Chapitre I - Découverte
490.8.384 P.G.R
Thalrin Draxor – Le Sanctuaire – Lunaris – Niv 3
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La forêt de Lunaris, Vyel'Ithrahn, était un lieu de sérénité, un sanctuaire où le temps semblait s'écouler plus lentement. Les arbres à l'écorce ocre, hauts et majestueux, étendaient leurs branches vers le ciel, filtrant la lumière des deux soleils - en une douce lueur dorée - à travers leurs feuilles en étoile d'un vert très vif. Le sol, lui, était tapissé de mousse et l'air empli du parfum des fleurs nocturnes qui s'épanouissent à la tombée du jour. Tandis qu’entre les racines épaisses, des volutes de brume tiède s'accrochaient encore aux fougères. C'était un endroit où la vie semblait éternelle, où chaque souffle de vent portait en lui la promesse d'un avenir paisible. Mais surtout un lieu vierge de toute activité, dont certaines zones étaient interdites pour la préservation des biomes environnants.
C'est dans cette forêt que Thalrin, un chercheur de Volkyn, marchait d'un pas lent et mesuré. Il avait laissé sa compagne - Lirra - et leur nouveau-né, endormis dans la chambre qu'ils occupaient depuis leur arrivée sur Lunaris. Elle avait accouché quelques jours auparavant et bien que la naissance se soit relativement bien passée - bénissez les Flux - elle était encore faible. Il avait insisté pour qu'elle se repose, tandis que lui, incapable de rester statique, avait décidé de se promener dans la forêt qu'il apercevait depuis la chambre de sa compagne. Il avait toujours été curieux et c'était la première fois qu'il quittait Borax. L'idée d'explorer un endroit aussi mystérieux que les bois de Vyel'Ithrahn l'avait attiré comme un aimant.
Il avançait entre les arbres, les mains dans les poches de sa veste légère - il était incpable de sortir moins couvert, peu importait la chaleur environnante - observant les détails de la flore. L'air, gorgé d'humidité, rendait chaque respiration plus dense. Les racines noueuses des arbres semblaient s'enfoncer profondément dans le sol, enchevêtrement brouillon empêchant tout déracinement. Les feuilles bruissaient doucement, et de temps à autre, un oiseau aux plumes irisées traversait le ciel, laissant derrière lui un sillage de lumière. Thalrin se sentait apaisé, presque en harmonie avec cet environnement. Tant de lumière solaire, c'était... magique. Des insectes lumineux s’agitaient en grappe autour des premières fleurs ouvertes, tandis que les chants de certaines espèces résonnaient d’un arbre à l’autre, portés par la brise. Il percevait également les déplacements des petits animaux - qu'il ne parvenait pas à voir - dans les feuillages et les petits cailloux sur le sol.
C'est alors qu'il remarqua une ouverture dans un promontoire rocheux, à peine visible derrière un rideau de végétation. Intrigué, il s'approcha et écarta les plantes, révélant une entrée étroite qui menait à une caverne. La lumière des soleils ne pénétrait qu'à peine à l'intérieur. Il hésita un instant, puis, poussé par une curiosité irrépressible, il entra. Thalrin sentit alors une bouffée de chaleur l'assaillir, comme une vibration légère sous la peau, un frémissement dans l’air : la forêt, cette grotte, “ vivaient ”, nourries par des forces qu’il ne savait nommer.
L’excavation était sombre, mais la lumière qui parvenait à entrer se réfléchissait grâce aux cristaux de Vrith incrustés dans la roche des parois. Les spaths luminescents émettaient une faible lueur naturelle bleutée. Thalrin avança prudemment, ses pas résonnant légèrement sur le sol rocailleux. L'air était frais, presque froid malgré l’humidé. Il s'arrêta un instant, écoutant les sons étouffés qui semblaient venir des profondeurs. Puis, quelque chose attira son regard : un bref éclat de lumière, rapide et fugace, scintilla dans l'obscurité.
