Chapitre IV - Braises
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Sethir Ravakan – Bas Travyar – Dralmar – Niv 1
***
Le vent soufflait avec une force inhabituelle ce jour-là, balayant les cendres des volcans en activité du Bas Travyar. Des volutes sombres dérivaient en spirales erratiques, griffant l'air d'une odeur âcre de soufre et de roche brûlée. Les rafales chargées de particules abrasives venaient fouetter le visage de Sethir, soulevant son manteau ajusté, dont le tissu ignifugé crissait légèrement sous la pression.
Sous ses pieds, la terre se faisait traîtresse. Sèche, fissurée, instable. Par instants, le sol vibrait brièvement, un frisson tellurique à peine perceptible, mais régulier, comme un battement profond remonté des entrailles de Varhen. Ces micro-séismes étaient le premier signe que les flux s’éveillaient. Ainsi, l’Eclosion avait commencé… Décidément, il perdait la notion du temps… D'un pas lent mais assuré, il avançait sur la terre sèche et rocailleuse. Chaque mouvement faisait claquer ses bottes contre le sol, laissant derrière lui des empreintes marquées. Le cuir sombre de ses bottines, renforcé de plaques métalliques autour des chevilles, absorbait les irrégularités du terrain, tandis que leurs semelles épaisses adhéraient aux surfaces.
Il s’arrêta un instant, observant les alentours. Une faille mince s’ouvrait non loin, parcourue d’une lueur pâle, verdâtre et intermittente. Des filaments de vapeur s’en échappaient par à-coups, porteurs d'une chaleur inattendue dans cet enfer gelé. Un souffle, tiède mais chargé d’ions, lui frôla le visage. Un des cristaux de Vrith, émergeant partiellement, palpitait lentement au fond de la brèche, comme une braise persistante.
Il reprit sa marche, ajustant la capuche qui dissimulait en partie ses traits burinés, suffisamment abaissée pour le protéger du vent mordant sans obstruer sa vision. Il vérifia dans un vieux réflexe son masque filtrant, replié sur le côté, qui pendait, prêt à être déployé. Ses vêtements - sombres comme la pierre volcanique - se fondaient dans le décor, réduisant sa silhouette à une ombre mouvante sur les reliefs déchiquetés. Tandis que des cendres s'accrochaient aux ourlets de son manteau, formant une fine pellicule grisâtre sur le tissu.
Il poursuivit sa progression, imperturbable, sa vision claire comme en plein jour grâce aux lentilles qu'il portait. Une secousse plus vive se fit sentir, brève, mais accompagnée d’un claquement sec dans l’air. Sethir tourna la tête. Un arc d’énergie venait de jaillir entre deux rochers couverts de mousse. L’électricité atmosphérique, accrue par l’agitation des flux, laissait des traînées bleutées dans l’air froid. Il n’aimait définitivement pas ce niveau. L’Éclosion n’était pas synonyme de paix ici. Juste d’un changement de rythme. D’un réveil… parfois brutal.
Chaque détail de son équipement témoignait d'une préparation minutieuse pour affronter cet environnement hostile, où le moindre faux pas pouvait se payer au prix fort.
