Chapitre XXXIV. les valises sont prêtes, le camion attend …

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  • Etienne, dépêche-toi, le chauffeur hurle, il est en double fil, c’est déjà le bazar. Il dit qu’il voudrait arriver avant la nuit.

Reeve courait dans tous les sens depuis le début de l’après-midi sous le regard amusé de son homme qui se contentait de donner un ordre de-ci de-là. Ils étaient rentrés depuis trois jours de l’île et les événements s’étaient accélérés. De son côté, Etienne avait mis ses affaires courantes en ordre, les appartements seraient vendus en peu de temps. Le quartier et l’immeuble étaient prisés. L’architecte quant à elle, avait fait ses au revoir à ses collègues et s’était réjouie de pouvoir claquer une dernière fois la porte sous le nez de son patron. Elle promit à son amie Claire de l’inviter dès qu’elle serait installée dans sa nouvelle maison. Puis la jeune femme s’était assurée que le nécessaire soit fait pour le transfert de son grand-père dans sa nouvelle maison médicalisée du sud de la France.

Tout était emballé, prêt à partir vers un nouvel horizon. L’essentiel de sa vie de jeune femme rentrait dans quelques caisses, certains meubles seraient stockés dans un garde meuble le temps de savoir ce qu’elle voudrait en faire. Pour ce premier déplacement, seule sa bibliothèque, un beau meuble en marqueterie que son grand-père avait lui offerte pour ses dix-huit ans accompagnerait les meubles de son cher et tendre. Elle tenait à ses livres comme à la prunelle de ses yeux. Elle les avait emballés avec minutie la veille s’amusant à les feuilleter avant de les classer. Etienne n’avait pas pu la quitter des yeux, et sous le charme s’était laissé compter un ou deux poèmes de Verlaine qu’elle aimait tant.

Il admirait celle qui allait faire dorénavant partie de sa vie, celle qui le bousculerait avec bienveillance. Ce week-end à l’île de Ré les avait rapprochés, dans son regard il voyait briller l’étincelle qui s’était ternie à la mort de sa femme Catherine. Sarah, cette nuit-là sur le Pont Neuf s’en le vouloir avait réveillé ses cauchemars. Entendre l’homme de sa vie, crier la nuit dernière, voir des sueurs froides sur son front l’avait effrayé. Il appelait Catherine, il appelait Sarah mais son prénom elle ne l’entendait pas. Avec douceur, elle s’était serrée contre son torse, avait déposé sa main sur ses abdomens qu’elle avait caressés encore et encore jusqu’à ce que sa respiration s’apaise. À aucun moment, il n’avait ouvert les yeux ou s’était réveillé. Quand elle avait senti des larmes glisser le long de sa joue et se perdre dans son cou, elle n’avait pu contenir les siennes.

Ce matin, au réveil les seules traces de cette nuit se dessinaient dans les petits cernes qui encadraient ses yeux. Quand elle lui avait fait remarquer qu’il avait une petite mine, il avait mis ça sous le compte de la fatigue des derniers jours. Mais qu’elles s’atténueraient aussi vite qu’elles étaient apparues, pouvoir vivre à ses côtés, le combler de bonheur. Reeve savait que c’était bien plus profond que ça. Après le petit déjeuner, elle l’avait entraîné sous la douche pour lui faire l’amour là où la première fois ils s’étaient laissés aller à leurs pulsions. Avant que les déménageurs n’arrivent en fin de matinée, elle l’observait celui qu’elle aimait et dont elle ne connaissait finalement pas grand-chose de son passé. Le regard de l’homme au bouquet de tulipes se figea sur les cadres qu’il enfermait dans une boite à chaussures, elle comprit qu’il n’était pas encore prêt à tout lui raconter. Elle se montrerait patiente et devrait lui faire confiance. La seule chose dont elle avait envie pour l’heure, c’était de découvrir ses lèvres s’étirer pour esquissait son beau sourire charmeur.

