Chapitre V - Révélation

16 minutes de lecture

500.1.2 P.G.R

Var’ek Zhar’in – Jrivan – Zytheor – Niv 3

***

Var'ek attendait que son garant lui apporte une réponse satisfaisante et Tharv'el - dans son hésitation - sembla prendre une décision.

— Il y a des questions qu'il est parfois préférable de ne pas poser… mais si vous insistez.

Il prit le parti de ne pas répondre (encore), le silence fonctionnait mieux avec sar Lun’esh. Avait-il le moindre autre choix ? D'un soupir et d'une main passée dans ses cheveux, son garant abdiqua.

— Très bien. Sachez que je n'ai jamais obtenu cette information vous concernant. Je ne pourrais donc pas vous en dire davantage. Les puissants de ce monde enlèvent des bébés sur Lunaris avec la complicité de Lunarae Thar'vash.

Il sentit distinctement le poids de ces mots s'abattre sur son cœur. Ses poumons se comprimèrent un instant, une lourdeur s'installant dans son ventre, comme si une masse invisible s'était déposée sur lui et l'écrasait lentement. On enlevait des nourrissons ?

— Pourquoi ? Les abandons ne suffisent-ils pas à remplir les rangs des serviteurs comme moi ? Quelles informations avez-vous cherchées ?

— Il n'y a aucun moyen de dire quel enfant a été pris et quel enfant a été abandonné. Les rangs des serviteurs - en fonction du « bienfaiteur » - sont effectivement rapidement remplis. Mais il reste : les casernes, la fonction publique, ceux qui servent de boucs émissaires et les autres... Il en a toujours été ainsi depuis que la richesse a repris ses droits sur Varhen, peut-être même avant.

Il l’avait vu grimacer mais préféra ne pas approfondir, incapable de dissimuler son dégoût de la situation.

— Nous ne sommes même plus en guerre !

— Ne vous y trompez pas, la guerre n'est jamais loin, vos recherches actuelles le prouvent.

— Donc, vous me suggérez de laisser entendre que Lunarae Thar'vash pourrait révéler une seconde bombe, pour dissuader les pays voisins, dont Zytheor, d'investir sa terre ?

— Si c'est elle qui le fait, elle pourra aisément nier toute implication. Cette femme est adulée à travers le monde et tous les dirigeants le savent pertinement. Rappeler les risques c'est ton travail. Et c'est le seul levier en ma possession qui puisse t'aider un tant soit peu.

— Une révélation pareille aurait le même effet que la profanation des terres de Lunaris : la Guerre. Mais si le secret est maintenu dans les hautes sphères… Il tiendra à distance - pendant quelque temps - tous les gouvernements qui convoitent l'Accyum Pur.

Il tenait le coup pour l'instant. Il se redressa imperceptiblement, les doigts serrés sur la table, comme pour s'ancrer à une réalité qu'il ne parvenait pas à saisir. Un doute furtif passa dans son esprit, éphémère comme un mirage, avant de se dissiper ainsi, peut-être n'avait-il pas été abandonné ? Peut-être aurait-il pu prétendre à une autre vie ? L'homme lui faisant face le regardait avec insistance, un pli incertain ourlant ses lèvres.

— Je m'attendais à ce que cette information vous ébranle davantage mon petit.

— Je « compartimente » pour garder l'esprit clair, mais vous avez raison cette information va m'ébranler. Assurément…

La maxime du jour faisait finalement sens. Il se leva d'un coup, ses mains se fermant et se dépliant avec nervosité… Le besoin irrésistible de fuir ses pensées venait de l'envahir. Mais son statut ne l'autorisait pas à faire davantage d’esclandre, même avec son garant qui lui témoignait une affection sincère. Il lui imposait des obligations qui ne sauraient attendre. Et son éthique l’encourageait faire quelque chose. S'appesantir sur sa découverte ne le mènerait nulle part ! Un frisson d'angoisse traversa sa nuque, mais il ravala la vague de panique qui montait en lui. Son regard se durcit en une résolution cachée derrière la nervosité de ses gestes.

— Je vous remercie, sar Lun'esh, pour votre déplacement et votre honnêteté.

— J'accepte vos remerciements pour le déplacement, mais ne me flattez pas pour ma lâcheté, j'aurais dû vous le dire il y a des rotations.

