Chapitre II - Faille
500.1.1 P.G.R
Var'ek Zhar'in – Jrivan – Zytheor – Niv 3
***
La lumière douce des cristaux de Vrith suspendus baignait la bibliothèque d’une lueur irisée - un miroitement de bleus profonds, de nacres pâles et d’ambres liquides - que les vitres de la Tour des Flux diffractaient en halos mouvants. Leurs surfaces semblaient vivantes, striées de reliefs en éventail semblables à des excroissances végétales, tandis que de légers frémissements internes faisaient ondoyer leur éclat, comme si une respiration lente animait leur bioluminescence. Du haut du treizième étage - le plus élevé après les flèches du Palais - Var’ek surplombait Jrivan, la capitale vibrante de Zytheor.
À cette hauteur, la ville s’offrait comme une mosaïque d’îlots suspendus aux structures organiques et basses, rarement au-delà de cinq étages. Chaque bâtiment lévitait légèrement au-dessus du sol, soustrait aux secousses telluriques et aux caprices gravitationnels du troisième niveau. Entre ces masses flottantes serpentaient des passerelles végétales et des conduits translucides où circulaient les Tubes.
Il était tard. La troisième pulsation nocturne avançait lentement, mais l'agitation ne faiblissait pas. Dans le ciel, la brume résiduelle du jour s’était mêlée aux flux, formant de longues traînées luminescentes. Sur la terre ferme, le Festival de l'Éveil d'Onaril atteignait son apogée. Sur le vaste marché circulaire en contrebas, les trois anneaux d’étals étaient baignés de brumes florales et vibraient au rythme des pulsations rituelles. Des lanternes flottaient lentement, portées par les vents chargés d’ions. Il devinait les effluves d’encens, mêlés aux parfums d’éclosion des vrithlines, qui emplissaient sûrement l’air, saturant les sens. Var’ek observait, le regard happé par les flammèches d'énergie qui dansaient au-dessus des rues, traçant des arabesques lumineuses dans la nuit.
Il finit par se résoudre à s'écarter de la table chargée de documents anciens et s'approcha de la vitre incurvée. Son reflet fantomatique se superposait au spectacle en contrebas. Des processions serpentaient lentement à travers les allées : des silhouettes drapées dans des tissus irisés portant les lanternes d'Onaril, symboles de renouveau. Ici, on célébrait la nouvelle rotation, les alliances sacrées et les serments de l'aube nouvelle.
Mais lui n'avait guère le cœur aux festivités. Un éclat attira son regard. Les Enfants de la Tempête, vêtus de toges grises, s'étaient rassemblés pour leur bénédiction rituelle. Ils levaient leurs mains vers le ciel, invoquant la transformation que seules les variations énergétiques pouvaient offrir, tandis que des feux d'artifices explosaient dans le ciel. Non loin, des adeptes de la Voie de l'Harmonie - identifiable à leurs crânes rasés et leurs bijoux - partageaient une table commune, échangeant pains épicés et promesses de paix.
Un soupir s'échappa de ses lèvres. Jrivan, dans toute sa splendeur, semblait à la fois proche et lointaine. Mais d’ici, dans la Tour des Flux, on ne percevait que l'écho feutré des festivités. Et demain, il quitterait cet espace protégé pour plonger dans les intrigues du Conseil…
Var'ek ferma un instant les yeux, laissant les vibrations du festival imprégner son esprit fatigué. Une pulsation diffuse, amplifiée par les flux de l’Eclosion, montait lentement du sol, résonnant dans les arches de la Tour comme une respiration ancestrale : c’était la signature vivante de Zytheor, un battement nourricier qui emplissait l’air. L'Éveil d'Onaril annonçait un nouveau cycle, et avec lui, certains tournants inéluctables.
Il était temps pour lui de reprendre ses lectures...
***
3ème pulsation croissante et 30 battements. Tous les jours et inlassablement, son réveil sonnait.
L'homme, aux cheveux mi-longs - blonds ambrés aux reflets auburns - étalés sur son oreiller, peinait à se réveiller. Ses longues jambes à la peau cuivrée en travers de sa couchette, sa main sur le front et la bave au menton : il semblait à l'agonie.
