Chapitre 13 : Le fantôme

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Vendredi 23 Septembre 2022, vingt-trois heures.

Lorsqu’Alexandre arrive à son intimité, il ne demande plus d’autorisation. Par contre, il ne sait pas ce qu’il fait. Ce n’est pas la première fois qu’elle fait ce constat avec des hommes en couple de longue date. Surtout si leurs femmes ne sont pas demandeuses au lit. Ils sont souvent ignorants de la « bonne » technique, de celle qui marche avec elle, en tout cas.

— Plus haut, l’oriente-t-elle à voix basse.

Ce n’est pas encore assez, le pauvre s’y prend mal. Elle doit l’aider à découvrir les subtilités du corps féminin.

— Là, dit-elle en plaçant deux doigts sur son point culminant. En douceur au début car c’est une zone sensible. Et au fur et à mesure, augmente le rythme et la pression. Mais toujours avec légèreté, comme le battement des ailes d’un papillon. Sinon ça risque d’être douloureux.

— Dis-moi si je te fais mal.

Telle est sa requête avant de replonger entre ses cuisses, plein de bonne volonté.

— Il n’y a pas de raison, ne t’inquiète pas, le rassure-t-elle en le regardant s’activer, installée sur les coudes.

L’homme est concentré, trop peut-être. Ça manque de spontanéité.

— Ferme-les yeux Alexandre et laisse-toi porter par les mouvements de mon corps, par mes réactions… oh ! comme ça, oui c’est bon, susurre-t-elle, en laissant tomber sa tête en arrière. Humm, oui, c’est bon ça…

Elle se rallonge, et se laisse emporter par les caresses enivrantes de son partenaire. Une chaleur l’envahit, irradie depuis son sexe jusqu’au bas de son ventre. Elle se détend et profite. Il ne se lasse pas et lèche son sexe avec une avidité retenue, puis joue avec son clitoris de la pointe de sa langue, en alternance. Patient, il veut bien faire et semble avoir trouvé le truc. Elle s’abandonne et savoure. Son bassin ondule sous les assauts délicats de l’apprenti, mais il manque encore un truc. Elle attrape ses mains et les pose sur ses seins.

— Caresse-moi la poitrine en même temps, enfin les mamelons surtout… oui comme ça… c’est bon.

Elle arrive rarement à faire preuve d’autant de pédagogie avec ses compagnons dans la sphère privée. Elle ne parvient pas à les aider ouvertement, de peur de les blesser ou de se montrer trop exigeante. Surtout depuis que Konrad l’a qualifiée de « cochonne » parce qu’elle s’était montrée plus libérée et demandeuse que les autres femmes qu’il avait connues. Cela l’avait bloqué.

Heureusement pour elle, Erwann avait compris son fonctionnement sans avoir besoin de le lui demander, sans qu’elle n’ait eu à le lui expliquer. Erwann l’avait écoutée, observée, apprise… Erwann, toujours si parfait, quelle que soit la situation. Ce souvenir la stimule. Voilà ce qu’elle peut faire pour décoller plus vite : se rappeler les multiples talents du beau photographe breton…

Gwendoline se laisse emporter par les réminiscences de leurs échanges au phare qui décuplent ses sensations. Tandis qu’Alexandre, bon élève, continue son apprentissage, elle bouge le bassin en rythme pour accélérer la montée de son plaisir. Les images défilent sous ses paupières closes… elle se souvient de la passion d’Erwann, de sa fougue, de son corps brûlant et nerveux, de son sexe dur se frottant contre son intimité excitée…

Enflammée par son imaginaire débridé, elle resserre les cuisses pour élever la pression de la bouche sur son sexe gonflé.

— Continue, Alex, c’est vraiment bon. Oh ! Oh putain, n’arrête pas, vas-y, oh, encore, continue !

Oh Erwann, encore, encore, fais-moi jouir…

La main de la jeune femme glisse dans les cheveux courts bien coiffés, appuie la tête de son partenaire avec délicatesse, tandis qu’elle se contracte dans un gémissement rauque. Une, deux, trois, quatre vagues la submergent de plaisir, avant qu’elle ne s’effondre comme une masse sur le king size.