Le regard de Tharv'el se brouilla un instant, ses yeux fuyant légèrement avant qu'il ne se ressaisisse... Il l'aurait bien questionner davantage, mais le temps était compté.

— Ne vous accablez pas, ça n'aurait rien changé.

— Je vais m'accabler Var'ek Zhariel et avec toute l'affection que j'ai pour vous... acceptez rapidement que cette information va vous changer, car il ne peut en être autrement.

La pulsation pour la collation sonna : il ne lui restait que 45 battements avant que le Conseil ne se réunisse.

— Je ne vous en voudrais jamais d'avoir voulu m'épargner l'incertitude et la blessure d'une potentielle trahison.

Son interlocuteur ferma les yeux un instant, hésitant à nouveau. Secouant la tête, il les releva vers Var'ek et recula d'un pas.

— C'est pour ça que je vous apprécie mon jeune ami : vous êtes trop bon pour ce monde. Bon courage et n'hésitez pas à me contacter, même s'il ne s'agit que d'états d'âme ou de chagrin d'amour.

Une étrange sensation se noua dans sa gorge, comme un goût âcre qu'il n'arrivait pas à effacer de sa langue. Il n'avait jamais remarqué une telle tension dans la voix de Tharv'el. Il ne saurait dire pourquoi, mais il eut la sensation très marquée que cette dernière phrase sonnait particulièrement faux... Il devait se faire des idées, l'homme avait toujours été présent pour lui depuis son arrivée à Jrivan.

— Passez une bonne journée sar Lun'esh.

— Zhal'theris en'dorath mon petit.

Il regarda son garant quitter les lieux tandis que son cœur suivait un rythme erratique. Lui aussi devait avoir les pupilles dilatées sous ses lentilles. Il transpirait et sa respiration était un peu plus rapide que d'ordinaire. Un œil averti s'en rendrait compte, mais il était très doué pour dissimuler son tumulte interne.

Il n'avait pas le temps de s'apitoyer sur un sort qui avait déjà eu lieu (35 rotations plus tôt) et dont il ignorait tout. Pas pour le moment tout du moins. La pulsation était au Conseil des Flux et aux réponses qu'il apporterait aux sept conseillers présents ce jour. Mais avant ça, il devait urgemment entrer en communication avec La Matriarche de Lunaris. La difficulté ? Il ne fallait pas qu'il laisse la moindre trace de cet échange.

L’îlot sacré se trouvait à 6 pulsations en transport terrestre et plus de 4 pulsations en Xorr'Mekh - si rien ne venait perturber le voyage - mais il lui faudrait une autorisation pour utiliser l'un de ceux mis à la disposition de La Tour. C'était surtout injouable en si peu de temps ! Les tubes seraient également trop lents et il n'avait aucun moyen de s'assurer qu'elle lise un message écrit rapidement. Non, il allait devoir la contacter via Étherlink, mais il lui en faudrait un qui ne soit pas le sien.

Notant une dernière information et ramassant tous ses papiers ainsi que son pad, il récupéra son dispositif de stockage et quitta à grandes enjambées la bibliothèque, puis retourna dans son appartement aussi discrètement que possible. Il devait se changer et rejoindre La Fosse. Bénissez les Flux, il connaissait bien cet endroit mal famé, y ayant passé une bonne partie de son temps plus jeune pour fuir ses devoirs et ses instructeurs.

Drapé sous une longue tunique marron à capuche, ornée de broderies aux poignets et au col, il quitta La Tour sans lever les yeux. Il connaissait chaque détail des lieux par cœur. Nul besoin d’observer les lianes courant sur les façades incurvées en pierre blanche, ni les vitraux incrustés aux balcons qui filtraient la lumière en éclats irisés. Il ne ralentit pas pour contempler la brume tiède s’échappant des puits de condensation au pied des Vesh’ralen, ces arbres-tours emblématiques, dont les feuilles en disques suivaient la danse solaire.

La saison de l’Éclosion dominait, marquant un renouveau manifeste dans l’air saturé d’humidité. Tandis que la 3ème pulsation diurne avançait et que les deux soleils projetaient une lumière à la fois crue et diffuse. Liora, éclatant, frôlait le zénith. Kael, lui, traçait un arc oblique plus discret. Leur proximité croissante projetait des ombres doubles et mouvantes sur le sol pavé de Jrivan : des formes dansantes qui se déformaient au gré des vents.

