Chapitre XI. Quand le passé ressurgit !

6 minutes de lecture

Jeudi 01/12/22, fin d'aprés-midi à l'hôpital

Dans cette fin d’après-midi de novembre, Reeve regardait la respiration saccadée du jeune homme, les traits de son visage étaient marqués, un bleu se dessinait autour de son œil et une bosse impressionnante se calquait au milieu du front. Le médecin de garde lui assura qu’il s’en remettrait et ajouta comme pour se donner bonne conscience qu’il serait au chaud pendant quelques jours ce qui améliorait grandement son quotidien. La jeune femme en doutait, très rapidement Marc étoufferait entre quatre murs.

Cet homme, si différent des autres, avait croisé sa route au hasard d’une fin après-midi de juin. Finissant les cours à dix-huit heures, elle avait profité de la douceur de cet été naissant en flânant sur les quais de Seine. Henry, son grand-père l’attendait pour le souper, mais elle savait qu’il lui pardonnerait cette errance au bord de l’eau. Perdue dans ses pensées, à la recherche de quatrains à étaler sur un morceau de papier, ils s’étaient rencontrés. Ou plus précisément, Milord avait bousculé la jeune femme en attrapant la boule de chiffon qui avait terminé sa course sur ses genoux. Surprise, elle avait laissé échapper son crayon qui avait roulé et disparu dans la Seine. Le chien était venu poser son museau sur ses jambes, attendant des caresses qu’elle s’était empressée de lui prodiguer. Sans un bruit, Marc s’était matérialisé à ses côtés. Ils avaient discuté tout naturellement comme deux amis qui se retrouvaient après une longue séparation.

Son ami dormait sous les étoiles par tous les temps, alors ce plafond blanc serait une chape de plomb qu'il ne supporterait pas. Elle avait appris à le connaître. Il ne parlait jamais de son passé, qu’elle imaginait douloureux, il esquivait le sujet à chaque fois qu’elle posait des questions. Il se contentait de répondre avec un sourire, il n’avait pas besoin d’en dire plus. Elle se doutait que ce n’était qu’une façade mais Reeve n’insistait pas de peur réveiller des fantômes.

Marc était une force de la nature, parfois l’alcool pouvait le faire dérailler, il devenait si différent. Pour l’heure, il semblait si fragile, un plâtre recouvrait sa jambe droite, et un autre son bras gauche. Quand l’infirmière se présenta pour annoncer la fin des visites, Reeve en profita pour s’éclipser. Il se faisait tard, elle devait aller prendre soin de Milord qui n’avait pas eu le droit d’entrer avec son maître. Le SDF avant de s’évanouir avait suppliés les pompiers de prendre soin de son ami à quatre pattes. Voyant la jeune femme, le berger allemand voulut arracher la corde pour la rejoindre au plus vite. Elle se précipita pour le détacher avant qu’il ne se fasse mal, s’agenouilla devant la boule de poil qui fit chavirer son cœur.

Reeve avait conscience que les chiens n’étaient pas les bienvenus dans l’immeuble bourgeois où elle résidait. La copropriété considérait qu’ils étaient trop bruyants, nuisant au calme des lieux qui s’imposait dans un tel standing. Pourquoi ne contournerait-elle pas les règles pour une fois ? Après tout Milord méritait toute autant d’attention que quiconque, un fidèle compagnon.

La nuit avait déposé un voile sur la ville, la jeune femme accompagnée du berger allemand longèrent la maison de retraite, d’instinct elle leva le regard, espérant voir la silhouette de son grand-père derrière le rideau. Des souvenirs d’étudiante traversèrent son esprit. Elle s’était inscrite à des cours de théâtre pour gommer la timidité qui l’habitait depuis enfant. Henry avait conseillé à sa petite fille de s’ouvrir au monde pour pouvoir mieux l’affronter. La jeune femme avait accepté cette nouvelle expérience avec enthousiasme, les cours s'étaient succédés, les répétitions s’étaient enchaînées et certains soirs la petite troupe se retrouvait autour d’un verre. Reeve n'avait jamais fait durer le plaisir, elle avait toujours su que son grand-père devenait insomniaque en vieillissant. Il attendait son retour pour s’assurer que tout allait bien. En traversant la rue, elle le découvrait à la fenêtre scrutant la ville et dès qu’il l’apercevait, il lui faisait un petit signe de la main, il s’installait dans le canapé du salon pour lire. Reeve le rejoignait, déposait un bisou sur sa joue, et souvent la jeune femme s’endormait à côté de cet homme rassurant.