Depuis des cycles, Sethir avait parcouru « les cieux » nivelés de Varhen, glissant d'un îlot suspendu à un autre, à la recherche de réponses enfouies, d'échos anciens, de vérités à demi effacées. Il marchait encore, inlassablement, comme s'il pouvait recoller les morceaux du monde à force de pas. Autour de lui, le paysage semblait retenir son souffle : le froid, les falaises et les vents secs qui ne portaient plus que le parfum poussiéreux de la cendre. Des cycles, qu'il arpentait cette planète dans l'espoir de corriger ce gâchis. Les yeux perdus dans le paysage désolé qui s'offrait à lui, il visualisait d'autres terres, d'autres panoramas. C'était il y avait si longtemps, qu'il aurait aussi bien pu les avoir rêvés…
Il s'arrêta au bord d'un promontoire. Sous ses pieds, la croûte vibrante de l'îlot monopolisa quelques oscillations son attention. Il leva ensuite les yeux vers l'horizon. Rien que des escarbilles en suspension et des nuées rouges. Pourtant, dans ce gris sale, il revoyait le bleu profond d'anciens océans. Il les sentait presque, ces brises salées qui s'engouffraient entre les montagnes pour venir mourir sur les rives. Il entendait encore, parfois, le cri des oiseaux migrateurs fendant les courants ascendants, leurs ailes tendues vers des terres lointaines. Il se remémorait les deux soleils, qui jadis, éclairaient toutes les terres de leurs rayons et peignaient les eaux de reflets chatoyants. C'était un monde vaste, vibrant, plein. Aujourd'hui, ce n'était plus qu'un souvenir effiloché.
Sethir ferma les yeux un instant, laissant le vent frais - malgré l'activité volcanique - flatter son visage marqué par la fatigue. Une douceur venue d'un autre temps, mêlée à la morsure âcre du soufre. Il inspira longuement et ses paupières frémirent. Ce n'était pas la première fois que la mélancolie le prenait à la gorge. Mais aujourd'hui, il y avait autre chose. Un frémissement sous la surface. Une tension diffuse, presque organique. L'air semblait chargé d'une énergie étrange, palpable, comme si la planète elle-même était fébrile.
Varhen s'agitait. Il le sentait.
Pas comme une impression, mais comme une onde qui résonnait dans ses os. Dans ce lien tissé entre lui et elle. Il était littéralement connecté à son dernier Cœur et son noyau, ressentait chaque soubresaut comme une pulsation ancienne, vibrante et familière. Il les percevait dans sa chair. C'était son héritage : un patrimoine morcelé qu'il avait pris le temps de comprendre et maîtriser avec les rotations.
Du sommet de cette colline, son manteau battait derrière lui comme une bannière déchirée, tandis que de la condensation se formait autour de son visage à chaque respiration. Ce niveau était vraiment désagréable à vivre. Levant les yeux vers « le ciel », il s'imaginait la silhouette des îlots plus élevés - bien plus imposants - qui cachaient la lumière aussi efficacement que s'il s'était trouvé dans une boîte. La superposition des différentes couches gravitationnelles ne laissait entrapercevoir que subrepticement des raies de lumière astrale à certains moments de la journée, dessinant les contours des terres en suspension, lointaines, au-dessus de sa tête. Une bénédiction dérisoire en ces terres sauvages et désœuvrées.
Devant lui s'étendait une vallée encaissée, remplie de ruines anciennes, dévorées par le temps, les coulées de lave et le Grand Renversement. Peut-être ces lieux avaient-ils connu la guerre, qui pouvait le dire ? Ces structures, autrefois majestueuses, étaient maintenant recouvertes de végétaux uniques en leur genre, bioluminescents - pour la plupart - et qui ne poussaient qu'ici-bas. Mais ce n'étaient pas les ruines qui attirèrent son attention. Au centre de la vallée, une lumière - discrète et pulsante - émanait d'un bâtiment partiellement effondré. Une lueur vacillante qu'il connaissait bien. Il en avait trouvé une ?!
Sethir plissa les yeux, essayant de discerner la source de cette dernière. Son cœur battit plus fort : il en avait vraiment trouvé une autre ! Il descendit la colline avec précaution, accélérant le pas. Lorsqu'il atteignit les décombres, il s'arrêta devant une arche brisée. La lumière provenait de l'intérieur, pulsant comme un cœur. Il hésita un instant, sentant une vague de méfiance l'envahir. Il était déjà tombé dans des pièges et ça n'avait pas bien fini pour lui... Mais sa curiosité était plus forte, il franchit l'arcade et entra dans ce qu'il restait du bâtiment.