L’orgasme est transcendant, voluptueux et puissant, et elle ne le doit pas entièrement à son auteur. Ce qu’elle se gardera bien de lui avouer.

Alors qu’Alexandre est prêt à continuer, elle pose sa main sur son sexe et s’en explique :

— Hypersensible après un orgasme, il faut éviter… le temps que je redescende.

Il acquiesce, puis remonte lentement, parcourt son ventre plat, ses côtes saillantes et s’installe à côté d’elle, tout en la regardant. Un sourire éclaire le visage de la jeune femme.

— C’était très bon, déclare-t-elle, sincère.

Même si tu n’y es pas vraiment pour quelque chose.

— Vraiment ?

— Bien sûr. Pourquoi mentirais-je ?

Ben oui, pourquoi ?

Alors qu’elle sent une immense fatigue l’assommer, elle se glisse dans les bras de son amant d’une nuit. Elle aimerait se laisser aller au sommeil mais, la joue posée sur le torse d’Alexandre, elle repense aux échanges qu’elle avait eu avec Erwann juste après qui l’avait faite jouir de cette façon. Gwendoline l’avait alors accueilli dans son giron, avant de lui demander :

— Est-ce que tu tiens toujours tes promesses ?

— Je tiens toujours mes promesses, oui, avait répondu le Breton.

Menteur.

— Je ne te ferai jamais de mal, avait-il encore dit plus tôt cette après-midi-là.

Menteur, menteur, menteur.

Gwendoline se love un peu plus dans le creux de l’épaule d’Alexandre.

— Laisse-moi quelques minutes et je serai opérationnelle pour te rendre la pareille.

— Ce n’est pas nécessaire. Je prends plus de plaisir à t’en donner qu’à en prendre moi-même.

Le même discours que son ancien amant.

Il le fait exprès, sérieux ?

Le fantôme d’Erwann rode dans chaque recoin de la pièce, dans chaque souffle qui les traverse, dans chaque mot prononcé. Erwann, qui n’a jamais voulu qu’elle le touche, qui a viré sa main quand elle se montrait trop aventureuse, qui l’a arrêtée lorsqu’elle était en train de le déshabiller. Erwann qu’elle n’a jamais vu nu, sauf de dos lorsqu’il s’est levé au matin du deuxième jour, qu’elle n’a jamais touché nu, jamais embrassé nu. Son corps reste une énigme. Elle a deviné les courbes de son sexe, en a éprouvé la force et la rigidité sous son boxer, mais pour le reste, elle n’aura jamais eu l’occasion d’en découvrir davantage.

Et le regrette amèrement.

Elle aurait adoré le goûter, le prendre dans sa bouche, l’entendre gémir, le sentir partir. Elle aurait aimé lui faire péter les plombs, l’envoyer au septième ciel, le faire décoller si loin qu’il en aurait oublié son nom, son âge et son métier.

Mais elle n’a pas pu. Et il est trop tard maintenant, quand bien même Véronique pense le contraire.

Oublie-le.

Malgré les rappels incessants d’un autre temps, Gwendoline s’oblige à continuer ses ébats avec Alexandre, dans l’espoir qu’ils effacent son obsession. De nouveau excitée, elle se frotte à lui, aguicheuse. Au bout de quelques minutes, voyant que son partenaire répond à ses avances, elle lui souffle :

— Prends-moi.

Il opine du chef et Gwendoline se penche sur la table de nuit pour attraper une capote. Elle la lui tend, mais Alexandre semble perplexe.

— Je n’ai pas l’habitude d’en mettre, s’excuse-t-il, en tripotant le sachet d’aluminium.

Gwendoline s’en amuse. Alors qu’elle ouvre le sachet avec les dents et s’apprête à le dérouler sur son membre, ce dernier se dérobe sous ses doigts, telle une anguille vivante.

« Quarante ans, c’est le début des emmerdes pour les mecs. » Voilà Manuella qui s’y met à son tour.

Mais foutez-moi la paix, bordel !

