Chapitre 23.4

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— Que devient ce bon vieux Goibné, chuinta Moccus d’une voix sirupeuse. Cela fait un moment qu’on ne l’a pas vu. Ses armes pourraient nous être utiles en ces temps… agités.

— Sans aucun doute, répondit Tsukuyomi sans laisser paraître la moindre émotion sur son visage ou dans sa voix.

Son regard se posa sur Teutatès.

— Encore eut-il fallu que Susanoo et ses amis ne lui coupent pas la tête lorsqu’il a refusé de leur en forger de nouvelles.

L’ancien dieu celte n’en montra aucune surprise, comme s’il ne l’avait pas seulement supposé. Devinait-il que Tsukuyomi ne leur racontait pas tout de cette histoire, vieille de plusieurs siècles ?

Esmelia, elle, la connaissait… Aussi sûrement que si elle l’avait lue dans l’esprit de Tsukuyomi. Mieux, sans doute. Au moins, les documents que Baal l'avait obligée à étudier avaient leur utilité. Les faits avaient été rapportés par deux des serviteurs de l'ancien dieu forgeron.

Goibné vivait sur Namedi, en plein territoire des Dananns. Pour rien au monde, il n’aurait quitté ses terres, sauf pour un ami, ou un allié auquel il devait un service.

Susanoo s’était fait passer pour Tsukuyomi et avait attiré Goibné jusqu’à Meriion, une planète forestière voisine de Namedi, où ses associés et lui-même lui avaient tendu un piège et l’avaient assassiné.

Certes Goibné avait refusé d’accéder à leur demande, mais ce n’était pas uniquement pour cela qu’il était mort. Esmelia devinait que Susanoo n’avait pas uniquement agi pour son propre compte, cependant il en avait tiré avantage.

Il s’était ensuite rendu à la forge du vieux dieu, sur Namedi. Il y avait pris tout ce qu’il avait pu trouver. C’est-à-dire assez peu de choses, finalement. Il avait compris que Goibné n’entreposait pas ses armes là où il les fabriquait, et il était trop tard pour l’interroger sur ce point. Il y avait néanmoins récupéré Kusanagi comme si elle n’attendait que lui pour retrouver sa place naturelle auprès de sa famille. L’épée perdue, pensait-il, par son père lors d’un combat.

Il avait longtemps regretté de n’avoir pas trouvé d’autres armes divines.

Amaterasu le lui avait fait payer un temps…

— Mais ma sœur se trompe, poursuivait Tsukuyomi. Kusanagi n’est plus en possession de Baal. L’un de ses labirés est venu me la remettre, hier soir, sur l’ordre de son maître.

Amaterasu dut faire un gros effort pour, à la fois, feindre l’ignorance, cacher sa déception de voir une attaque possible contre son frère anéantie dans l’œuf, et pour garder ses idées claires afin de trouver un autre moyen de parvenir à ses fins.

— Vous voulez dire son ijà’kô, corrigea Rhadamanthe.

Son expression montrait clairement son amusement.

Tsukuyomi fronça les sourcils, sérieux comme un pape.

— Non. Il s’agissait bien d’un labiré, finit-il par répondre. En fait, ils étaient quatre, sans autres armes que l’épée.

Un éclair sombre passa dans le regard de Rhadamanthe.

Baal n’avait, officiellement, pour seule suite que son ijà’kô. Il n’avait accepté de le recevoir sur son vaisseau qu’à cette seule condition. Pas de gardes, pas de labirés. Pas d’armes. Du moins d’armes lourdes ou d’explosifs. Il avait fait scanner sa vedette avant son atterrissage. Elle ne contenait en tout et pour tout que deux passagers : Baal et son ijà’kô.

Ses hommes avaient fouillé les deux passagers. À part une lame paralysante que chacun possédait, ils n’avaient rien pu trouver d’autre. Visiblement, son ancien protégé avait tout de même assuré ses arrières.