Ayant poursuivi ses recherches sur Lunaris et l'Accyum Pur jusqu'à la 12ème pulsation nocturne, ne lui laissant que 3 pulsations et 30 battements de sommeil : la journée allait être particulièrement longue.
Pour autant, la force de l'habitude et la rigueur d'une personnalité rigide, le poussèrent à se redresser. À son mouvement, la petite pièce où il dormait s’anima lentement. Des capteurs de présence déclenchèrent une lumière orangée qui s’éleva par paliers discrets du sol au plafond, caressant les parois d’un éclat tamisé. Tandis qu’un pan du mur s’illumina d’une interface translucide. Sa maxime du jour y clignotait doucement, comme si elle hésitait à troubler son réveil : « Organiser son esprit, c’est cultiver la paix ».
Un soupir lui échappa. Toute sa vie était compartiment : horaires, protocoles, silences. L’adage avait, sans surprise, une résonance morne et exacte. Il ne jeta aucun regard aux prévisions climatiques de cette matinée : à cette heure une légère brume devait déjà recouvrir les hauteurs de la ville. Et l’humidité croissante, typique de la saison, devait s’infiltrer - comme toujours - jusque dans les structures les plus hautes. Il ne pourrait pas mettre le nez dehors de toute façon.
Se frottant les paupières, il s’extirpa de son cocon : un module de couchage rétractable sans fioritures, dont la mousse adaptative avait perdu une partie de sa souplesse depuis longtemps. Le siège du Conseil n’aurait lieu qu’après la collation. Il avait encore un peu de répit. Ça s'annonçait relativement complexe, il aurait préféré ne pas avoir à y penser. « S'inquiéter avant l'heure, c'est souffrir une fois de trop » : la maxime d’il y avait trois jours aurait mieux convenu.
La routine... La routine c’était rassurant, facile… Un peu de courage !
Il traversa les deux pas qui séparaient l’alcôve de sommeil du sas d’hygiène, intégré en retrait dans l’angle de sa petite chambre. Ce modèle, des plus standards, ne proposait ni ondes régénérantes, ni diffusion de plasmons énergétiques et encore moins de brume parfumée. Juste une fine douche ionique. Assez pour ne pas se plaindre. Insuffisant pour s’y attarder.
Il en franchit le seuil et le rideau translucide glissa dans un sifflement mécanique un peu fatigué. Une lumière pâle clignota brièvement avant de stabiliser son éclat blafard. Le flux d'air démarra avec un souffle rauque, plus proche d'un courant d'aération défaillant que de la technologie de pointe qu'il aurait pu espérer. Des ondes énergétiques de faible intensité parcoururent sa peau, provoquant un léger picotement sur les zones les plus sensibles. L'air balayait mollement la sueur et les résidus d'une nuit trop courte, et lui, laissa son esprit vagabonder : Lunaris, l'Accyum Pur, le Conseil... Son quotidien était une mosaïque d'obligations. Pas une pulsation sans que l'ombre du devoir ne vienne s'infiltrer dans ses pensées.
Un grésillement le ramena au présent : le signal que le cycle était terminé. Il haussa les épaules en sortant du sas, ses cheveux encore légèrement électriques sous l'effet du nettoyage. Il ne pouvait pas se permettre de demander mieux ; un serviteur n'aurait pas mieux, même un tel que lui.
Sa tenue officielle l'attendait, savamment pliée sur le fauteuil en feuilles séchées et vernies - du plus bel effet - qui faisait face à sa couchette. Il enfila sa tunique à col montant, longue et ajustée, faite d'un tissu fluide mais structuré, qui épousait son corps sans entraver ses mouvements. De couleur grise cendrée, elle était ornée de broderies argentées discrètes aux poignets et au col : motifs géométriques évoquant son appartenance au système bureaucratique de Zytheor, mais également marquage de sa soumission. Un haut placé issu de la noblesse ou du peuple, se verrait habillé de ses broderies, sur le cœur et dans le dos.