Thalrin tourna la tête, essayant de localiser la source de cette lueur. Il avança encore, guidé par les éclats intermittents. Finalement, il arriva devant une paroi rocheuse, et là, il vit une pierre étrange, encastrée. Elle était petite, à peine plus grosse que son poing, d'un noir brillant. Et elle dégageait quelque chose, il pouvait le sentir, malgré son incapacité à manier l'Inhérence. C'était palpable.
Thalrin s'agenouilla devant la roche, fasciné. Il n'avait jamais rien vu de tel, sauf peut-être avec l'Accyum, mais c'était un métal natif. De sa surface irrégulière, aussi sombre “ qu'une nuit ” sur le niveau 1, à ses vibrations légères sous le contact de ses doigts, la petite pierre avait de quoi interloquer. Il sentit de nouveau une vague de chaleur et aurait juré que le minerai réagissait à son toucher. Intrigué, il sortit un petit couteau de sa poche et commença à gratter délicatement son pourtour. Peut-être pourrait-il l'extraire en grattant la roche poreuse qui l'encerclait ? Après quelques minutes d'efforts, il ne parvint qu'à en arracher un fragment - qui laissait apercevoir des éclats argentés - qu'il glissa dans sa poche. Ça serait suffisant. Après tout, il ne s'agissait que d'un joli caillou et de son insatiable curiosité.
***
Quelques jours plus tard, Thalrin, Lirra et leur nouveau-né quittèrent Lunaris à bord d'un Thul'Vorrak : un aéronef de marchandise - chargé de denrées alimentaires - équipé pour traverser les zones liminales. Conçu sur Volkyn - comme tous les aéronefs de Varhen - c’était un mastodonte des airs : un vaisseau blindé à la silhouette sombre. Son châssis de métal noirci, parcouru de rivets et de plaques gravées de runes - tracées en hommage aux savoirs perdus - absorbait la lumière plutôt que de la réfléchir, lui permettant de se fondre dans les brumes électriques des couches gravitationnelles intermédiaires.
Bien que lent, ce type de véhicule avançait à une vitesse constante et restait le choix sûr par excellence : puisque ces convois suivaient les routes énergétiques stables et contournaient les courants telluriques les plus imprévisibles. Son autonomie, conçue pour tenir une vingtaine de jours de vol sans ravitaillement, le rendait crucial pour les traversées longues et risquées, aux perturbations gravitationnelles fréquentes.
Il y avait toujours la possibilité d'y trouver une place quand on avait les moyens de payer le voyage. La traversée du Niveau 3 au Niveau 1, sur 111 lieues, représentait une descente délicate à cette période de l’année (le début de l’Éclosion). Quand les flux telluriques recommencaient à pulser avec vigueur, augmentant la fréquence des turbulences et des brumes magnétiques. Un long voyage inévitable pour rejoindre Borax sur Volkyn. Thalrin avait payé leur passage avec les derniers fluxions qu'il avait gardé en réserve, tandis que Lirra, bien que faible, pouvait désormais marcher sans aide.
Avant le départ, l’équipage leur avait fourni des tenues de traversée liminale, incluant des combinaisons étanches doublées de fibres vrithisées, conçues pour encaisser les sauts thermiques et les pics de pression énergétique. Le nourrisson, lui, pourrait être emmailloté dans des langes spécifiques : véritable cocon thermique à modulation gravitationnelle, une technologie volkynienne rudimentaire mais efficace (souvent utilisée dans les transports d'urgences). Ils pénétrèrent à l’intérieur de l’appareil où se mêlait une fonctionnalité militaire à un confort spartiate : couloirs étroits, lumières tamisées, réservoirs suspendus et parois couvertes de fixations pour sécuriser les cargaisons.
Le Niveau 3 était encore baigné d’une lumière dorée filtrée par les brumes chaudes. Les températures avoisinaient les 30°C et la traversée se faisait dans un air dense, saturé d’humidité. À l'intérieur de la carcasse métallique, les vibrations des turbines telluriques berçaient les passagers. Thalrin, assis près d'un hublot fissuré, passait ses doigts sur le fragment de pierre dissimulé dans sa poche. En l'espace de soixante pulsations à peine, l'objet était devenu une petite obsession. Il le caressait à travers le tissu de son vêtement, où la touchait tout simplement peau contre roche, comme pour s'assurer de sa présence, au point d'en oublier parfois les pleurs étouffés de son enfant contre la poitrine de sa femme.