Une brise chaude chargée de pollens en suspension glissait le long des passerelles sinueuses et modulaires, charriant les parfums puissants des jardins suspendus et des cultures aromatiques. Tandis que des geysers de vapeur surgissaient sporadiquement partout sur le continent - dans des failles balisées et contrôlées - modifiant temporairement la gravité ambiante (les plateformes instables s’élevaient alors légèrement). La montée des flux telluriques avait commencé, la stabilisation arriverait dans moins de 8 jours.

À cette heure de la journée, la chaleur caressait la pierre tiède. Sur les terrasses - vitrées ou ouvertes - les habitants, vêtus de fibres végétales respirantes et teintées de pigments irisés, portaient des filtres optiques ou des voiles translucides pour se protéger des stries de lumière. Tandis que les ombres des Vesh’ralen, projetées à travers les vitraux suspendus, dessinaient sur les murs des silhouettes fluctuantes. D’ordinaire, il se serait arrêté pour savourer la collation rituelle, assis sous un dôme végétal, les yeux mi-clos derrière ses lunettes, à écouter le chant modulé des Vol’rahn. Les oiseaux-lunes, revenus avec la nouvelle rotation, qui accompagnaient traditionnellement l’Éveil d’Onaril. Mais pas aujourd'hui.

Avançant toujours, il passa la première, puis la seconde circonférence du marché qui entouraient la Tour des Flux. Pour finir par atteindre la dernière et la plus éloignée, sous laquelle se trouvaient des trappes qui menaient à des bas-fonds permettant à des commerces illégaux de s'implanter à Jrivan. Un lieu de marchandages frauduleux, dans lequel il gardait le souvenir d'ateliers clandestins où des artisans assemblaient des appareils illégaux à partir de pièces volées ou recyclées. La Fosse, proprement dite, était un ancien bassin de rétention transformé en zone franche illégale. Ses explorations d'enfant allaient peut-être sauver temporairement cette paix fragile encore en place…

Nichée dans les entrailles concaves de Jrivan, ça n’était pas un lieu, c’était un reste. Une trace oubliée, tordue par le temps, dans ce réseau souterrain hérité de Nharos. Avant le Grand Renversement, quand l’eau coulait encore librement - avec insouciance et gaspillage - ces galeries voûtées servaient de conduits pour un monde qui baignait dans l’humidité. Aujourd’hui, elles n’avaient plus d’eau - ou presque - mais persistaient. Les arches de pierre noire, bardées de câbles obsolètes et de conduits, se succédaient sans logique. Nulle couleur, nulle décoration : ici, tout était fonctionnel ou mort. La mousse bioluminescente - résidu d’une flore mycélienne post-cataclysmique - et les cristaux de Vrith, éclairaient les angles des parois avec une lumière glauque, oscillant entre le vert sépulcral et le bleu malade. Tandis que les plafonds suintaient d’une condensation piégée par l’énergie résiduelle des Flux. Il avait toujours eu tendance à étouffer ici.

L’espace était circulaire et labyrinthique, rythmé par le passage de vapeurs chaudes et les cris des marchands. On y échangeait de tout : drogue cryo-active, cristaux rares, informations sensibles, etc. Les technologies anciennes - récupérées dans les ruines de Nharos sur les différents niveaux - coexistaient avec les bricolages rudimentaires, parfois alimentés par des réacteurs instables nichés dans de vieilles pompes à fluide.

Depuis que les sas d’hygiène étaient devenus la norme sur Zytheor, ces conduits avaient perdu leur fonction sanitaire. Officiellement, ils étaient inutiles. En vérité, ils servaient à évacuer autre chose : surplus d’énergie, cargaisons illégales ou corps indésirables… La Fosse n’était d’ailleurs pas vraiment un secret pour Zar’thar Va’lun et le Conseil des Flux. Simplement une anomalie tolérée, soigneusement ignorée tant qu’elle restait utile. Sous leurs yeux fermés, elle assurait la circulation de marchandises que la légalité ralentissait, l’élimination discrète d’éléments gênants et le recyclage officieux de technologies ou de matières rares tombées hors des quotas réglementaires.