Ce vêtement s'accompagnait d'une ceinture minimaliste, fine et en cuir sombre, qui lui serrait la taille, renforçant l'aspect structuré de son apparence. Elle servait autant d'élément décoratif que de support utilitaire où il pouvait accrocher : une petite pochette contenant des documents, son stylus multifonction et tout autre petit outil qu'il jugerait utile.
Dessous on retrouvait un pantalon droit et souple, conçu dans un textile technique, gris lui aussi. La coupe restait impeccable en toute circonstance.
Venaient ensuite les bottes mi-hautes en cuir noir, rappel discret de la ceinture. Elles étaient à la fois pratiques et élégantes, adaptées aux longues heures debout ou aux déplacements discrets. Leur design était épuré, sans ornement superflu.
Son regard se posa ensuite sur le petit chevet à côté du lit : un lien de cuir et une petite boîte l’y attendaient, rangés avec le soin d’un rituel quotidien. Dans un soupir, il rassembla ses ondulations épaisses en une queue basse sur la nuque, dévoilant au passage le tracé légèrement effilé de la pointe de ses oreilles. Puis, il apposa sur chacun de ses globes oculaires une fine pellicule transparente au centre sombre exagérément grand. Il devait les porter depuis son plus jeune âge, pour se rendre “ plus accommodant à ses interlocuteurs ”. Cet homme avait de très jolies iris lilas, mais le problème était ailleurs. C'était d'ailleurs la raison de la transparence des lentilles, qui n'étaient normalement pas autorisées à moins de présenter une incapacité. Non, Var'ek était contraint de dissimuler “ sa difformité ”. Il était né avec deux pupilles dans chaque œil. Deux pupilles, qui, non contentes d'être une aberration à elles seules, s'avéraient être mobiles.
Ceux qui l'avaient recueilli, avaient longtemps cherché à connaître l'origine de cette bizarrerie. Puis, les mois et les rotations avaient passé et Var'ek ne développa aucune autre étrangeté. Pour autant ses camarades - et les adultes qui l'entouraient - avaient continué de se sentir mal à l'aise. Alors, un jour, on lui avait imposé ces ridicules petites choses qu'il devrait porter en toutes circonstances. Aujourd'hui : il était presque certain que tous avaient oublié son véritable regard et qu'il était devenu son seul secret, l'unique petite chose qui lui appartenait vraiment…
Chassant ses idées noires, il attrapa son insigne gravé du symbole représentant son statut au sein de l'administration et du nom de son garant. Un haut fonctionnaire qui l'avait pris sous son aile à la fin de sa formation (dont il était sorti second).
Alors qu’il quittait le confort spartiate de son petit logement, la porte se referma derrière lui avec un souffle discret. Le couloir qui s’ouvrait devant lui appartenait à un autre monde. Ici, plus aucun compromis : les parois, miroitantes et nervurées de vrith purifié, pulsaient doucement au rythme des Flux de la Tour. La lumière - filtrée par des panneaux de diffraction suspendus au plafond - projetait des reflets mobiles aux teintes ambrées et bleutées sur le sol poli.
À intervalles réguliers, des niches murales laissaient éclore de fines vrithlines - des fleurs cristallines - en lévitation, suspendues dans des matrices d’énergie gravitationnelle. Leurs pétales translucides, striés de veines lumineuses aux teintes bleutées semblaient pulser d'une lumière douce, irisée et mouvante. Tandis que leurs excroissances minérales, à mi-chemin entre cristal et végétal, diffusaient une fraîcheur florale imperceptible mais constante, régulant naturellement température et humidité dans l’air confiné. L’air lui-même en semblait plus dense et emprunt de solennité.
Tandis que chacun de ses pas résonnait légèrement, absorbé par des matériaux souples et insonorisés, pensés pour ne jamais troubler le silence sacré du lieu.
Il croisa d’autres silhouettes, toutes pressées, toutes vêtues de tuniques sobres mais élégantes, lissées par la fonction. Personne ne parlait. Chacun semblait absorbé par l’invisible réseau d’obligations qui animait la Tour. Lui se contentait de suivre les lignes discrètes tracées au sol, des filaments lumineux encastrés dans la pierre qui guidaient vers les différentes sections.