Le Thul'Vorrak vibrait, tandis qu'il s'enfonçait dans les strates inférieures de Varhen. Mais dès qu’il atteignit la zone de transition vers le Niveau 2, les premiers geysers d’énergie ascendante se firent sentir : l’aéronef trembla, ses stabilisateurs compensant les poussées soudaines. Le choc thermique fut immédiat : la température chuta de 50 degrés, provoquant des craquements dans les joints métalliques, du givre sur les hublots et une douleur aiguë dans les sinus. Les brumes acides chargées d’éther giflaient la coque, provoquant des interférences dans les instruments de navigation.
Thalrin claqua des dents, serrant machinalement la pierre dans sa poche. Lirra, pâle, porta une main à son front. Ses vertiges s'accentuaient avec l'augmentation de la gravité, tandis que leurs mouvements devenaient plus lourds, comme si l'air s'était épaissi. Le nouveau-né, niché contre elle, s'agita, ses pleurs étouffés par les langes dans lesquels elle l’avait emmailloté. Ils auraient peut-être dû attendre davantage - que le nourrisson ait quelques jours de plus - comme cela leur avait été recommandé…
Ils commencèrent à ressentir pleinement le froid et décidèrent - chacun leur tour - d’enfiler les tenues mises à leur disposition dans un compartiment exigu du Thul’Vorrak : des combinaisons composites, doublées de fibres isolantes, renforcées aux articulations, avec capuches et gants thermiques.
Dehors, le paysage changeait. La lumière du troisième niveau laissait place à la pénombre, et les grands îlots à de plus petits. Des brumes givrantes s'accrochaient aux flancs du vaisseau, et parfois, un éclair silencieux zébrait le ciel, illuminant les silhouettes massives d’affleurements rocheux en suspension.
Les vitres se teintèrent automatiquement pour filtrer les radiations ionisées et le Thul’Vorrak poursuivit sa descente dans un silence étrange, ponctué seulement par le grondement sourd des flux telluriques qui croisaient les rivières de plasma froid. L’air devenait plus dense et la gravité s’alourdissait toujours, insensiblement. Il devenait très difficile de discerner quoi que ce soit à travers les vitres, dans le vide et la noirceur propre aux niveaux les plus bas de Varhen. Retour aux abysses…
Les pulsations passèrent, rythmées par les secousses sourdes des turbines luttant contre les courants descendants. Le pilote, un vieux Volkynien aux yeux striés de veines, ajustait sans cesse les stabilisateurs pour éviter une chute trop rapide.
Par moments, des lueurs violettes et bleues s'accrochaient aux hublots, grésillant comme de l'électricité statique. Thalrin observa ces phénomènes, fasciné. Il connaissait les flux telluriques et les courants de plasma froid - comme tout bon Nhaar’vel - mais les voir de si près dans leur environnement naturel…
Lirra s'endormit par intermittence, épuisée. Le bébé, lui, semblait sensible aux perturbations et pleurait sans s’arrêter. Thalrin posa une main sur son front, murmurant une prière ancienne, celle que sa mère lui chantait autrefois. Ce fut la seule et unique fois qu'il accorda de l'attention à son enfant.
Quand le Thul'Vorrak approcha la limite des 50 lieues par rapport au noyau, la gravité devint écrasante. Thalrin sentit chaque muscle se tendre et chaque mouvement demander un effort supplémentaire. Des “ plumes ” d’éther givré - sortes de cristaux bleutés en suspension - se formaient autour du vaisseau. La lumière était désormais presque inexistante : seules quelques lueurs violettes - résidus des flux provenant du noyau planétaire - scintillaient par intermittence dans la noirceur. Lirra gémit en essayant de se redresser et il l'aida en posant une main ferme dans son dos.