Parfois les parois de la Fosse vibraient sous les impulsions des courants du niveau 3, témoignant de la respiration lente et profonde d’une cité qui préférait ignorer ce qui survit sous ses fondations. Elle servait avant tout de soupape sociale : un exutoire contrôlé pour les classes inférieures. Un marché noir officieux dont les taxes n'étaient pas officielles, mais bien encaissées. La Fosse prospérait, là où la haute société se baignait en secret dans l’eau pure, mimant les gestes d’un passé révolu. C’était l'arène de ceux que la surface nie.

A grandes enjambées, il déambula dans les allées, ne s'adressant à personne et guettant la moindre étincelle, le moindre bruit de soudure dans le brouhaha ambiant. Il avait peu de temps et il ne devait pas tomber sur une patrouille. Il n'avait déjà rien à faire ici enfant, alors adulte, toutes ses économies dans la poche, l'idée était franchement ridicule ! Cette journée n'en finissait plus de l'ensevelir sous son stress…

A l'angle d'un croisement, le bruit significatif recherché parvint à ses oreilles. Soulagé, il s'approcha et observa deux hommes édentés, assez imposants, rire à gorges déployées d'une plaisanterie graveleuse. Ils étaient entourés de morceaux métalliques et plastiques, d'appareils grossiers plus ou moins gros, dans un capharnaüm qui lui donnait le tournis.

— Zhal'theris en'korath, vel'ryn.

— Pas de ça ici mon gars, le Travyar s'invite dans ta ville. Dans la Fosse, tu lèves la main paume ouverte et t'attends en silence qu'on considère ta présence. Lui répondit l'un des lascars en Algue commune.

Il s'exécuta, piqué mais pressé.

— J'l'aime bien ce p'tit gars, l'est poli.

— L'est grand ton p'tit.

— Ignore le, qu'est-ce qui amène un gars d'la haute ici-bas ?

— Il me faut un Étherlink non répertorié.

Les deux s'étouffèrent de nouveau de rire.

— L'a cassé son jouet t'crois ?

Exaspéré, Var'ek prit appui sur le comptoir - ses paumes éprouvant la sensation du bois entaillé d'une large courbe - et fixa son regard lilas dans les yeux noirs du plus raisonnable des deux.

— Je suis très sérieux.

— Ici on n'a pas les moyens d'fabriquer un truc pareil ! On peut t'proposer un « Nétherlink », mais il fonctionnera moins bien qu'ton ancien joujou, et il s'ra moins beau.

— Il va fonctionner tout de suite et ne sera pas traçable ?

— Pour qui tu nous prends ?

— Je ne vous connais pas.

— T'as d’quoi payer ?

— Quel est votre prix ?

— Des cristaux irradié, ou de Vrith pur, des circuits, des batteries, d'autres composants. Si t'as rien de tout ça, c'est 100 fluxions.

Autrement dit, tout ce qu'il avait. Tant pis.

— C'est d'accord.

De sa poche, il sortit les 10 pièces hexagonales, gravées d'un symbole illustrant l'harmonie et l'équilibre entre les six forces primaires de Varhen ; énergie, lumière, terre, eau, air et magie.

— Marché conclu ! T'as vu comme c'est plus simple avec les clients bien élevés Korrenth ?!

— Donne lui son nouveau jouet, l'a l'air pressé.

Var'ek tendit la main et réceptionna l'appareil - d'apparence robuste mais grossière - de la taille d'un livre moyen. Il allait être difficile à dissimuler. Le boîtier principal était ovoïde, avec des bords arrondis pour faciliter la prise en main. Des cristaux synthétiques étaient logés dans des compartiments transparents et grillagés sur le dessus. Leur lueur irrégulière (bleue-violette) était visible même lorsque l'appareil était éteint. Une antenne métallique, faite de tiges de récupération, dépassait du boîtier… elle semblait pouvoir être repliée pour le transport. Certains câbles et circuits, eux, étaient visibles, mal isolés et protégés par du ruban adhésif ainsi que des gaines thermo-rétractables. Ça allait faire l'affaire, il ne s'en servirait qu'une fois de toute manière.

