que la veille, j’ai pas pensé à Cécilia. Puis un autre matin, je me rends compte que ça fait deux ou trois jours. Cette nuit, je me suis réveillée. J’étais incapable de dire quand est-ce que c’était la dernière fois que j’ai pensé à elle. Je m’en suis voulu, d’être en train de l’oublier. Puis j’ai compris. Cette salope n’a pas pensé une seule seconde à moi.

Véro tenta de se reprendre, reniflant plusieurs fois en frottant le bras de son amie, raide comme un piquet devant la tombe.

— T’es trop dure avec toi ou avec elle, Liz. Putain, tu peux pas être responsable de ce qui se passait dans sa tête. Et tu peux pas non plus la juger aussi durement. Tu dois faire le deuil de Cécilia, Liz... mais aussi du fait de savoir. Tu pourrais bien passer encore dix ans à imaginer la raison de son geste. Tu pourras jamais être sûre de quoi que ce soit. Et en attendant, je suis là, moi. Et Nina aussi. Et je pense pouvoir parler en son nom aussi en disant qu’on veut pas te voir continuer de te faire du mal à cause de ça.

Liz tourna vivement la tête vers Véro. Elle la fusilla du regard... puis se mit à sourire. Elle la prit dans ses bras et elles se serrèrent de toutes leurs forces.

— Allez viens, je te paye un coup avant de repartir, Véro, lui dit-elle une fois l’étreinte passée.

— On en a bien besoin, ouais, lui répondit son amie aux yeux rougis. Merci.

— Non, remercie Nina. Je te dis pas ce qu’elle va prendre, ce soir, en guise de remerciement.

— Putain, Liz ! J’ai pas besoin de savoir tout, hein !

— Dommage... On n’aurait pas refusé que tu regardes !

Elles rirent ensemble. Elles se dirigèrent vers la sortie, Liz ne se retourna pas, avec le sentiment de laisser définitivement Cécilia derrière elle. Elle prit son portable tout en continuant de charrier Véro sur le seul sujet où il y avait une telle distance entre elles et écrivit un mot à Nina, qui devait être en cours : « Ton double de clés de mon appart est sous le paillasson. Mais c’est pas une raison pour y faire le ménage. Je dois passer voir Jean-Paul pour discuter, je serai rentrée vers 22h, je pense. J’aurai sûrement une grosse dalle ! ».

Devant un verre de bière, les deux amies se retrouvaient comme depuis toujours. Elles parlaient de tout et de rien, s’esclaffaient, se révoltaient ensemble. Elles savaient que rien ne changerait entre elles, encore moins maintenant. Véro était fière de Liz, de ce qu’elle venait de faire. Liz était fière d’avoir une amie aussi sincère que Véro.

Nina suivait ses cours sans conviction. Tout le monde était en ébullition. Quinze jours de vacances allaient débuter ce soir-même. Quinze jours qu’elle pourrait passer presque sans discontinuer avec Liz. Elle avait le cœur léger et sourit largement en lisant le texto. Elle y répondit rapidement : « Alors je nettoierai seulement tes jouets. Possible que je m’ennuie un peu en t’attendant ! ». Elle échangea un regard complice avec cette fouine de Mélissa, qui tentait presque tous les jours de savoir qui la rendait si heureuse. Peut-être allait-elle lui dire, après tout.

Et Jean-Paul faisait déjà les cent pas en s’impatientant, enchaînant les verres pour tenter d’oublier que ce serait sûrement la dernière fois qu’il verrait Liz.

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