Dehors, les îlots du Niveau 1, plus petits et immobiles, apparaissaient comme des formes noires piquetées de mousse luminescente. Le peu perceptible semblait figé dans une obscurité écrasante. Des déserts d'ombre s'étendaient à perte de vue, entrecoupés seulement par quelques pics neigeux suspendus, luisant faiblement dans la pénombre.
Il sembla à Lirra que son conjoint était fébrile. Il avait été très peu concerné par elle ou leur enfant et s'éloignait déjà, le regard vacillant, le poing serré sur le rabat de sa combinaison. Elle sentait que quelque chose clochait, mais Thalrin ne semblait pas d'humeur à en discuter.
Enfin, 56 pulsations après leur départ - ce qui lui avait semblé une éternité - les premiers volcans apparurent, puis au loin, les lueurs de Borax. Les turbines du Thul’Vorrak ralentirent à l’approche de la ville, pour suivre les courants stabilisés par les anciens Sceaux d’Athéon, encore fonctionnels à cette profondeur. Ce fut seulement lorsqu’ils virent les fumées des contreforts qu’ils purent souffler, du moins, autant qu’on le pouvait en arrivant dans un monde de pénombre et de pierre.
Volkyn était un territoire austère, dominé par des massifs rocheux et des vallées sombres. Les villes étaient construites à flanc de montagne, certaines, bien dissimulées, l'étaient même à flanc d'îlot, leurs bâtiments de pierre noire semblant faire partie du paysage. L'air frais était chargé de poussière et le ciel perpétuellement sombre était souvent voilé par des nuages de cendres. C'était un pays à l'environnement rude, mais c'était chez eux.
Le Thul’Vorrak descendit lentement. Sous sa base massive, une couronne de cristaux de Vrith pulsait, sculptant dans l’air un dôme gravitationnel invisible. La plateforme enchâssée entre deux crêtes basaltiques qui l’attendait, n’était pas une dalle, mais un anneau suspendu, sculpté dans une obsidienne massive, veinée de cuivre. Autour, seize cristaux de Vrith - émergeants de pylônes géométriques - pulsaient d’une lumière bleue froide, sculptant un champ de répulsion stable (en réponse à ceux fixés sur l’aéronef) dans l’air. En contrebas du centre de l’anneau, un objet ovoïde lévitait dans le vide. Sa surface, noire et nervurée, était marquée de glyphes anciens : un artefact Volkynien, fruit d’un artisanat qu’aucun autre peuple ne maîtrisait sur Varhen. Le vaisseau s’immobilisa enfin, à un grain de ce dernier, en suspension et parfaitement immobile, sans jamais effleurer le moindre relief.
Il demeurait suspendu, à quelques palmes à peine de la terre ferme, contenu dans le champ gravitationnel imposé par son socle. Aucun souffle, aucun grondement, juste cette masse silencieuse, suspendue entre les forces. Une passerelle descendit alors de son flanc, rigide et sombre, formant un escalier dont les marches s’ajustaient constamment aux Flux environnants.
Borax s’étendait en paliers, incrustée dans les flancs d’un cirque volcanique éteint depuis des cycles. Les toits plats, couverts de cendres, se confondaient avec les terrasses naturelles. Les murs, polis par les vents chargés de silice, portaient encore les marques des anciennes gravures telluriques - glyphes d’orientation, avertissements, ou restes de la langue des mineurs du Premier Cycle post Grand Renversement. Rien ne brillait inutilement ici : tout avait une fonction, une masse, une densité. L’air avait ce goût métallique caractéristique, comme si chaque inspiration arrachait des particules à la roche elle-même.
À la sortie de l’appareil, Lirra observa Thalrin avec un mélange d’espoir et d’appréhension, l’esprit tant préoccupé qu’elle ne manifesta aucune réaction face au froid mordant. Son regard cherchait une étincelle, une once de compréhension ou de chaleur qui ne vint pas. Lorsqu’il se détourna rapidement, pressé de gagner son lieu de travail, elle sentit un poids se glisser dans sa poitrine. Elle détourna un instant les yeux, serrant contre elle son trésor de nouveau en pleurs et se résigna à laisser partir celui qu’elle ne reconnaissait pas. Le désappointement brûlait, vif, alors qu’elle observait une seconde fois son dos s’éloigner.
