Chapitre 12 : Le compas dans l’œil

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Vendredi 23 Septembre 2022, vingt-deux heures trente.

— Alexandre, cela vous ennuie de me retirer mes sous-vêtements ?

— Non, répond-il en émergeant la tête du matelas. Avec plaisir.

— Attendez, je reviens.

Gwendoline se relève et manipule son MP3 pour lancer sa playlist. Perturbée par la situation, elle en avait oublié de mettre sa musique. Puis elle tamise la lumière de la suite en laissant juste une petite lampe de chevet à l’autre bout de la pièce. La bougie de massage continue de se consumer, diffusant une odeur enivrante de papaye. Cela lui rappelle le coin du feu, à la villa, lorsqu’Erwann et elle étaient posés sur le plaid et qu’elle l’avait massé. Elle avait laissé la bougie là-bas, persuadée d’y retourner.

Pourquoi avait-elle racheté la même ? Stupide !

Pourtant, elle s’aperçoit que cette réminiscence olfactive l’apaise. Comme si le fantôme protecteur de son cher et tendre d’autrefois se tenait là, pour veiller sur elle, dans cette chambre de luxe.

Elle revient vers le lit et les deux étrangers maladroits se glissent sous la couette blanche, immaculée, comme celle du phare…

… Protecteur mais envahissant.

— Déshabillez-moi, ordonne-t-elle comme une supplique.

Vite, avant qu’il ne revienne me hanter.

Discipliné, Alexandre obtempère. Il lui retire sa lingerie fine, en commençant par dégrafer son soutien-gorge. Puis fait glisser le tanga, laissant apparaître son corps de femme.

— Oui, je confirme, toujours aussi belle.

Ses yeux clairs étincellent d’une lueur de désir. Son sourire s’élargit. Il la regarde sans oser la toucher.

— Merci, répond-elle en baissant les yeux.

— Puis-je vous masser à mon tour ?

Elle acquiesce et s’allonge sur le ventre, inversant les rôles d’une délicieuse façon. La pudeur de son client l’émeut. Elle aime découvrir sa personnalité bienveillante. Sa retenue, le respect qu’il a envers elle et son corps, et la politesse qu’il utilise pour lui parler, tout ce tact la touche. Elle est sensible à ce genre de déférence.

Alexandre commence à faire glisser ses mains huileuses le long de son dos, de la base de sa nuque à la courbe de ses fesses. Contrairement à lui qui n’a aucun tatouage, elle est décorée de part et d’autre et, tandis qu’elle est immobile, il détaille chaque parcelle de sa peau à loisir. Il suit les calligraphies et les symboles qui ornent sa silhouette gracile. Ses doigts tracent des arabesques sur les côtes saillantes, les omoplates apparentes et chaque aspérité de sa colonne vertébrale.

Depuis qu’il a commencé à balader ses mains sur elle, elle a envie de plus. Plongée dans un état cotonneux, elle songe à sa période du mois. Milieu du cycle, pleine ovulation… évidemment, voilà pourquoi elle se sent si excitée. C’est une très bonne nouvelle. Les rapports n’en seront que plus agréables. Le contact suave de ses mains d’homme échauffe son désir. Gwendoline commence à desserrer les jambes, invitation implicite à ce qu’il l’explore davantage.

Le masseur inexpérimenté mais doué ne se fait pas prier. Après avoir longé la rondeur de ses fesses bombées, il continue son excursion tactile vers ses jambes et insiste sur ses cuisses galbées. Il s’y attarde, puis approche de la moiteur de son intimité.

Gwendoline remonte le bassin, de plus en plus claire dans ses demandes silencieuses. Il saisit le message et laisse sa main s’infiltrer dans les dunes chaudes et ardentes, ressentant l’humidité de son excitation. Il effleure ses lèvres gorgées et glisse ses doigts dans les replis brûlants. Guidé par ses râles encourageants, il insère avec délicatesse son index, à l'affût de sa réaction. Elle ondule et geint en même temps. Alors, il s’amuse à la faire monter doucement, accentuant ses gestes, sans parvenir toutefois à la faire décoller.

Lorsqu’elle se retourne, avide d'autres sensations, sa poitrine lui offre deux mamelons tendus.

— J’ai envie de vous voir, dit-elle en s'allongeant sur le dos.

— Moi aussi.

Les muscles de son client ne sont pas très dessinés mais il a une carrure d’homme, des épaules larges et un bassin étroit. Elle le scrute, savourant la couleur diaphane de sa chair, le velouté de sa peau, la chaleur qui émane de son corps. Il s’allonge à ses côtés et la regarde, tout en jouant avec la pointe de ses tétons, son sexe en érection.