À l'intérieur, l'air était encore plus frais et chargé d'une énergie électrique qui piqueta son épiderme, dressant ses poils vers le haut. Les murs étaient couverts de gravures anciennes, des symboles qu'il reconnaissait vaguement, mais dont il ne pouvait se rappeler la signification. Au centre de la pièce - parfaitement restaurée du sol au plafond - siégeait un bouquet de cristaux énergétiques au moins aussi haut et large que lui. Autour d'eux s'érigeait une installation massive : un monstre de métal et de câbles qui semblait avoir été construit avec une technologie très avancée. Des tubes et des conduits serpentaient à travers la pièce, s'enfonçant dans le sol comme des racines métalliques. Il était au bon endroit, c'était la patte de Zytheor !
Des câbles épais reliaient matière naturelle et mécanique, tandis que d'autres accompagnaient la tuyauterie profondément enfoncée dans le sol : probablement pour rejoindre les réseaux énergétiques annexes de Volkyn. Étaient-ils au courant de l'exploitation de leurs ressources ? Il en doutait fortement.
L'appareillage collectait l'énergie des Flux, celle de Varhen. Ces machines étaient en partie responsables de la dégradation progressive de la planète, pompant la ressource la plus vitale entre toutes, dans le seul but d'ajouter au confort déjà bien installé des Zytheoriens. Et celle-ci était dissimulée ici, dans ces ruines oubliées. L'emplacement était parfait : un endroit désert et hostile, où personne ne s'aventurait, le plus proche possible du noyau, un bouquet de cristaux suffisamment imposant pour supporter le drainage. En cet endroit, à quelques lieues de son noyau, Varhen saignait en silence…
Ses poings se fermèrent lentement. Ses jointures blanchirent. Zytheor n'apprendrait jamais… avait toujours été un empire avide ! Chaque fois qu'il détruisait une de ces horreurs, une autre apparaissait ailleurs. Mieux camouflée. Plus profonde. Plus gloutonne. Comme s'ils pressentaient ses mouvements. Comme si quelque part, dans leurs tours d'argent, les ingénieurs de la dynastie traquaient ses gestes, guettaient l'instant où il couperait une ligne, pour en relancer dix autres. Il sentait la colère monter, non pas brûlante, mais froide, tranchante, acérée comme les arêtes d’un Vor'kaal. Une colère d'anciens. De témoin. Ils ne comprenaient pas. Ils ne voulaient pas comprendre !
Il aurait peut-être dû accepter et renoncer au fil de tous ces cycles, mais rien n'y faisait ! Il était là, écumant de rage, prêt à détruire, espérant un miracle, encore, toujours... À force de siphonner les Flux, ces arrivistes sappaient l'essence même de Varhen et tout ce qui engendrait cette magie qu'ils pensaient être l'Inhérence. Ce n'était pas une ressource ! Ce n'était pas un combustible ! C'était une respiration ! Une mémoire ! La vie !
Il examina l'appareillage de plus près, relevant les détails de sa construction ; des panneaux de contrôle complexes, des écrans affichant des données incompréhensibles et des systèmes de refroidissement qui semblaient fonctionner en silence. Les cristaux énergétiques au centre en étaient le cœur, pulsant faiblement mais régulièrement. Il resta un moment immobile, contemplant l'installation. Une onde semblait se déplacer en rythme, engendrant les spasmes de la luminosité naturelle des cristaux qu'il avait aperçue de l'extérieur. Puis, avec une détermination renouvelée, il sortit un carnet de notes de sa poche et commença à esquisser des croquis, notant chaque détail, chaque connexion. Ils avaient amélioré leurs installations, les matériaux étaient plus qualitatifs, les câblages plus résistants et certaines interfaces dont il ignorait tout, avaient fait leur apparition.