Devant les portes incurvées de l'ascenseur, il s’arrêta un instant. Le métal clair - orné de motifs vrithésiens à peine perceptibles - pulsa à son approche. L'appareil cylindrique s'ouvrit dans un souffle mécanique et la voix nasillarde de Thar'vel Lun'zarith - un serviteur plus âgé, commis aux cuisines - vint troubler davantage son humeur :
— Zar'vash'in ou plutôt Khar'vel Va'lun qui peine vraisemblablement à trouver la lumière.
— Suffit Vash'threk !
Il bénit intérieurement les Flux que son rang lui ait accordé quelques prérogatives. Dans un autre contexte, il aurait pu faire expulser cet imbécile hors de la Tour, avec perte de statut et mémoire effacée… L’énergie lui manquait pour les représailles.
Las mais déterminé, il poursuivit et l’autre sortit sans un mot. Il monta ensuite tout en haut de La Tour, jusqu’à l’entrée de la Suprême : la plus vaste bibliothèque du monde connue et sans doute la plus luxueuse. Un long couloir - identique aux autres - le mena à son entrée et lorsque son badge fut apposé sur le cadran d'identification, un frisson imperceptible courut sur les lignes murales, discret signe d’appartenance aux lois de la résonance énergétique.
Les portes de la Suprême ne s’ouvrirent pas. Elles s’évasèrent. Deux battants monumentaux, taillés dans un alliage translucide mêlant verre et métal, formaient un arc en spirale, comme des ailes sur le point de s’ouvrir. La surface - ni lisse ni brute, mais striée de filaments de Vrith coulant sous la matière - captait la lumière ambiante pour la renvoyer en ondulations pigmentées douces et hypnotiques, évoquant les vitraux d’un temple.
L’ouverture était lente, presque cérémonieuse. Un rituel dont il ne s’était jamais lassé. Dans ces longues oscillations, Zytheor se dévoilait tout entier : puissance sans brutalité, prestige sans trop d’ostentation. Tout y était codifié : le luxe passait par l’harmonie, la technologie par la discrétion et l’autorité par l’équilibre énergétique.
Il avança sans prêter attention à ses pas, son esprit absorbé par le sujet de la veille et du jour : Lunaris et l’Accyum Pur, la plus grande découverte des deux derniers cycles. Le Conseil des Flux devait se réunir dans quelques pulsations à peine, pour décider de la meilleure stratégie - ou plutôt, de la décision la moins frontale - pour ne pas contrarier Le Grand Dirigeant : Zar’thar Va’lun, dont l’obsession du monopole sur cette ressource transcendait toute prudence politique.
Sept des neuf seront là, dont Le Gardien du Cœur, qui n'omettra aucune question. Un mal de tête lancinant commençait déjà à s'installer, alors qu'il n'avait pas encore choisi les ouvrages qu'il allait éplucher les cinq prochaines pulsations. Oui, sa journée promettait d'être longue.
« Organiser son esprit, c'est cultiver la paix ». Il allait devoir éprouver cet adage très concrètement.
La Suprême s’étendait sur les trois derniers étages de la Tour des Flux, un espace monumental, entièrement ouvert sur plus de vingt mètres de hauteur, culminant sous une coupole de verre, elle aussi, unique au monde. Ce niveau, entièrement vitré, était une merveille architecturale et technologique. C'était le cœur intellectuel de Zytheor, un endroit où se concentraient les secrets les plus anciens et les plus précieux de Varhen. Son lieu favori entre tous.
Toute la structure était circulaire, suivant la forme arrondie du bâtiment. Les parois filtraient la lumière irisée des soleils, adoucie en cette saison par les vapeurs atmosphériques et les cristaux en floraison. En ce moment précis, une teinte rosée baignait les lieux, subtilement modulée par les flux ambiants. La technologie incorporée au verre, elle, empêchait toute altération des ouvrages précieux et l'éblouissement des lecteurs. Tandis que tout autour, des claustras suspendus, ajourés, en fibres claires, translucides et flottant à mi-hauteur, dessinaient des ombres mouvantes.
