Chapitre 23.3

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Les yeux sombres d’Amaterasu brillèrent avec intensité.

Horus et Apollon y décelèrent un sentiment de victoire et de ruse, alors qu’elle n’avait pas de quoi se pavaner... Elle préparait d’autres mauvais coups, c’était certain. Ils connaissaient son ambition démesurée. Susanoo lui devait tout. C’était elle qui avait fait de lui ce qu’il était.

Aujourd’hui, c’était contre Baal, et s’ils accédaient à sa demande, demain – un demain très proche – ce serait sans doute contre l’un, ou plusieurs d’entre eux.

Pourtant, les anciens dieux soupçonnaient, à raison, que sa funeste réclamation n’avait rien à voir avec la mort de son frère. Il s'interrogeaient sur les raisons de son ire envers le Phénicien. Certes, il avait le don de se mettre à dos tout ce qui pouvait l'être, et les déesses en particulier.

La haine d'Amaterasu envers Baal avait toujours été connue de tous tant elle était évidente, mais la jalousie naturelle qui la brûlait comme un feu ardent ne suffisait pas à expliquer cette antipathie abyssale.

Elle interrompit brutalement leur réflexion :

— Qu’est-ce qui vous embarrasse dans ma demande ? Il y a quelques dizaines d’années, vous n’auriez pas hésité… Il est l’auteur d’un…

Teutatès lui intima le silence.

— Nous n’avons jamais pu avoir la confirmation de ce crime pour lequel nous l’avons tout de même été condamné.

Teutatès se leva son siège, sans pour autant aller vers elle. Il poursuivit :

— Admettons que Baal ait assassiné Susanoo. Ce qui, d’après ce que j’en sais, est sujet à caution. Pourquoi serait-il un voleur ? Les rumeurs disent qu’il possède plus que ce que certains d’entre nous disposent encore : une armée de labirés, des alliés qui lui sont fidèles, des vaisseaux de guerre, et des planètes sur lesquelles il est toujours vénéré comme un dieu. Il pourrait, s’il le souhaitait, les gouverner à sa guise. Or, il n’en est rien.

Lara crut bon d’intervenir en soutien à sa consœur :

— Vous l’avez dit : ce ne sont que des rumeurs. Comme la plupart d’entre nous, il a tout perdu, j’en suis plus que certaine. Pensez-vous vraiment que les peuples des planètes qu’il gouvernait continuent à le suivre alors que tous les autres se sont libérés de leurs prétendues… "chaînes" ? Ils nous ont abandonnés, nous. Pourquoi en serait-il autrement avec lui ? Qu’est-ce qui le différencie de nous ?

Bidh sinn fhathast a ’cnuasachadh*. [* Gaelic. On se le demande encore / On y pense encore / ou Google traduction : Nous sommes toujours étonnés]

Divona avait parlé, dans un soupir, plus pour elle-même que pour répondre à la question de Lara. Cette discussion l’ennuyait et elle ne cherchait surtout pas à le cacher.

Amaterasu ne sembla pas l’entendre. Elle poursuivit, les observant les uns après les autres, en quête de leur soutien.

— Le peu qu’il lui restait, vous le lui aviez pris lorsque vous l’avez déchu de ses privilèges de Chancelier, non ? En réalité, il ne possède plus rien… RIEN. Pas même sa dignité.

Perséphone réprima un frisson.

De même, elle réfréna un sursaut lorsque Amaterasu eut un rire aussi soudain qu’insolent. Perséphone ne se souvenait pas l’avoir déjà eue pour ennemie, et espérait que ce ne serait jamais le cas.

Teutatès, lui, n’avait guère envie de rire. Il interrompit net cette expression d’impertinence ou de folie, ou les deux à la fois.

— Comptes-tu nous dire enfin ce que Baal a volé à ton frère, oui ou non, et en langage commun, je te prie ?

— C'est valable pour tout le monde, ajouta Horus sur un ton qui n'admettait aucune contestation.

Tsukuyomi remua sur son siège, furieux d'avoir à s'exprimer sur une affaire qui ne concernait que sa famille.

— Vous ne devinez pas ? fit-il mi-figue mi-raisin, d’une voix presque chantante.

Les oreilles fines de ses congénères y perçurent toutefois cette pointe d'agacement qui le taraudait.

Un ange sembla traverser le cercle à grand pas pour se diriger vers Tsukuyomi. On eut même dit que Perséphone et Dercéto le suivirent du regard jusqu’au beau jeune homme.

Que devaient-ils deviner ? Que sa sœur cherchait à le rendre complice de Baal ?Personne n'y croyait vraiment.

Si quelqu’un avait la réponse, en dehors d’Amaterasu, cela ne pouvait être que lui.

Tsukuyomi aurait pu ne rien dire, ou mentir, mais cela ne servait à rien. Sa sœur savait… Ses espions l’avaient sûrement renseignée à l’instant même où les labirés de Baal s’étaient présentés à lui…

Cette information, claire dans l'esprit du Drægan, étonna Esmelia.

Tsukuyomi soupira douloureusement. Cela lui coûtait, lui qui n'aimait pas dévoiler ses atouts, mais s’il ne prenait pas l’initiative maintenant, elle en profiterait pour lui asséner un de ces coups dont elle avait toujours eu le secret, et dont il ne se relèverait peut-être pas.

De plus, songeait-il, s’il tardait à répondre, les autres allaient lui tomber dessus comme la petite vérole sur le bas clergé. Ils se demanderaient ce qu’il leur cachait d’autre.

Ce n’était pas exactement les termes de sa pensée, mais cela y ressemblait beaucoup.

Il se décida à répondre à sa propre question :

— Une épée que nous possédons… On lui a donné plusieurs noms, mais là où nos ancêtres en auraient pris possession, dans un monde féodal, elle a été surnommée Kusanagi, la coupeuse d’herbe. On la dit créée par un dieu pour un empereur de ce monde, la Terre. Enfin, c’est ce que dit la légende. Nul ne sait si elle s’y est vraiment trouvée à un moment… ou si ce monde a jamais existé. Elle a sans doute beaucoup voyagé, et connu de très nombreuses civilisations.

Teutatès ne s'en montra guère étonné. Il fut le premier à réagir :

— La légende dit aussi qu’elle aurait été dérobée à son véritable propriétaire par un certain Kufneuk, l’un de vos anciens généraux, Amaterasu, avant qu’il se mette au service de votre frère Susanoo. À moins que ce soit ce dernier le véritable voleur...

Amaterasu lui lança un regard courroucé comme si elle le défiait d’en apporter la preuve.

Teutatès se contenta de la fixer d’un air amusé.

— Le fait est que c’est notre famille qui possède cette épée depuis des siècles, lâcha-t-elle sèchement.

Ishkur leva la tête de son transcripteur et essaya de déchiffrer le regard de Horus. Il se demandait si cela valait la peine de faire état de l’histoire d’une vulgaire épée dans ses notes, fut-elle le joyau d'une famille divine.

Il remarqua que Horus avait ostensiblement l’esprit d’un côté, et les yeux de l’autre, plus précisément sur Boann qui discutait discrètement avec Circé. Ishkur comprit qu’il en était quitte pour relater toute l’histoire dans ses moindres détails. Intérieurement, il maudit Horus, Tsukuyomi et sa satanée épée. Et Boann, et Circé aussi.

Teutatès poursuivit :

— J’ai fait mes propres recherches. En vérité, c’est l’un des nôtres qui l’a forgée : Goibné.


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