Le retour fut plus rapide. Et c'est essoufflé qu'il regagna sa chambre, à l'abri des regards indiscrets. Reprenant son souffle, il regarda l'heure : il avait encore du temps. Composant les coordonnées de Lunarae Thar'vash qu'il avait récupérées avant de quitter la bibliothèque, et déposa le Nétherlink sur sa couchette. Elle répondrait - elle le faisait pour n'importe qui - c'était une des caractéristiques des Gardiens de Lunaris. A moins qu'elle ne soit en plein rituel, alors l'un de ses apprentis le ferait pour elle. Espérons que ça ne serait pas le cas aujourd'hui. Moins de 15 battements, c'était tout ce qu'il lui restait. Une sonnerie, deux, trois, quatre...

— Habitant de Varhen, La Zar'ka vous écoute.

Le visage d'une femme très mince, au port de tête altier et au longs cheveux gris tressés, le regardait de ses yeux presque blancs, dans une forme holographique projetée relativement instable.

— Lunarae Thar'vash, je suis Var'ek Zhar'in, serviteur de Zytheor, j'ai très peu de temps. Je vous contacte pour vous informer de mes intentions.

— Pourquoi devrais-je en être informée ?

— Je suis le conseiller du Conseil des Flux de Zar'thar Va'lun et je vais suggérer que vous pourriez menacer Zytheor ainsi que le reste du monde, pour les empêcher de piller votre terre.

— Oh, ce Var'ek. L'ombre…

Il préféra ne rien répondre à cela, c'était vrai et elle avait eu la décence de ne pas nommer son sobriquet au complet.

— Saï, Zytheor escompte exploiter l'Accyum Pur, comme le reste du monde.

— Nous en sommes conscients, mon enfant.

— Il existe une information qui peut les ralentir temporairement dans leurs projets.

— Ralentir qui ?

— Tout le monde saï Thar'vash et c'est ce qu'il faut à Varhen ! Un bouclier solide, le temps de trouver des explications... un moyen.

— Un moyen de quoi Var'ek Zhar'in ? Rien ne détournera le regard des dirigeants de ce monde de l'Accyum Pur. Nous avons échoué…

— De mettre tout le monde d'accord ?! De reproduire cette ressource sans dénaturer votre îlot ? De protéger les naissances à venir et tous les enfants que garde Lunaris ?! De…

Il retint son souffle.

— Vous saviez ? Vous dissimuliez l'Accyum... il ne vient pas d'être découvert.

— Vous êtes vif ! Voyons si votre esprit de déduction est efficace. Vous parlez des enfants... n'est-ce pas ? Pourquoi pensez-vous que je consent à une chose pareille ?

— Ceux abandonnés ne suffisent pas à répondre à la demande.

— Je vous en prie... si telle était la problématique, je me serais moi-même immolée.

— Ces enfants détournent l'attention de l'Accyum Pur depuis toujours.

— C'est bien, vous comprenez vite. Les enfants dérobés sont sélectionnés selon des critères strictes : parents instables, extrême pauvreté, criminalité, maladie physique ou mentale, irresponsabilité, isolement. Ça n'enlève rien à l'horrible réalité du kidnapping, mais c'est plus facile d'imaginer leur offrir une vie meilleure.

Elle feignait son détachement, il en était sûr. L'hologramme avait beau tressauté, il l'avait très bien vu déglutir avec difficulté, ses yeux s'écarquillant très légèrement. Ça n'enlevait rien au terrible sujet de cette conversation. Tout désir de sauver l'endroit qui l'avait vu naître et permettait la naissance de tant d'autres : la réalité crue était difficile à avaler. La fable selon laquelle Le Sanctuaire sauvait, recueillait, prenait soin des enfants, lui laissait la gorge en feu et la langue pâteuse. Il fut incapable de se contenir :

— Dans les casernes ou pour servir de boucs émissaires aux petits bourgeois incapables de se tenir et d'assumer les conséquences de leurs actes ?

Il la vit distinctement légèrement se tendre.

— Il y a toujours un revers à la médaille sar Zhar'in. Ne pensez-vous pas que l'Accyum Pur aurait dû rester caché ? Auriez-vous préféré que Lunaris n'ait jamais été créée ? Que ce qui a été accompli jusqu'ici n'ait jamais eu lieu ?

— Non, bien sûr que non ! Pourquoi ces enfants faisaient-ils une si bonne couverture ?