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Le chemin menant à l’Institut serpentait entre les façades massives incrustées dans la roche. L’ensemble donnait l’impression que Borax n’avait pas été bâtie, mais extraite. Thalrin y marchait rapidement, frictionnant ses bras, de la buée s’échappant à chacune de ses respirations, impatient d’expérimenter. Et enfin, elle fut là, enchâssée au cœur d’un cirque minéral : la Tour de l’Institut des Énergies de Volkyn. Monolithe imposant, elle dominait la ville basse comme une sentinelle fossilisée. Sa base, enfoncée dans la roche noire, évoquait des lignes sévères : blocs imbriqués, rampes industrielles et plateformes d’accès bordées de pylônes. En s’élevant, les angles devenaient plus fluides ; les contreforts laissaient place à des colonnes nervurées et des arches élancées, ornées de motifs telluriques gravés à même le basalte vitrifié. Des ajours métalliques couraient le long de la façade, comme des racines de cuivre oxydé captant les reflets rougeoyants environnants. Entre les murs, des passerelles suspendues reliaient les différents niveaux, abritées sous des verrières épaisses et enchâssées dans des cadres géométriques aux lignes volontairement décentrées. Les zones d’accès étaient taillées à même les flancs d’un escarpement, leurs porches monumentaux s’ouvrant sur d’énormes cavités polies par les vents et le temps.
La rampe en colimaçon qu’il emprunta le mena sous les arches massives et le choc thermique le saisit avec soulagement lorsqu’il en passa le seuil. L’intérieur était à l’image de sa façade : épuré, dominé par des volumes anguleux et des murs en béton brut. Les couloirs, faiblement éclairés par des lampes suspendues, laissaient paraître des réseaux de tuyaux et de câbles gainés, serpentant à travers la pierre comme des racines métalliques.
Une fois arrivé, Thalrin se précipita dans son laboratoire aux sous-sols, protégé du froid de la surface. Là, les murs vibraient doucement, traversés par des conduits énergétiques bleutés, incrustés directement dans la roche. Des résidus de cristaux de Vrith s’y ramifiaient comme des nerfs lumineux, pulsant faiblement à chaque fluctuation des flux. Par moments, un éclair de feu bleu courait le long d’une faille, illuminant fugitivement les instruments de mesure et les interfaces de contrôle. Il sortit le fragment de pierre de sa poche et le plaça sur une table, sous la lumière crue des lampes. La roche semblait presque ordinaire sous cet éclairage, mais Thalrin savait qu'elle ne l'était pas. Il en était convaincu !
Il commença par l'examiner sous une loupe, notant sa texture lisse et ses reflets irisés. Puis, il la plaça dans une machine à rayons X, espérant voir sa structure interne. Les résultats furent surprenants : la pierre semblait contenir un réseau d'énergie en arborescence, comme si elle était parcourue par des courants invisibles. Intrigué, Thalrin décida de tester sa conductivité.
Il connecta la pierre à un appareil de mesure, et presque immédiatement, les aiguilles du compteur s'affolèrent. La roche émettait une énergie incroyable, bien plus puissante que tout ce qu'il avait jamais vu. Thalrin répéta les tests, vérifiant chaque paramètre, mais les résultats étaient toujours les mêmes. Ce minerai était une source d'énergie inépuisable, ou presque !
Il découvrit rapidement d'autres propriétés étonnantes : elle réagissait aux champs magnétiques, se déplaçant légèrement lorsqu'elle était exposée à un aimant. Elle semblait également capable d'amplifier les Flux, comme si elle pouvait canaliser et concentrer l'énergie environnante.