Au centre exact de la structure, s’élevait une colonne de pierre claire, à la fois sobre et imposante, conçue comme un autel. C’est là que reposaient, en suspension, quelques-uns des manuscrits les plus anciens de Varhen, remontant à l’époque de Nharos. Maintenus à distance les uns des autres et protégés par des cloisons de verre adaptatif, ils flottaient dans un équilibre fragile entre préservation et exposition. Peu étaient encore capables d’en lire ne serait-ce qu’un fragment (ceux-là se comptaient sur les doigts d’une seule main).
Il reprit sa marche dans les allées concentriques, serpentant entre les zones d’étude.
Son coin favori - abandonné la veille - l’attendait, intact. Rares étaient les visiteurs autorisés en ces lieux. Il pénétra dans le cercle argenté incrusté au sol et immédiatement, un fauteuil ovoïde - en fibres tressées, garni d’un coussin blanc épais - surgit d’un compartiment. Dans le même mouvement, une table en arc de cercle, taillée dans une pierre poreuse aussi légère que du bois flotté, s’éleva à hauteur idéale. Tout l'espace était équipé de zones d'étude telle que celle-ci, plus ou moins grandes, dans des matériaux organiques ou artificiels, spécialement conçues pour le confort des lecteurs.
Il posa la paume sur l’emplacement prévu, à droite de la table. Son pad personnel (abandonné, lui-aussi) se matérialisa lentement en réponse à la reconnaissance énergétique. D’un simple toucher, la liste des ouvrages qu'il avait déjà étudié apparut - en quelques oscillations - sur son écran :
- « Lunaris : L'Île des Naissances Sacrées »
- « Les Origines de Lunaris : Entre Mythe et Réalité »
- « La Matriarche et le Patriarche : Gardiens des Flux Énergétiques »
- « L'Indexation à Zytheor : Une Alliance ou une Subordination ? »
- « La Magie des Naissances : Rituels et Protection sur Lunaris »
Ceux-là étaient écrits en Zar'vash la langue de Zytheor, sa langue native. Venaient ensuite :
- « Les Conflits de la Création : Pourquoi Lunaris a-t-elle été Créée ? »
- « L'Indépendance de Lunaris : Un État Insulaire dans un Monde de Géants »
- « La Sacralité de Lunaris : Entre Spiritualité et Politique »
Écrits dans la langue commune à tous sur Varhen : l'Algue. Et :
- « La Matriarche de Lunaris : Une Vie au Service des Naissances »
Écrit en Yssarl la langue de Lysorth, celle qu'il maitrisait le mieux après les deux premières.
Il était vraiment loin du compte… Il allait falloir replonger… La bibliographie sur Lunaris devait prendre un pan de mur à elle toute seule, tant son existence était primordiale à l'échelle mondiale. Il lui aurait fallu une phase lunaire de plus, pour tout survoler un tant soit peu ! Se prenant la tête entre ses paumes, il se contraint au calme et choisit les ouvrages qu'il aurait le temps de lire consciencieusement d'ici la réunion du conseil.
- « Lunaris : Un Havre de Paix dans un Monde en Conflit »
- « La Création de Lunaris : Une Réponse à la Fragmentation de Varhen »
- « Les Gardiens de Lunaris : Héritiers des Savoirs Anciens »
- « La Mission Sacrée de Lunaris : Protéger la Vie sur Varhen »
- « Lunaris : Une Île, Une Mission, Un Destin »
Il n'aurait sûrement pas le temps finalement. Mais s'il ne fournissait pas l'effort attendu par ses Maîtres... Il manqua d'air, quand il réalisa que deux d'entre eux étaient écrits en Vorrhan, la langue de Volkyn, celle qu'il affectionnait le moins à l'écrit. Mais : il était érudit et linguiste, conseillé et serviteur du Conseil des Flux de Zytheor ! Il avait trop travaillé pour se planter maintenant…
Les pas de Var'ek résonnaient légèrement sur le sol lisse des allées désertes. Sous ses paupières lourdes, la lumière diffuse des soleils l'aveuglait presque. Il ne savait plus depuis combien de temps il errait dans cette bibliothèque, ni ce qu'il y cherchait vraiment. L'Accyum Pur ? Un mirage. À chaque recherche, une impasse. À chaque titre, une absence. Rien. Comme si le monde entier l'avait rêvé, sans jamais l'écrire. Et Lunaris ? Un miracle. A chaque recherche, une ode à la vie. A chaque titre, des louanges. Tout. Comme si le monde entier l'avait érigé en divinité, pour l'admirer à jamais !