  • Bon là c’est toi qui te fais attendre ma chérie.
  • Oui, une minute, je vérifie que je n’ai rien oublié. Descends, je vous rejoins.
  • Ok, je dis au camion de partir, ils ont toutes les coordonnées.
  • Si tu veux. Tout me va, du moment que je suis avec toi, rien n’a plus d’importance.

Une fois seule dans l’appartement, Reeve passa ses doigts sur chaque mur qui semblait figer dans le temps, revivre en un clin d’œil tous ses souvenirs d’enfance, d’adolescence et de femme, l’empreinte de sa vie d’avant. Quand elle franchirait la porte, elle ne se retournerait pas, elle avait fait ce choix qui n’appartenait qu’à elle, partir vers un avenir vierge qu’elle façonnerait à son image. Une nouvelle vie l’attendait avec ses doutes, ses questions et pourtant pour la première fois elle n’avait pas peur, elle ne serait pas seule à les affronter. L’homme qui se tiendrait à ses côtés, sécherait ses larmes d’un simple baiser.

Dans la cage d’escalier, elle balayait du regard chaque détail, une photo de son passé et elle claqua la porte. Elle croisa la concierge à qu’il ne put refuser un dernier geste. Même si cette femme était aigrie par le temps qui passe et par son amertume d’une vie sans couleur, Reeve se devait de lui offrir son plus beau sourire qui peut-être quelque part lui manquerait. Arrivée dans la rue, Etienne l’attendait avec un bouquet de tulipes qu’il venait d’acheter.

  • Et dire que si ce jour là je m’étais bien garé …

La jeune femme sauta à son cou, manquant de le faire chavirer, heureusement la voiture amortit leur étreinte.

  • Allons-y, plus rien ne nous retient ici. Papy nous attend, il est temps pour lui de prendre l’air, loin de l’agitation de la capitale. Emmène-nous où tu veux.

La coccinelle démarra sur les chapeaux de roues, la jeune femme trop pressée avait eu le pied un peu lourd sur l’accélérateur. Dans son enthousiasme, elle passa au rouge sous les yeux d’un groupe d’adolescents qui la huèrent. Elle ne put contenir son fou rire, heureuse et libre, elle ouvrit la fenêtre et leurs envoya un geste d’excuse et surtout un baiser du bout des lèvres. La page se tournait, elle l’avait écrite, une nouvelle se présentait et celle-ci elle l’écrirait avec le cœur.

Le périphérique était encombré, les automobilistes trop pressés incendiés les prudents qui suivaient le flot incessant des files d’attentes. Chacun espérait être plus malin que l’autre et ne souciait pas du danger qu’il occasionnerait avec des queues de poisson intempestives. Reeve surveillait d’un œil dans le rétro intérieur que tout allait bien pour Henry assis à l’arrière et ceux extérieurs qui étaient des complices précieux au milieu de ces crocodiles aux dents acérés. À cette pensée, elle se mit à fredonner cet air que papy lui chantait petite au bord de l’océan :

  • Un crocodile s'en allant à la guerre
    Disait adieu à ses petits-enfants
    Traînant ses pieds
    Ses pieds dans la poussière
    Il s'en allait combattre les éléphants.
  • Ah, les crocrocro, les crocrocro, les crocodiles
    Sur le bord du Nil ils sont partis, n'en parlons plus.

Quelle ne fut pas sa surprise d’entendre son grand-père reprendre le refrain de cette comptine avec un beau sourire. Elle continua de plus belle, ne voulant pas rompre la magie de l’instant. Reeve ne se faisait aucune illusion pourtant cette lumière dans les yeux du vieux monsieur était un rayon de soleil déchirant la brume parisienne, un joli présage. Le voyage était lancé, l’aventure commençait, la capitale s'effaçait au loin dans son rétroviseur, un simple point dans l'infini. La circulation devenait plus fluide passé le péage de Saint Arnoux, comme si le monde qui les oppressait s'évanouissait à chaque borne qu'ils croisaient.

  • Fonce ma jolie, lança Etienne tout en posant sa main sur sa cuisse.

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