Rhadamanthe ne pouvait pas vraiment lui en vouloir, car il se trouvait en plein territoire ennemi, parmi des comparses qui ne lui voulaient pas que du bien. Le mensonge, la duplicité étaient inscrits dans la nature profonde des Drægans, comme l’instinct de conservation. Baal n’avait pas tort de rester sur ses gardes.

Plus d’un des Drægans qu'il croiserait durant son séjour pourrait chercher à le tuer. Si Baal ne voulait pas mourir, ses ennemis devaient avoir l’assurance qu'il y était néanmoins préparé.

Mais de là à penser que l’ancien dieu phénicien ne pouvait même pas avoir confiance en lui, Rhadamanthe, le Juge, alors qu’il lui avait sauvé la vie plus d’une fois…

La rumeur disait peut-être vrai. Son Protégé n'était peut-être pas aussi isolé qu'il le paraissait.

Qui savait combien de vaisseaux furtifs appartenant à Baal s’étaient glissés parmi les leurs ? Qui savait combien d’espions il avait encore à son service à l’intérieur de chacune des maisons divines ? Peut-être même que l’un d’entre eux se trouvait parmi les membres du Conseil, au milieu d'autres espions...

Le niveau de suspicion que Rhadamanthe nourrissait envers ses congénères grimpa de quelques échelons.

Amaterasu s’était ressaisie.

— Les labirés de Baal sont venus te rendre l’épée, et tu les as laissés repartir ? Comme ça ? Sans rien faire ?

Les lèvres de Tsukuyomi esquissèrent un sourire de satisfaction. Il voyait très bien ce qu’elle aurait fait à sa place.

— Je n’avais aucune raison de tuer des labirés, fussent-ils ceux de ton ennemi, répondit-il d’une voix calme, tout en admettant toujours aussi mal que sa sœur mette en doute le bien-fondé de ses décisions.

Après tout, même s’il n’éprouvait aucune compassion envers le "déchu", il lui devait bien cela.

Baal l’avait débarrassé de deux des quatre problèmes épineux qu’il cherchait à gérer depuis un bon moment : un frère, Susanoo, belliqueux, cruel et inconscient de la répercution ses actes, et une compagne, Ame-No-Uzume, volage, sournoise et à peine moins dangereuse qu’Amaterasu dont elle recevait sans aucun doute les enseignements retors.

Au moins, dans l'immédiat, il n’aurait pas à craindre que son vin du soir soit empoisonné ou que sa couche soit sa dernière demeure. Facultativement, le problème d’espionnage était aussi réglé. Ame-No-Uzume n'avait jamais été aussi fine mouche que sa soeur dans ce domaine. Pourtant, ce n'était pas pour cette dernière qu'elle travaillait, ou pas seulement. Une autre maison, ou un autre clan, oeuvrait dns l'ombre, et elle leur fournissait les informations dont ils avaient besoin. Peut-être allaient-ils envoyer un nouvel espion qui lui permettrait de démasquer plus facilement ses commanditaires. 

Bien entendu, cette résolution amenait un nouveau problème.

Amaterasu pensait qu'Ame travaillait pour elle, uniquement. Elle allait devoir lui trouver un ou une remplaçante si elle voulait continuer à le surveiller.

Il allait devoir se montrer attentif. Mais au moins, il pouvait se concentrer sur ses autres tracas sans avoir à surveiller son entourage immédiat. Encore que… Non, à bien y réfléchir, Ame-No-Uzume ne devait pas être la seule espionne mise en place par sa soeur. Qui Amaterasu avait-elle pu placer comme espions dans ses fréquentations ? Tous étaient des assassins potentiels. Non, finalement, il ne relâcherait pas sa vigilance. Au contraire, il allait devoir en redoubler et prendre des mesures contre ses ennemis, rapidement.

Amaterasu était l’un d’entre eux. Avec un peu de chance, elle n’en serait bientôt plus un. Surtout si elle s’en tenait à son idée fixe de s'attaquer à Baal. Il espérait profondément que ce serait le cas.

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