***
3 pulsations plus tard :
Var'ek, plongé dans ses recherches, commença à ressentir une pression croissante. Les lignes défilèrent encore une fois sous ses yeux. Il fit glisser le papier d'un mouvement sec, trop rapide. Encore rien ! Une page de plus, vide de sens, ou trop pleine de généralités. Il referma le volume avec un claquement sourd. Un souffle saccadé lui échappa, suivi d’un second, plus long, comme s'il avait oublié comment respirer.
Var'ek appuya ses coudes sur la table, les doigts pressés contre son front. Il y avait forcément un argument, une faille, un précédent : quelque chose qui légitimerait l'exploitation de l'Accyum Pur sans plonger le monde dans le chaos !
Il ne trouvait pas le moindre argument qui aillent dans le sens de l'extraction de ce minerai par Zytheor, si ce n'était le pouvoir et la suprématie pour Le Pays. Extraire cette pierre des strates de Lunaris allait appauvrir son sol, fragiliser sa stabilité et certainement impacter sa magie.
Il fit rouler son fauteuil en arrière, croisa les bras et observa le plafond, ses pupilles dissimulées, fixes et dilatées. Une tension sourde montait dans sa nuque. Si Zytheor avançait - et il savait que Zar'thar Va'lun allait avancer - Karath répliquerait. Puis ce serait Volkyn. Et Lysorth. Peut-être même “ les autres ”… Il les voyait déjà, les flottes aériennes, les armées sous tension, les temples brûlés, les villes en ruines, les morts…
Mais opposé un “ non ” à Zar'thar Va'lun n'était pas une option pour le Conseil. Ça ne l'était jamais. Et il fallait être d'une grande naïveté pour penser que les autres pays de Varhen n'étaient pas exactement pris par le même dilemme.
Ses doigts se crispèrent sur le câble du dispositif de stockage. Il le tira, presque violemment, comme pour forcer une réponse. Rien ne venait ! Aucun fait irréfutable ! Aucun texte, ancien ou non, n'allait dans le sens de l'exploitation de cette ressource !
Il se leva d'un bond, fit trois pas, revint. Les livres - il en était certain - l'observaient. Il les imagina volontairement muets... moqueurs. Tandis que son pad clignotait, attendant un mouvement de sa part. Il inspira par le nez, profondément, le souffle bloqué un instant dans ses poumons.
Il avait besoin d'informations clés, que personne ne pourrait remettre en question. Décidé, il contacta alors son garant : Thar'vel Lun'esh, capable de traduire certains textes très anciens - trop pour lui - et véritable historien de Varhen/Nharos. Le message envoyé grâce à son Étherlink, Var'ek resta figé, le regard ancré sur la table. Les documents épars, le pad, le câble enroulé autour de sa main… tout cela formait un chaos méthodique : l'image même de son impasse.
Il tapota la surface poreuse du bout des doigts : un tempo régulier, nerveux. Une simple information, un détail, un levier, n'importe quoi qui pourrait l'aider, c'est tout ce dont il avait besoin !
L'esprit en ébullition, il se saisit de son stylus : Les naissances sur Varhen. Toujours un sujet sensible. Rares, difficiles, risquées. Une réalité biologique autant que politique.
Il ajouta sur son pad, griffonnant presque machinalement ;
Les conditions extrêmes de la planète rendent chaque grossesse incertaine. La rareté des nutriments essentiels affaiblit les corps, surtout celui des mères. Les niveaux élevés de radiation n'arrangent rien : ils endommagent les cellules reproductives, augmentent les risques de malformations. Seuls les fœtus “ viables ” survivent. Cruel, mais d'une logique implacable.