L'homme passa plusieurs pulsations à tester le fragment, notant chaque détail dans son carnet. Finalement, il réalisa qu'il ne pouvait garder cette découverte pour lui. Il devait en informer son supérieur : le directeur de l'Institut. Il prit alors le morceau de minerai et se dirigea vers le bureau de Drakar Vorr'Khal, son cœur battant la chamade.
L'administrateur était un homme grand et mince, à la peau grise, aux cheveux argentés et aux yeux jaunâtres perçants. Il écouta Thalrin avec attention, examinant la pierre avec un intérêt croissant à travers le verre de ses lunettes rectangulaires. Lorsqu'il eut terminé son explication, l'homme hocha lentement la tête.
— C'est une découverte majeure, Thalrin, dit-il d'une voix grave. Si cette pierre est ce que tu prétends, elle pourrait tout changer. Nous devons rapporter cette découverte au Zor'Ghaal Zor'Khorr et examiner davantage les propriétés de ce fragment.
— Bien sûr.
Thalrin fut congédié et Drarkar, la pierre en main, s'attela à rédiger la missive officielle à l'attention de son dirigeant. Envoyée par tube, elle arriverait en moins de 15 battements. Le sceau de confidentialité de niveau 4 apposé, il s'adossa à son siège et éleva le petit éclat à la hauteur de ses yeux. S'il s'agissait de ce qu'il pensait, il tenait entre ses doigts l'avenir de Varhen…
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La porte du bureau était restée entrouverte, et de l'ombre, un espion avait attentivement écouté l'échange. Il avait été envoyé par une puissance rivale pour surveiller les activités de l'Institut et la découverte de Thalrin n'était pas passée inaperçue. Il lui fallait cette pierre !
L'espion, un homme discret (renommé Korran Drakmor pour sa mission), quitta le couloir avec une démarche calme et mesurée, évitant tout contact visuel avec les autres employés. Il portait une blouse de laboratoire, parfaitement intégrée dans son rôle d'assistant. Personne ne soupçonnait qu'il travaillait pour Zytheor…
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Korran Drakmor – Borax – Volkyn – Niv 1
Son logement se trouvait dans un petit appartement situé dans les quartiers réservés au personnel de l'Institut. À l'intérieur, les surfaces étaient dépouillées, les quelques meubles - massifs et fonctionnels - évitaient tout superflu qui aurait pu trahir une personnalité ou un intérêt. Des conduits et des câbles, gainés et apparents, couraient le long des murs, signe de la technologie omniprésente exploitant l'énergie des Flux. L'air y était sec, l'humidité rare, une constante dans ce monde où la pénurie d'eau était une réalité. Une unique fenêtre, épaisse et filtrante, donnait sur les roches sombres du quartier, ne laissant passer qu'une pénombre constante, loin de la lumière dorée des niveaux supérieurs de Varhen (qu’il avait toujours connue). C'était un lieu sans âme, parfaitement adapté à la discrétion que Korran s'imposait.
Il verrouilla soigneusement la porte et tira les rideaux. Ces fenêtres n’étaient d’aucune utilité, si ce n’était le voyeurisme… Il sortit son second Étherlink, un petit dispositif en forme de bague qu'il portait sur son majeur. D'un geste rapide, il activa l'appareil et une projection holographique bleutée apparut devant lui. Et le visage anguleux du Conseiller de la Défense de Zytheor ; Def'vel Thar'in, se matérialisa dans les airs.
Son expression était grave, ses petits yeux scrutant l'espion à travers la projection.
— Korran, commença Def'vel Thar'in, sa voix empreinte d'autorité. Quelles sont vos nouvelles ?
Il s'inclina légèrement, en signe de respect envers son supérieur.
— Conseiller, j'ai des informations cruciales. Un chercheur de Volkyn, a découvert une pierre énergétique dans une grotte sur Lunaris. Cette roche émet une énergie incroyable ; elle amplifie les Flux et réagit aux champs magnétiques. Le directeur de l'Institut, Drakar Vorr'Khal, a déjà envoyé une missive au Zor'Ghaal Zor'Khorr pour l'informer de cette découverte.