Curieuse, elle observe sa nudité exposée. Verge de taille moyenne, un quatorze/quinze centimètres, à vue d’œil. Elle pourrait affiner son évaluation en le prenant en bouche mais la pénétration lui permettra de savoir combien il mesure exactement. Elle sourit intérieurement en s’écoutant penser. Voilà une aptitude qu’elle a acquise au fur et à mesure de ses années de prostitution et qu’elle n’est pas sûre de réussir à caser dans ses compétences sur un C.V.

Grâce à une parfaite connaissance de son anatomie, elle a appris à gérer les hommes en fonction de leurs dimensions. Elle sait qu’au-delà de dix-huit centimètres et demi, la pénétration devient désagréable, voir douloureuse. Elle l’a appris à ses dépens, surtout en levrette. Idem pour la fellation : un coup de bassin trop enthousiaste et elle rend son dernier repas.

Le sexe de son client n’est pas gros, même au garde à vous. Cela dit, s’il se débrouille bien avec ses mains et sa langue, elle pourrait prendre du plaisir. Exactement comme maintenant, tandis qu’il parcourt avec douceur l’ensemble de son corps du bout de ses doigts. Pendant qu’elle devise les yeux fermés, elle s’abandonne à ses caresses, sachant pertinemment qu’elle ne ressentira pas grand-chose au cours de la pénétration. Les préliminaires vont être décisifs, elle en profite. Il lui faut à minima un dix-sept/ dix-huit pour qu’elle prenne son pied. En deçà, les sensations sont presque inexistantes.

Konrad était un dix-sept, c’était l’idéal, quelle que soit la position.

Et Erwann… elle ne peut que le deviner, se souvenant de ce qu’elle avait observé à travers son boxer moulant, et ressenti lorsqu’il s’était frotté contre elle. Son flair penche pour un dix-huit. Oui, elle en est sûre, Erwann était un dix-huit.

Toujours parfait celui-là, comme d’habitude.

Elle ouvre les yeux pour chasser cette image obsédante du Breton. Alexandre est toujours allongé sur son flanc gauche et effleure désormais sa toison, avant de s’immiscer entre ses cuisses. Tandis qu’elle pousse une plainte lascive, il la dévisage comme s’il essayait de lire en elle.

— J’ai beaucoup parlé de moi tout à l’heure mais je ne sais rien sur vous, pas même votre vrai prénom, je suppose.

Elle sourit malgré elle, trahissant le simulacre qu’elle a instauré depuis leur rencontre. Il sait qu’il a vu juste, mais n’insiste pas, espérant qu’elle se dévoile d’elle-même. Comme elle le fait avec son corps, alors qu’elle écarte davantage ses cuisses pour qu’il la pénètre plus profondément.

— Donnez-moi un préservatif, murmure-t-elle.

— Attendez. Pas tout de suite.

— Je suis là pour ça, Alexandre.

Le ton est plus abrupt qu’elle ne l’aurait voulu. Elle s’en veut.

— Je sais. Mais c’est très étrange comme situation pour moi. Vous m’intimidez.

— Il ne faut pas.

— Vous connaissez le dicton : « plus facile à dire qu’à faire » ?

Le visage de Gwendoline se radoucit.

— Vous pouvez être plus … entreprenant.

C’est ce qu’il attendait, avant de prendre des initiatives. Qu’elle lui en donne l’autorisation. Il s’allonge au-dessus de la jeune femme, les deux mains de chaque côté de sa tête, son visage juste au-dessus du sien. D’un mouvement du genou, il lui écarte une jambe pour se positionner entre ses cuisses.

Voilà qui est intéressant.

Alors qu’elle lui fait de la place, il lui caresse les cheveux, avec beaucoup de tendresse. Elle n’aime pas ça en temps normal, mais curieusement, elle se laisse faire, appréciant même le geste. Pourtant, malgré l’excitation qui monte elle, quelque chose la chiffonne. Ce n’est pas tant la situation inédite qui l’indispose que les souvenir qui ressurgissent dans son esprit. La dernière fois qu’elle a partagé le lit d’un homme, il y avait plus, tellement plus… C’était une connexion au-delà du corps, au-delà du réel. Tout avait été si facile avec Erwann, si évident. Et si intense.

Pourquoi n’avait-t-elle jamais fait l’amour avec lui ? Pourquoi s’était-elle privée de ce bonheur ?

Pour une connerie de pacte tacite.

— Puis-je vous embrasser ?

La voix d’Alexandre la ramène dans la suite. Le client. Les deux mille euros. Et une chance peut-être de passer un bon moment.