***
Le moment était venu… Rangeant son carnet dans son sac, il canalisa l'Éther pour manipuler les Flux qui traversaient la machine. Ses mains se tendirent, il les sentait répondre à son appel. Les cristaux, initialement stables, commencèrent à vibrer, leurs lumières crépitèrent, trahissant leur déséquilibre croissant. Avec une concentration intense, Sethir désolidarisa les cristaux des Flux de Varhen, puis un par un les arracha à la terre. Chaque spath déterré provoqua une secousse dans l'installation, les câbles - une fois libérés - se tordirent et se débattirent. Il termina de les extraire avec sa force brute, ses mains gantées protégées des décharges énergétiques qui jaillissaient des connexions brisées. La machine - maintenant privée de sa source d'énergie - commença à s'effondrer. Les panneaux métalliques se déformèrent, les engrenages grincèrent et les lumières s'éteignirent une à une.
Impassible, il récupéra les cartes mères qui lui rapporteraient quelques fluxions - celles garantes de la mémoire et les interfaces qu'il ne reconnaissait pas - les examinant rapidement avant de les glisser dans son sac. Ces artefacts technologiques, bien qu'étrangers à ses connaissances, pourraient contenir des informations cruciales. Il n'avait toujours pas trouvé le moyen de stabiliser Varhen, mais les fabricants de ces installations avaient certainement collecté des données qui pourraient lui être utiles.
Alors que les ruines de l'appareil s'effondraient autour de lui, Sethir tourna les talons et quitta les lieux, son lourd manteau flottant autour de sa silhouette imposante. Il traversa les décombres avec flegme, son esprit déjà tourné vers la prochaine étape de son voyage. Il se dirigerait vers Dralmar, le plus grand bouge du Bas Travyar, un lieu où les informations circulaient aussi librement que l'alcool et où les secrets les mieux gardés finissaient toujours par être révélés. Un coupe-jarret comme ils en avaient toujours existé du temps de Nharos, il en retrouverait presque le sourire.
Il allait devoir marcher environ 200 gravitons, puis retrouver sa monture qui l'attendait sagement. La dernière fois qu'il l'avait vue, elle était occupée à grignoter d'étranges champignons phosphorescents qui s'effritaient sous la force du vent et qui poussaient à flanc de falaise.
Thael'vyr était une Sylvaris, une créature magnifique qui acceptait rarement d'être montée. Sethir, qui l'avait soigné, quand - toute petite - elle était tombée dans le piège d'un braconnier (qui convoitait ses écailles), avait obtenu cet insigne honneur.
Les Sylvaris avaient toujours été des êtres à la fois majestueux et étranges. D'abord craints dans les temps anciens, ils étaient aujourd'hui éminemment respectés pour leur ancienneté, leur sagacité ainsi que leur sensibilité aux Flux (et aux différentes zones gravitationnelles). Érigées au rang de créatures sacrées - alors qu'elles étaient sur le point de disparaître - elles étaient réapparues le cycle dernier dans le Haut Travyar, le niveau le moins adapté à leur nature et la zone la moins explorée de cette planète. Varhen restait garante de ses mystère…
***
Deux pulsations plus tard, il la retrouva à l'endroit prévu. Elle était allongée de tout son long sur le dos, la membrane diaphane de son ventre exposée, frottant le sommet de son crâne sur les petits cailloux sous sa tête. Il allait repasser pour la grâce et tout le reste…
Sethir s'approcha lentement de Thael'vyr avec une familiarité tranquille, bien que la Sylvaris fût toujours imprévisible. Il la contempla un instant, elle était bien plus qu'un simple animal. La Sylvaris était majestueuse dans son repos et semblait presque fusionner avec le paysage. Les ailes étendues, leurs plumes s'écartaient suffisamment pour laisser la peau translucides et iridescentes capter la lumière volcanique, projetant des éclats de couleurs pâles sur les pierres alentour. Il s'assit à ses côtés, sans hâte, frottant sa main sur les écailles de son épaule, cachées sous son plumage imposant. Plus bas au niveau de l'abdomen, l'épiderme de la Sylvaris, lisse et chaude, formait un contraste frappant avec le froid environnant. Il souffla de soulagement, retrouvant la sensation au bout de ses doigts. Les griffes cristallines de Thael'vyr - qui semblaient forgées dans du cristal - raclaient distraitement le sol, mais Sethir savait que cela n'était que le signe d'une tranquillité intérieure. Elle était détendue à sa manière. Peut-être sortait-elle d'une sieste ?