La chambre que le vieux monsieur occupait dans la maison médicalisée en cette soirée automnale, était plongée dans la pénombre comme sa mémoire qui peu à peu s’effaçait. Un pincement au cœur accompagna la jeune femme, Milord le sentit et vint caller sa truffe glacée dans sa main brûlante. Elle refoulait ses larmes, encore une fois son cœur se brisait en petits morceaux, encore une fois elle devrait lutter pour ne pas se laisser aller, encore une fois elle devrait aller de l’avant comme il lui avait appris. Petite, son grand-père répétait à chacune de ses chutes :

"Si tu te relèves, tu grandiras quelle que soit la douleur qui te freine,
Si tu restes à terre, tu fuiras et la souffrance t’oppressera sans peine.
Tu es la seule qui pourra trouver la solution,
Le choix t’appartiendra sans hésitation.
N’espère pas, rêve les yeux ouverts et la vie te sourira".

Elle observa une dernière fois le haut du bâtiment, et vit une ombre derrière la fenêtre et poursuivit son chemin le cœur léger.

Après cette virée nocturne, la maîtresse et son compagnon à quatre pattes arrivèrent au pied de l’immeuble. À cette heure, peu de chance pour les deux âmes en peine de croiser qui que ce soit. En principe, la gardienne ronflait devant une émission de télé réalité dont elle se servait pour alimenter les ragots. Depuis un mois, une locataire du petit écran avait élu domicile dans un des appartements sous les toits. La starlette essayait de se montrer discrète. Mais la veille chouette du rez-de-chaussée prenait un malin plaisir de l’épier pour récolter des informations croustillantes à lâcher au tabloïd. Cette femme l’insupportait, vivant seule, elle cherchait des occupations peu gratifiantes, la bienveillance n’avait pas été fournie dans son trousseau de naissance.

Reeve accordait toujours sa confiance aux personnes qui partageaient sa vie, souvent à ses dépens, mais cette vieille sorcière faisait peur. En locataire soucieuse, elle avait essayé de faire des efforts, pourtant tous furent vains. Elle continuait à discuter avec elle en se contentant de distiller des banalités, la pluie et le beau temps devenaient un sujet de prédilection. En poussant la grille du hall d’entrée, elle ne souhaitait qu’une chose ne pas croiser sa route. Elle fit un signe à Milord pour qu’il passe le long du mur, elle avança le plus naturellement possible. Prendre les escaliers s’avérait le plus simple. Ne pas laisser de preuve du passage du voyageur clandestin. La première étape franchie, ils arrivèrent sur le palier d’Etienne, le chien reniflait le sol et se posta devant la porte en montrant les crocs.

  • Chut, ne fais pas de bruit. Qu’est-ce qui t’arrive ? lui chuchota-t-elle en passant sa main sur sa tête pour le clamer.

L’animal nerveux transmit son angoisse à Reeve qui par réflexe approcha son oreille de la porte. Elle s’était éclipsée au retour d’Etienne et avait entendu ses excuses. Elle comprenait qu’il était déboussolé, elle lui avait fait peur. Quelle conne, elle s’en voulait d’avoir joué sur la corde sensible. La jeune femme avait conscience que ses paroles l’avaient forcément blessé et ravivé les cicatrices qui se dissimulaient au plus profond de son être. Au petit matin, elle s’était éclipsée de l’appartement de son voisin pour aller se rendre au chevet de son ami Marc. Sarah, lui avait fait comprendre avec un ton glaçant qu’elle saurait prendre soin de l’homme qui dormait dans son lit, il n’avait nullement besoin d’une midinette, il devait connaître une femme, une vraie. Qui était-elle ? Pourquoi Marc, lui avait-il dit de s’en méfier ?

N'entendant aucun bruit, elle passa son chemin, le berger allemand la suivit sans hésiter. Arrivée devant la porte de son appartement, elle découvrit un mot dans l’embrasure. Elle glissa la clé dans la serrure, s’empressa de faire entrer Milord qui marqua un arrêt. Elle ramassa le papier qu’elle déplia et le lâcha terrorisée.

*A.R*

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 9 versions.

Vous aimez lire L' Étirêvaunichoux ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0