— Tout le monde aime les cadeaux. Offrez quelque chose à quelqu'un et il ne verra plus que ça ; sa toute dernière acquisition ! Les enfants sont une ressource, une de celles qui se fait rare. Volkyn a besoin d'ouvriers. Karath de futurs soldats solides, même si tous les pays de ce monde alimentent leurs armées chaque rotation. Lysorth est le moins prompt à en prendre, c'est le gouvernement le plus pointilleux sur ceux qu'il récupère. Et Zytheor a une population très riche, qui ne sait ni quoi faire de cet argent, ni quoi faire de ses dix doigts. Qui plus est, ces enfants, une fois majeurs, doivent bien aller quelque part. Et Lunaris a besoin de ressources pour fonctionner.

— C'est encore plus sordide vu sous cet angle. Il n'y a pas eu de guerre depuis des rotations, les ouvriers pourraient être recrutés, les bourgeois s'autonomiser.

— Parce que ça l'est et que ça arrange tout le monde.

— Sauf les parents privés de leurs enfants.

— Ils les croient mort-nés. Lunaris s'assure qu'ils soient tous éduqués en vue de leur rôle, avant d'être mis au travail une fois leur majorité atteinte. C'était le compromis le plus acceptable. Nous devions protéger l'Accyum Pur, ainsi qu’assurer le bon fonctionnement de l'îlot et nous n'avions rien d'autre à offrir.

— Et pour ceux qui portent les délits et crimes d'un autre ?

Elle ne prit pas la peine de répondre à sa question, ses lèvres se pinçant pour ne former qu'une ligne. Il avait l'impression de se réveiller d'un rêve relativement agréable, pour revenir dans une réalité moins douce, plus tranchante et franchement douteuse. Devant le regard blanchâtre insistant de la Matriarche, il reprit la parole :

— Mon rôle auprès du Conseil est d'évaluer les situations et prendre tous les enjeux en considération. Lunaris va soit subir une guerre, soit en déclencher une, si personne n'intervient.

— Pourquoi m'en faire part ?

— Je voudrais que vous m'aidiez à préserver votre terre et les futures naissances de Varhen.

— Vos maîtres ne vont pas saluer votre initiative.

— J'utilise un dispositif de communication frauduleux, ils n'en sauront rien.

— Vous êtes prudent et méthodique, je ne l'oublierai pas. Pourquoi me contacter précisément aujourd'hui ?

— Je n'ai pas d'information concernant les autres pays, mais le Conseil des Flux se réunit dans... 7 battements. Je vais soumettre l'idée que vous pourriez menacer de tout révéler. Mais j'ai besoin que vous veniez en appui de mon hypothèse rapidement… pour remettre en question la décision qui sera prise aujourd'hui.

— Un communiqué confidentiel sera transmis à chaque gouvernement dans la journée.

— Bénis soient les Flux.

— Quand l'avez-vous appris ?

— Il y a moins de deux pulsations.

— Et vous voulez garder ce secret, malgré vos origines supposées ? Pourquoi ?

— Il brisera ce qu'il reste de notre monde s'il s'ébruite. Je me soucierai de mon histoire au moment voulu, de préférence loin d'un champ de bataille. Et si je ne divulgue rien, ceux dans la confidence conserveront leur ligne de conduite actuelle. Il ne devrait donc pas fuiter.

— Je ne vous oublierai pas Var'ek Zhar'in, préserver Lunaris est ma priorité et il semblerait que nous ayons gagné un allié de poids aujourd'hui.

Il brûlait de lui répondre qu'il ne cautionnait rien de tout ceci.

— Zhal'theris en'dorath saï Lunarae Thar'vash.

— Ainsi, vous n'êtes pas dépourvu de bonnes manières. Zhal'theris en'dorath Var'ek Zhar'in... Oh ! Gardez à l'esprit que les véritables ombres de Zytheor sont plus nombreuses que vous ne l'imaginez. Votre statut ne vous protège pas Var'ek.

— Je tâcherai de m'en souvenir.

— Bien.

Et elle coupa la communication. La chance lui avait souri, elle lui avait répondu et allait utiliser ce levier contre Zytheor et tous les autres. Dissimulant son Nétherlink sous sa couchette, il renfila sa tunique du jour, bu un verre d'eau et rejoignit les ascenseurs.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Naara Velk ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0