La queue de la créature frémissait doucement, comme une réaction à un souffle qu'elle seule semblait percevoir. Sethir l'observa, le regard doux, ses pensées glissant lentement vers les souvenirs d'un autre temps. Cela faisait près d'un cycle qu'ils se connaissaient et pourtant chaque moment passé à ses côtés restait comme le premier : mystérieux et empreint d'une communion rare. Il lui vouait un respect profond, reconnaissant de cette compréhension mutuelle qui ne nécessitait pas de mots.
— Thael'vyr. Murmura-t-il en apposant son front contre son épaule massive.
La créature tourna lentement la tête et leva vers lui ses grands yeux en amande aux iris complexes mêlant nuances de bleu, de violet et de vert, ponctués de reflets dorés et argentés. Elle émit un son bas - presque un ronronnement - qui résonna dans l'air comme une vibration. Sethir tendit une main, laissant ses doigts effleurer les plumes irisées de son cou. La texture était soyeuse, même s'il sentait la chaleur des filaments énergétiques pulser en harmonie avec les Flux de Varhen.
— On a du travail, dit-il en se relevant. Dralmar nous attend.
En réponse, elle roula sur le ventre avec une grâce surprenante pour une créature de sa taille, ses ailes se déployant lentement avant de se replier contre son corps. Elle se leva, ses pattes puissantes la soulevant avec une aisance déconcertante. Et sa crête, naturellement discrète au repos, commença à briller plus intensément, comme si elle anticipait le voyage à venir.
Sethir ajusta son manteau. La coupe serrée - une fois fermée - empêchait le tissu de claquer sous les vents violents du premier niveau gravitationnel. Tandis que les sangles d'ancrage - croisées sur son torse et dans son dos - lui permettraient de rester solidement fixé en cas de turbulence. Il vérifia son sac en cuir, où les artefacts technologiques qu'il avait récupérés reposaient en sécurité, avant d'ajuster ses gants isolés. Le froid ne lui laisserait aucun répit, même sous la protection de la doublure thermique.
Il grimpa sur le dos de la Sylvaris, s'installant confortablement entre les ailes. Les bottes à crochets qu'il portait se fixèrent à l'assemblage d'écailles sous les plumes, assurant son équilibre. Il serra la ceinture de sécurité - fixée au harnais de fortune qu’il avait fait fabriquer - autour de sa taille : un réflexe devenu vital depuis qu'il avait frôlé la chute lors d'une turbulence gravitationnelle. Thael'vyr émit un autre son, cette fois plus aigu.
— Allons-y, ajouta-t-il, se penchant légèrement en avant.
Avec un puissant battement d'ailes, Thael'vyr s'éleva dans les airs. Le poids accru dû à la gravité exigeait un effort considérable à chaque battement, mais la créature compensa en déployant pleinement ses appendices, optimisant ainsi la portance. Les plumes de ses ailes brillèrent d'un léger éclat bleu intense, leur pulsation s'accordant aux Flux telluriques qu'elle lisait instinctivement pour naviguer.
Une brise chaude et cendrée s'engouffra autour d'eux, réchauffant Sethir qui commençait à perdre la sensation de ses extrémités. Il rabattit son masque sur son visage afin de filtrer les particules corrosives des nuages volcaniques. La visibilité était faible et il savait que les projectiles incandescents pouvaient surgir à tout instant. Pourtant, il se détendit légèrement, passant sa large paume dans ses cheveux noirs qui retombaient sur ses tempes.