Il ajouta une ligne ; Gravité : double impact. Trop faible, elle perturbe la circulation sanguine. Trop forte, elle complique les contractions. Même la gestation se plie aux caprices de cet équilibre fragile.
Et pourtant, malgré ces obstacles, chaque naissance restait une victoire. Une nécessité. Sans elles, l'espèce s'éteindrait lentement, aussi sûrement que les territoires instables avaient sombré.
ZN : Aucun contrôle officiel des naissances, à ce qu'on disait. La vie d'un enfant à venir est sacrée, intouchable. En théorie. [En pratique, les choses étaient plus troubles : abandonner un enfant à Lunaris est devenu socialement acceptable, parfois même encouragé. Une solution commode pour ceux qui ne voulaient pas, ou ne pouvaient pas, assumer. Surtout si l'enfant était né d'une tragédie, ou malade.]
Un soupir lui échappa. Lunaris, l'îlot protecteur ; officiellement créé pour sauver ces enfants et préserver la vie. Il s'attarda sur une note précédente ; Zytheor. Le grand bienfaiteur stabilisateur. Pendant quatre cycles, il avait joui de ce statut, surtout lors de la construction de Lunaris. Un équilibre soigneusement entretenu. Ou une illusion savamment orchestrée.
Parce qu'en vérité, Lunaris ne tenait pas/plus par la grâce de Zytheor. C'était l'Accyum Pur qui la gardait à flot. Sans ce minerai, l'îlot sombrerait probablement, comme tant d'autres territoires aussi petits et probablement instables si loin du noyau planétaire. Quelque part, le miracle prenait sens en ces jours troubles. Et maintenant que ce secret était éventé : Lunaris devenait terriblement vulnérable…
Cela impacterait-il l'équilibre des flux ? Pourquoi l'Accyum Pur se trouvait-il précisément sur ce territoire là en particulier ? Contribuait-il d'une quelconque façon aux rituels qui accompagnent les naissances sur cet îlot ?
ZN : Ne serait-il pas possible de simplement l'étudier et de tenter de le produire artificiellement à partir de l'Accyum Impur de Volkyn ? Vekthar Xorran permettrait-il que le monde s'invite sur son territoire pour jouer les alchimistes dans une de ses usines ? C'était très peu probable, même pour tous les fluxions de Varhen...
***
Toujours pas de réponse ; c'était étrange, le vieillard était pourtant prompt à déblatérer d'ordinaire. A cette pensée, un bruissement perça le silence, laissant savoir à Var'ek, perdu dans ses pensées, que quelqu'un pénétrait dans la bibliothèque ancestrale. Un “ petit homme ” aux cheveux ivoires (hirsutes et très courts), à la peau ambrée et aux prunelles grises, fit son entrée.
— Var'ek Zhariel, mon petit, tu as besoin de mes services ?
— Quand allez-vous cesser de m'appeler ainsi ?
— Ne mentez pas, vous adorez ça.
Il plaidait coupable.
— Passons. Avez-vous entendu parler de l'Accyum Pur sous Lunaris ?
— Il faudrait avoir perdu la vie pour l'ignorer.
— Zar'thar Va'lun veut l'extraire et en conserver le monopole comme sur tout ce qu'il possède déjà. Mais Lunaris... n'est pas un lieu dont on dispose avec autant de légèreté… Le monde ne le permettrait pas. C'est aussi la raison pour laquelle cet endroit n'a pas de forces armées. Il n'en a jamais eu l'utilité.
— Vous voilà dans un joli bourbier mon jeune ami. Le conseil siège dans les prochains jours ?
— Jours ? Il me reste moins de deux pulsations pour effectuer mes recherches.
— Par les Flux ! De quoi auriez-vous besoin ?
— J'ai pensé… peut-être que certains livres anciens pourraient aider ? Ou que vous auriez connaissance d'un levier qui pourrait faire reculer - au moins temporairement - l'idée d'exploiter ce minerai ? Quelque chose qui pèse suffisamment lourd, mais qui ne mettra pas ma position à mal ?