Def'vel Thar'in fronça les sourcils, son visage trahissant une inquiétude mêlée d'intérêt.
— Une pierre énergétique sur Lunaris... Cela pourrait changer l'équilibre des pouvoirs sur Varhen. Si Volkyn parvient à exploiter cette ressource avant nous, Zytheor perdra un énorme avantage stratégique.
Korran hocha la tête.
— Conseiller. Il faut agir rapidement. La pierre est encore entre les mains de Drakar, mais il ne faudra pas longtemps avant qu'elle ne soit transférée au Zor'Ghaal Zor'Khorr. Ceux qui l'ont touché, ne sont - pour le moment - pas des manieurs. Mais si la pierre réagit aussi à l'Inhérence, cette découverte sera sans précédent.
Def'vel Thar'in réfléchit un instant, puis prit une décision.
— Très bien. Votre mission est de récupérer cette pierre avant qu'elle ne quitte l'Institut. Utilisez tous les moyens nécessaires, mais faites en sorte que votre couverture ne soit pas compromise. Il est difficile de trouver des agents enclins à rejoindre Volkyn. En parallèle, je vais envoyer un autre agent sur Lunaris pour localiser cette grotte et faire vérifier s'il y a d'autres fragments de cette pierre.
Korran inclina à nouveau la tête.
— Ce sera fait, Conseiller. Je vous tiendrai au courant de mes progrès.
Ce que Korran ignorait, c'était qu’une autre agent, mandatée par Lysorth cette fois, avait mis son logement sur écoute dès qu'elle l'avait identifié comme espion. Et qu'elle se dirigeait déjà vers le bureau de Drakar Vorr'Khal, en espérant le devancer.
Tandis que plus loin dans Borax, une missive était interceptée par une femme karathienne, dépêchée par son pays pour négocier certaines ressources avec le Zor'Ghaal Zor'Khorr. Elle l'avait simplement récupérée à la sortie du tube, alors qu'elle patientait seule dans le bureau du secrétaire du dirigeant de Volkyn (une aberration s’il en était). Curieuse et sachant qu'une telle missive contenait des informations clés, elle l'avait dissimulé dans un des plis de sa robe et emporté sur Karath une fois les négociations terminées. A défaut d'obtenir ce qu'elle était venue chercher, elle aurait quelque chose à offrir à La Stratarch.
***
Quelques pulsations plus tard :
Drakar Vorr'Khal fut retrouvé inerte, sa missive n'arriva jamais au Zor'Ghaal Zor'Khorr et la pierre disparue.
La scène de crime était un tableau macabre, figée dans le silence oppressant de l'Institut des Énergies. L'air était lourd, saturé d'une odeur métallique et douceâtre. La lumière froide des lampes éclairant la pièce d'une lueur blafarde, se réfléchissait sur le verre des lunettes de Drakar, toujours posées sur son bureau, à côté d'un stylus et d'un carnet ouvert dont certaines pages avaient été arrachées.
Le corps, lui, était affalé sur son siège, la tête penchée en arrière, exposant une gorge tranchée avec une précision chirurgicale. La blessure, nette et profonde, traversait la jugulaire et la carotide, laissant échapper un flot de sang qui avait coulé en cascade sur son torse et ses vêtements. Le liquide qui avait coagulé en une croûte sombre et épaisse, teintait la tunique grise, d'un rouge brunâtre. Des traînées d'hémoglobine avaient également giclée sur le mur devant lui, formant des éclaboussures en forme d'éventail.
Le visage de Drakar Vorr'Khal était pâle, presque cireux, teinté d'une légère cyanose autour des lèvres et des paupières, signe d’une asphyxie soudaine. Ses yeux, grands ouverts, fixaient le plafond en une expression de surprise figée, comme s'il avait eu à peine le temps de réaliser ce qui lui arrivait. Sa bouche entrouverte, elle, révélait une langue légèrement gonflée et asséchée.