Thael'vyr fendait l'air avec une agilité remarquable, ajustant sans cesse sa trajectoire pour éviter les poches d'apesanteur et les puits gravitationnels. Chaque turbulence était une menace mais aussi un défi auquel la Sylvaris répondait par des manœuvres précises. Sethir restait attentif, prêt à activer le mousqueton de son harnais si la créature devait effectuer une embardée soudaine.
Il regarda autour, observant un minuscule îlot en contrebas et le noir abyssal qui entourait les terres flottantes sur ce niveau gravitationnel, pensant aux ruines qu'ils venaient de quitter. La machine de Zytheor était maintenant réduite à un tas de métal tordu et de câbles brisés, mais il savait que ce n'était qu'une victoire temporaire. Il lui fallait trouver une solution permanente.
La vérité… Après le Grand Renversement, il avait erré pendant un peu moins d'un cycle, rongé par la culpabilité et le chagrin. Le second, il l'avait consacré à la reconstruction de Varhen avec ses habitants, prêtant main forte à Volkyn, Zytheor, Lysorth et Karath. Il était ensuite resté une vingtaine de rotations sur Lunaris, formant les premiers Patriarche et Matriarche, Gardiens du véritable et dernier Cœur de Nharos.
Plus tard, il avait voyagé pendant des centaines de rotations, redécouvrant sa planète, approchant sa faune, étudiant sa flore. Il lui avait fallu autant de temps pour comprendre et exploiter « pleinement » son potentiel. Mais surtout pour faire honneur à son peuple disparu…
Mais un premier îlot avait chuté, deux autres s'étaient entrechoqués, un pan tout entier du Haut Travyar avait disparu, emportant avec lui les terres en contrebas, sur la trajectoire des vestiges qui dégringolaient. Des tremblements de terre étaient survenus, des fluctuations gravitationnelles, ainsi que la baisse drastique du taux de natalité... L'Inhérence, pourtant préservée jusqu'ici, s'était faite plus faible, tandis que le reste de la Trame disparaissait, aussi vite que les astres faisaient s'évaporer l'eau en Haut Travyar.
Il voulait réparer... Il devait faire quelque chose ! C'était comme ça que tout avait commencé pour lui. Mais il n'arrivait à rien, si ce n'était : ralentir Zytheor dans sa quête de pouvoir et conserver les secrets primordiaux bien enfouis.
Le paysage défilait rapidement sous eux, les îlots rocheux et les vallées laissant place à des étendues plus vastes où la lumière astrale filtrait toujours difficilement à travers les couches gravitationnelles. Certaines zones laissaient apercevoir quelques lumières artificielles, d'autres étaient éclairées par la faune et la flore environnante devenues bioluminescentes avec les rotations. Le vide abyssal quant à lui, noir comme la suie, semblait dévoré de plus en plus d'espace. C'était un spectacle à la fois angoissant et vertigineux.
Thael'vyr ajustait constamment son vol, utilisant sa crête énergétique pour capter les flux et naviguer avec précision. Les motifs complexes sur ses ailes semblaient danser avec la lumière qu'elle émettait : un spectacle fascinant qui contrastait avec l'hostilité du niveau un. Sethir sentait la connexion entre la créature et la planète ; une symbiose presque palpable. Leur vitesse - bien que réduite par la densité de l'air - leur permettait de couvrir une bonne distance. Cependant, il savait qu'ils ne tiendraient pas plus de trois pulsations avant que la fatigue ne force une halte. Il gardait difficilement un œil sur l'horizon - sombre et parfois saturé par les cendres - vigilant face aux prédateurs aériens ou aux courants traîtres.
Après une petite pause et quatre pulsations de vol (environ 4000 gravitons), Dralmar apparut à l'horizon. Le bidonville du Bas Travyar était une masse informe de bâtiments entassés les uns sur les autres, construits avec des matériaux de récupération et des technologies hybrides. De la fumée s'échappait des cheminées et des lumières artificielles clignotaient dans l'obscurité. C'était un lieu de peu de contraste, où la misère côtoyait la survie et où les secrets se vendaient au plus offrant.