Son visage est très proche du sien et son haleine exhale une agréable odeur d’eucalyptus. D’ailleurs, celle de son corps tout entier est plaisante. Sa peau a un parfum qui lui sied, ni trop fort, ni trop insipide. Un parfum d’homme propre, d’une quarantaine d’années, en pleine force de l’âge, en pleine possession de ses moyens. Un mâle sensible et doux mais un mâle quand même.

Voyant qu’il attend une réponse, elle se laisse guider par son instinct et entrouvre la bouche pour goûter à la sienne. C’est elle qui fait le premier pas, elle qui d’ordinaire se refuse à ce genre d’intimité. Mais elle en a envie. Envie de sa bouche joliment dessinée, de ses lèvres douces, de sa langue jouant avec la sienne.

Envie d’un autre pour oublier l’image obsédante qui lui revient sans cesse.

Elle l’embrasse et, dans la foulée, resserre ses jambes autour de son bassin, emprisonnant ses hanches étroites contre elle.

Il y avait longtemps qu’elle n’avait pas embrassé quelqu’un… son dernier baiser remonte à plusieurs mois. Cinq précisément. C’était ce lundi férié, le jour de leur séparation. Une séparation qui devait être temporaire, avant de se révéler définitive. Erwann l’avait prise par la taille avant de lui attraper la bouche avec passion et de lui rouler la plus belle pelle de sa vie. Il n’y avait pas d’autre terme pour la décrire tellement il y avait mis toute sa puissance et son énergie. Sa langue avait virevolté gracieusement dans sa bouche, occupant l’espace avec envie, lui montrant tout le désir qu’il avait d’elle. Mais il n’avait pas besoin de lui montrer, elle le savait. Il avait passé trois jours à la dévisager sans retenue. À la faire jouir, à veiller sur elle, à la satisfaire. À faire d’elle son essentiel.

Avant qu’elle ne monte dans son véhicule, chancelante, il lui avait lancé :

— Attends, je te prends en photo avec mon tél. J’ai envie d’immortaliser ton sourire après ce baiser. Tu es belle quand tu sens que je suis dingue de toi.

Quand bien même il savait qu’elle n’était pas friande des déclarations, il avait voulu qu’elle sache. Il ne pouvait pas le garder plus longtemps pour lui, ni la laisser repartir si loin sans qu’elle en soit sûre.

— Ce sera mon fond d’écran à présent ! Manon l’a occupé pendant quinze ans, elle peut bien laisser la place à une autre femme, avait-il ajouté avec un clin d’œil.

Un dernier baiser digne d’un film romantique hollywoodien.

Alexandre le tendre ne possède pas la fougue de son ancien compagnon. Son baiser est plus timide.

Fous-moi la paix, Erwann.

À bout, elle prend les devants, augmente le rythme, saisit son visage entre ses mains pour donner une impulsion à leurs échanges. Et ça marche. Son corps réagit de plus belle face à cette nouvelle proximité.

— J’aime quand tu m’embrasses, l’encourage-t-elle en reprenant son souffle.

— On laisse tomber le vouvoiement ?

— Si tu es d’accord. Ce sera moins… impersonnel.

— Ça me va… ?

— Gwendoline.

— Je suis toujours Alexandre, répond-il avec un clin d’œil. Ça n’a pas changé.

— Enchantée, Alexandre, dit-elle, troublée par son regard perçant.

— Pas autant que moi, Gwendoline.

Il sourit largement, dévoilant une lignée de dents blanches impeccables. À présent qu’elle peut détailler son visage avec précision, elle le trouve très séduisant. Son sourire, franc et généreux illumine ses iris verts d’eau.

— Tu as des très jolis yeux, Alexandre.

— Tu es magnifique Gwendoline, dit-il en retour.

Stimulée par leurs confidences, elle l’embrasse encore, affamée de ses lèvres, de la pression qu’il exerce sur les siennes. Rassuré par la tournure que prennent les évènements, le débutant se lâche et improvise. Sa bouche effleure le bas de son visage, son menton, longe sa mâchoire et plonge dans son cou. Elle rejette sa tête en arrière, en signe de consentement. Des mois que plus personne ne s’occupe d’elle et elle en a besoin. Elle a besoin de ses attentions, de ses attouchements, de ses mains fébriles sur son corps et de ses baisers délicats.

Alexandre continue son chemin jusqu’à sa gorge, s’arrête sur sa poitrine, saisit un sein dont il suce le mamelon, tout en caressant l’autre de sa main libre. Elle gémit, tant de contentement que pour lui montrer que le feu est toujours vert. Enfin, emportée par les délicieux échanges de cette surprenante soirée, elle commence à oublier son rôle et ce qu’elle est venue faire là, ainsi que l’enveloppe dans son sac.

Ce soir, elle fait l’amour avec un homme.

Le reste n’a plus d’importance.

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