La rigidité cadavérique avait déjà commencé à s'installer, raidissant ses membres et lui donnant une posture presque statuaire. Ses mains, posées sur les accoudoirs du siège, étaient légèrement recroquevillées, les doigts crispés comme s'ils avaient cherché à s'accrocher à quelque chose dans un dernier réflexe.
L'atmosphère était lourde, presque étouffante, comme si la pièce elle-même retenait son souffle ; témoin silencieux d'un crime qui pourrait bien changer le destin de Varhen. Ce furent les cris de l'assistante de direction qui alertèrent les gardes et permirent la découverte macabre…
Une enquête débuta rapidement, et Thalrin, qui se trouvait être le dernier à avoir échangé avec le directeur, fut auditionné, puis mené au Zor'Ghaal Zor'Khorr, son pad personnel et ses notes sous le bras. Il détenait des informations clés sur cette étrange pierre dont personne n'avait retrouvé la trace et cela semblait avoir plus d’importance que la résolution du meurtre d’un préposé de Volkyn.
Ainsi, la course à l'Accyum Pur commença.
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Lexique
Lunaris : Petit îlot, unique Ville État sur Varhen.
Volkyn : Unique pays de la première couche gravitationnelle. Varhen se déploie sur cinq niveaux gravitationnels autour de son noyau. Le niveau 1 en est le plus proche, et en toute circonstance ou presque, privé de la lumière des soleils et de la lune.
Borax : Capitale de Volkyn.
Les cristaux de Vrith (ou Vrithlin) sont au cœur de l'équilibre énergétique et gravitationnel de Varhen, avec des implications technologiques, magiques et socio-économiques majeures. Ils réagissent aux champs magnétiques de Sar'yn (le satellite) pour maintenir les îles flottantes en lévitation (Niveaux 3 à 5). Leur instabilité explique les « tempêtes gravitationnelles » et les distorsions spatiales. Leur noyau concentre l'énergie tellurique du noyau hyperdense de Varhen. En surcharge, ils explosent, ou corrompent les organismes.
Inhérence : Appellation de la magie sur Varhen.
Accyum Impur : Comme l'or, le cuivre ou l'argent.
Vitesse de Thul'Vorrak : 100 km/h = 2 Lieues par heure (Lg/h) = 2Lg/P (P : pulsation) pour être au plus juste avec les unités de mesure de cet Univers.
Fluxion : Monnaie universelle.
Zor'Ghaal Zor'Khorr : Titre du dirigeant de Volkyn (dictature technocratique), traduit littéralement par ; « Le Haut Commandant » et sous tendant la fonction de « Grand Ingénieur »
Les "tubes" : Il s'agit d'un réseau composé d'un système complexe de tubes souterrains et aériens, sillonnant chaque grand pays de Varhen. Ces tubes sont fabriqués à partir de matériaux résistants, transparents, capables de résister aux conditions environnementales extrêmes (tempêtes énergétiques, tremblements telluriques, etc.). Ils sont alimentés par des flux énergétiques contrôlés, qui propulsent des boîtes cylindriques en métal léger, activé par un saut de confidentialité, contenant des messages écrits, à des vitesses impressionnantes.
Sceau de niveau 4 : Messages destinés aux dirigeants ; la boîte est équipée d'un système de traçage et d'une protection énergétique codée, rendant toute interception impossible jusqu'à l'arrivée du message à destination. Les boîtes destinées aux dirigeants sont marquées par des symboles discrets, mais détectables par les systèmes de tri automatisés présent dans le réseau de tubes. Les missives de cette importance, arrivent directement dans le bureau de leur destinataire.
Rappel
Une journée sur Varhen dure 30 heures. 60 pulsations valent donc pour deux journées complètes sur Varhen.
Battements = Minutes.
Pulsations = Heures.
111 lieues = 5550km / 1 lieue = 1000 Gravitons (unité de mesure sur Varhen) = 50 000 mètres
100 lieues = 5000km
50 lieues = 2500km.
1 Grain (Gr) = 1/1000 de Graviton = 0,05 mètre (5 centimètres).
1 Palme (Pa) = 1/10 de Graviton = 5 mètres.
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