Thael'vyr descendit en spirale, atterrissant avec une légèreté gracieuse sur un promontoire rocheux surplombant la ville. Sethir descendit de son dos, caressant une dernière fois les plumes irisées de la créature.
— Reste ici, dit-il. Je ne sais pas combien de temps cela prendra.
La Sylvaris inclina la tête, ses yeux brillant d'une lueur d'intelligence. Elle émit un son doux - qu'il avait appris à associer à un acquiescement - avant de se recroqueviller sur elle-même, ses ailes enveloppant son corps comme un manteau protecteur.
— Ne mange pas n'importe quoi.
Un reniflement suivit d'un claquement de bec, lui répondirent. Elle se redressa sur ses quatre pattes, fit faire une rotation à son corps et se recoucha dos à lui. De là où il se trouvait, il pouvait encore apercevoir les mouvements saccadés de ses minuscules oreilles arrondies, qu'elle avait aplati sur son crâne le long des ses cornes incurvées.
Haussant les épaules, Sethir se dirigea vers le centre de la « ville », resserrant son manteau autour de lui. L'air frais était chargé d'odeurs : de fumée, d'alcool, d'épices et de quelque chose de plus âcre auquel il refusait de penser. Les rues, elles, étaient bondées de Vahréniens - de tous horizons - se croisant dans un ballet chaotique. Des marchands proposaient des articles illicites ou des denrées alimentaires plus ou moins étranges, des individus douteux chuchotaient dans les coins, et des gardes patrouillaient avec une indifférence feinte. Il savait qu'ici, il obtiendrait ce qu'il était venu chercher.
***
Lexique :
Bas Travyar : Tout îlot se trouvant sur le premier et le second niveau gravitationnel et qui ne soit pas indexé à Volkyn. Il s'agit de Terres Sauvages, souvent inhabitables, dépourvues de gouvernement.
Varhen est le nom de la planète.
Zythéor = Grande puissance sur Varhen.
Vor'kaal : Prédateurs aquatiques redoutables, évoluant dans les étendues d'eau glacée du second niveau gravitationnel de Varhen. Bien qu'ils ne soient pas gigantesques, leur apparence est tout de même saisissante. Leur corps est long et élancé, recouvert d'une peau lisse et translucide qui leur permet de se fondre dans leur environnement gelé. Leurs arêtes peuvent se déployer ou se rétracter en fonction de leur besoin. Leurs yeux, larges et brillants, sont adaptés à l'obscurité permanente qui règne sous la glace. Leurs pupilles, horizontales, captent toute la lumière disponible, même dans les eaux les plus sombres, leur offrant une vision acérée des mouvements autour d'eux. Tandis que leurs dents, également ajustées à l'environnement, sont petites mais extrêmement tranchantes, leur permettant de déchirer la chair de leurs proies en une fraction de seconde.
Ether : Aspect de la magie qui permet de percevoir, manipuler et stabiliser les Flux d'énergie traversant Varhen et la matière.
Nahros = Ancien nom de la planète A.G.R.
Thael'vyr = Nom dans une langue ancienne de Nharos ; le Vaë’Liran, la langue des nomades des vents. Traduction littérale : compagnon des vents. La Sylvaris vole en moyenne à 50km/h.
Haut Travyar : Regroupe tous les îlots du quatrième et cinquième niveau gravitationnel, qui ne soit pas indexé à Lysorth. Il s’agit de Terres Sauvages, souvent inhabitables, dépourvues de gouvernement.
Il leur a fallu 4 heures / 4 pulsations pour traverser la distance entre la machine détruite et Dralmar. 50 km/h × 4 h = 200 km. 1 Graviton (Gv) = 50 mètres. Ils ont donc parcourus 4000 gravitons.
Rappel :
Cycles = Siècles.
Rotations = Années.
Deux pulsations = 2 heures.
Unité de mesure sur Varhen ; 200 gravitons = 10km.
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