Le Monde des Éphémères (1/3)

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Le ciel s'obscurcit alors que Garrett avance progressivement entre les arbres qui se dessinent face à lui. Eclairé de son téléphone, le trentenaire lit pour la énième fois l'invitation qu'il a reçue quelques jours plus tôt, tout en évitant de justesse les racines qui ralentissent sa progression. La surprise qui l'a tiraillé en découvrant l'enveloppe n'a durée qu'un court instant avant que la curiosité ne le possède avec brutalité. Après un bref moment d'hésitation, oscillant entre crainte et excitation, il a finalement opté pour la déraison en se laissant emporter par la fureur de vivre.

La nouvelle monotonie de son existence le rend nauséeux, lui, le professeur d'histoire qui se voit perdre toute passion pour son métier lorsqu'il pénètre dans sa salle de classe à l'aspect aseptisé. S'il a adoré ses premières années dans le monde de l'enseignement, c'est désormais avec lassitude qu'il donne cours à des élèves qui se fichent bien des dates et grands événements qu'il s'évertue à rendre intéressants.

Une main lasse passe dans ses cheveux afin de rabattre son épaisse méche blonde sur l'arrière de son crâne. Cela fait trois quarts d'heure qu'il déambule à la recherche de la demeure dans laquelle il est convié, pourtant la densité des troncs et feuillages s'épaissit à vue d'œil et aucune sorte d'habitation ne se présente dans les environs. Le soupir d'exaspération de Garrett s'élève alors que l'envie de faire demi-tour émerge doucement en lui.

— C'était idiot de venir jusqu'ici, se lamente-t-il en s'immobilisant contre un arbre, je perds mon temps. Cela ne peut qu'être une plaisanterie de la part de ces adolescents écervelés. De nos jours, c'est chose aisée de trouver l'identité et l'adresse d'une personne.

La tête contre le bois, il lève le regard vers le ciel où s'illuminent déjà quelques astres. Bien que momentanément cachée derrière une masse informe de nuages, la lune est pleine cette nuit. Garrett le sait, il calcule les changements de la déesse nocturne avec intérêt depuis son plus jeune âge, fasciné par sa beauté crémeuse, émerveillé par sa blancheur et sa capacité à se métamorphoser. C'est lorsqu'elle est sphérique qu'il passe le plus de temps à l'admirer.

— À qui parles-tu ? résonne soudainement une voix inconnue.

Un brusque sursaut secoue le professeur alors que sa paume s'écrase sur sa poitrine où son cœur bat à vive allure. Dans ce clair obscur, il cherche la personne à qui appartient ce timbre assuré et pourtant fluet. C'est un jeune garçon qui se présente face à lui. Cheveux auburns, iris d'une pâleur étonnante, l'enfant d'une dizaine d'années lui sourit sans aucune crainte visible sur son visage juvénile.

Le regard exorbité, Garrett se précipite vers lui en faisant tout de même attention à ne pas chuter dans la précipitation. Les mains refermées autour des épaules du garçonnet, il l'examine pour s'assurer qu'il n'est victime d'aucune blessure. Un éclat de rire cristallin se mêle aux hululements des chouettes, l'enfant s'amuse de l'inquiétude de son vis-à-vis.

— Que fais-tu au milieu de la forêt alors que la nuit tombe ? panique le professeur.

— Je suis là pour toi, évidemment. Tu ne semblais pas trouver ton chemin alors mes maîtres m'ont demandé de te guider jusqu'à eux.

— Pardon ? Tes maî...

— Nous n'avons plus le temps de discuter, le coupe-t-il. Je suis Dimitri, le majordome du domaine des Initiés.

L'incompréhension tire les traits de l'homme alors qu'il tente d'emmagasiner les informations qui se bousculent dans sa tête.

— Ne t'inquiète pas, je suis aussi ton guide dans le monde des Éphémères. La demeure n'est visible que pour ceux qui ont reçus l'invitation officielle de la part de la Création, mais parfois, elle se fait capricieuse et refuse de se montrer.

Les sourcils froncés, Garrett fixe Dimitri en essayant de comprendre les mots qu'il prononce avec énergie et rapidité.

Initié. Éphémère. Création. Ces termes, il connaît leur signification, pourtant il n'assimile pas le sens qu'ils prennent lorsque Dimitri les énonce.

— Attends, tu es... majordome ? s'étonne-t-il comme si cette information était la plus marquante. Mais tu as quoi, dix ans ?

— Ne fais pas cette tête, soupire Dimitri. Tu fais partie de ces gens qui ont l'esprit étriqué ?

— Quoi ? Mais...

— Ne te fies pas à mon apparence, je suis bien plus âgé que ce que l'œil humain est capable de voir. Maintenant, veux-tu bien me suivre avant que mes maîtres ne s'impatientent ? Je peux t'assurer que ce n'est pas agréable de mourir brûlé vif, grimace-t-il. Colère est celui qui me châtie de la pire des façons. Gourmandise n'est pas très gentille non plus, elle me goinfre jusqu'à ce que je n'en puisse plus.

Garrett déglutit difficilement alors que la peur enserre lentement sa gorge. Une sueur froide glisse le long de sa colonne vertébrale tandis que les petits doigts de Dimitri s'enroulent autour de son poignet.

— Quand me suis-je endormi ? s'interroge le professeur alors que ses pieds se mettent en marche.

Le garçonnet éclate d'un rire vibrant puis ouvre la route vers le domaine des Initiés.

— Vous êtes nombreux à penser rêver lorsque vous arrivés ici, s'amuse-t-il.

Le cœur en embardée, Garrett suit Dimitri avec réticence. Il aimerait rebrousser chemin, rentrer chez lui et oublier cette étrange rencontre, pourtant ses pas s'alignent comme si son corps était robotisé, impossible à gérer. Les mètres sont rapidement enjambés, les arbres et ronces habilement évités, jusqu'à ce que dans l'obscurité, l'ombre d'un manoir fasse son apparition. Les yeux arrondis du trentenaire ne savent plus où regarder. Entre les immenses fenêtres et les énormes briques qui constituent la demeure, Garrett est déboussolé.

— Je suis certain d'être déjà passé par-là, comment ai-je pu louper une telle bâtisse ? marmonne-t-il, égaré dans une incompréhension totale.

— Je t'ai dit qu'elle était capricieuse, et joueuse aussi. Par moments elle refuse que je la regarde, néanmoins je sais parfaitement où elle se situe et parvient à y entrer même dans le noir.

Garrett s'apprête à répondre mais ses lèvres restent scellées lorsqu'un grincement brise le calme de la forêt. D'un œil couard, il observe la porte s'ouvrir alors qu'ils approchent des quelques marches qui les séparent encore de l'entrée.

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