A sa question, Var'ek remarqua une infime variation dans la teinte du visage de son interlocuteur, et perçut la dilatation de ses pupilles. Visiblement - comme c'était souvent le cas avec son garant - il avait frappé à la bonne porte ! Cet homme savait beaucoup de choses... Il n'avait pas de rôle bien défini dans le gouvernement de Zytheor (aux yeux de Var’ek), mais il était toujours là, à entendre, transmettre et parlementer.
— Les livres anciens ne vous seront d'aucune utilité, Nharos ne présentait pas ses problématiques liées à la natalité et bénéficiait certainement de ce genre de minerai en son temps ou peut-être pas, mais le sujet n'est pas là. Il n'existait pas de Ville-Etat-Sacrée comme l'est Lunaris non plus. Rien dans l'Histoire de Nharos ne va pouvoir vous aider dans votre situation.
— Mais vous ne me dites pas tout…
Var'ek n’ajouta rien. Il observa, attentif à la légère crispation des lèvres, au battement imperceptible sous la tempe, à ce silence chargé qui pesait plus que mille mots. Il connaissait cet homme, ses détours, ses silences bavards. Il savait que quelque chose bouillonnait derrière cette façade impassible. Mais il ne le pressa pas. Il attendit patiemment, avec cette tranquille assurance née d'un lien tissé au fil du temps : d'un respect mutuel, teinté d'une affection discrète mais sincère. Son garant finirait par parler. Il le faisait toujours, surtout quand le vide se resserrait. Parce qu'au fond : il ne le laisserait jamais s'effondrer, sans au moins lui tendre de quoi tenir debout.
***
Lexique
Les Enfants de la Tempête :Un mouvement religieux qui vénère les tempêtes magnétiques comme des manifestations de la volonté divine. Ils croiraient que ces tempêtes apportent des révélations et des transformations spirituelles. Les adeptes pourraient se rassembler lors de tempêtes pour des rituels de communion avec les forces de la nature.
La Voie de l'Harmonie : Un courant pacifiste qui prône la coexistence entre les différentes cultures et croyances. Ils pourraient organiser des dialogues interreligieux et des festivals pour célébrer la diversité. Leur philosophie serait centrée sur l'idée que chaque croyance a sa place dans l'équilibre cosmique.
Nouvelle rotation = Nouvelle année.
Accyum Pur : Minerai rare, amplificateur énergétique + propriétés magnétiques extrêmes + réaction à l'Inhérence.
Zar'vash'in = Titre honorifique de Var'ek : « celui qui parle pour les Flux ».
Khar'vel Va'lun = Sobriquet mi respectueux, mi moqueur de Var'ek ; « L'ombre privilégiée qui guide la lumière » -> ombre pour son statut de serviteur et privilégié par qu'il a sa place auprès du conseil et qu'il ne connait rien de la véritable servitude.
Vash'threk = Insulte équivalente à lâche : « Parole fuyante ».
Avant le Grand Renversement, sera toujours noté A.G.R dans les prises de notes.
"Les autres" : Les marginaux du Travyar (Haut et Bas).
Zar'thar Va'lun : Dirigeant de Zytheor.
Etherlink : Dispositif de communication quantique.
ZN : Equivalent à NB pour Nota Bene (latin) / ZN - littéralement traduit par ; Zar'nam en Zar'vash (la langue de Zytheor) = Remarque importante / Note d'attention.
Vekthar Xorran = Dirigeant de Volkyn.
Fluxion : Monnaie mondiale sur Varhen, mise en place en même temps que L'Algue commune, la langue parlée sur toute la planète, symbole de coopération entre les pays reconstruits post Grand Renversement (toujours noté P.G.R dans les notes).
Rappel
Une journée sur Varhen se découpe ainsi ; trois pulsations croissantes, douze diurnes, trois décroissantes et douze nocturnes.
La Seconde = oscillation. La Minute = 60 oscillations, nommée battements. L'Heure : 60 battements, nommée pulsations. La Journée : 30 heures/pulsations.
Une rotation/année se compose de 8 phases de 50 jours pour 400 jours au total.
Un phase = Un mois de 50 jours.
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