Malheureusement, les déclarations de sa meilleure amie résonnent dans son esprit aussi clairement que lors de leur conversation à son retour du phare :

— Il est pas mou du sifflet, c’est déjà ça, avait-elle renchérit au sujet d’Erwann.

Gwendoline retient un fou rire en regardant le pénis d’Alexandre, toujours aussi amorphe et peu vigoureux. Tout le contraire d’Erwann, qui avait passé une grande partie du week-end le sexe tendu comme un arc.

Laisse-moi tranquille, Erwann, je t’en supplie.

Gwendoline est à bout de force moralement. Consciencieuse, elle s’oblige à revenir dans la luxueuse chambre d’hôtel. Ce n’est pas grave, pense-t-elle en mettant le préservatif de côté, une panne, ça arrive. Elle sait comment y remédier et décide de prendre les choses en mains.

En bouche donc.

— Laisse-moi faire, propose-t-elle, en glissant ses lèvres sur son membre en détresse.

— Ma femme prend la pilule, je n’utilise jamais de capotes, se justifie-t-il encore.

La main entourant sa verge, Gwendoline sourit, amusée de le voir s’excuser comme s’il était pris en faute. La culpabilité est un sentiment qui ne quitte pas les hommes en couple, avant, pendant et après le rendez-vous.

— Je comprends, répond-elle compatissante.

— Je croyais que tu ne faisais pas de fellation, remarque-t-il, en soupirant de plaisir lorsqu’elle reprend son sexe entre ses lèvres.

Elle arrête de le sucer à nouveau et relève la tête :

— Sauf exception.

— Je suis donc une exception ?

Une exception à deux mille euros.

Elle hoche la tête en le regardant dans les yeux. La main en action le long de son membre, elle ajoute :

— Oui, tu es une exception, Alexandre.

Il ferme les yeux, se laissant porter par les sensations inédites que lui procure la jeune femme, s’abandonnant à son savoir-faire.

— C’est tellement bon… et malheureusement, pour moi aussi, c’est une exception.

Il ne voulait pas dire ça, mais la frustration est grande, et en prononçant ces mots, il a le sentiment de s’en délester un peu. Quitte à passer pour un pauvre type avec une vie de merde.

— Alors, profite, ce qui est rare est précieux.

Un homme qui ne se fait jamais sucer par sa femme. Voilà qui n’a rien d’exceptionnel en revanche !

Après leurs ébats poussifs, Alexandre se lève et jette le préservatif dans la salle de bain, puis revient au lit, avant de s’endormir comme une souche. La jeune femme écoute sa respiration. L’odeur exhalée par son corps alangui ne lui fait pas le même effet que celle d’Erwann. Elle n’est pas aussi épicée, chaude, intense. Le parfum du Breton était plus animal et la rendait folle. Lorsqu’elle était auprès de lui, elle se délectait des effluves masculins que son corps dégageait. Les phéromones de son ancien amant la faisaient réagir au quart de tour, sans qu’il ait eu besoin de faire quoi que ce soit. Avec Erwann, tout était plus sauvage, elle y compris.

Alexandre, aussi adorable et doux soit-il, n’est qu’une pâle copie d’un Erwann aseptisé. Même s’il a utilisé les mêmes mots que lui, même s’il s’est débrouillé pour la faire jouir, il n’est pas le Breton à forte tête. Erwann, c’est le feu sous la glace. Habité d’une tension permanente, d’un caractère bien trempé… et pourtant si tendre, si délicat, si gentleman.

Personne ne lui arrivera jamais à la cheville, conclut-elle, dépitée. Personne ne lui fera oublier ces quelques jours de bonheur parfait qu’elle a connus entre ses bras.

Gwendoline s’endort épuisée, le cœur en lambeaux, déchiré par ce constat amer.

Lorsqu’elle se réveille au milieu de la nuit, elle a l’impression d’avoir changé de fuseau horaire.

Hantée par le fantôme d’un Erwann tenace qui n’a pas quitté la pièce un instant depuis son arrivée, dégrisée par le peu de vaillance d’un Alexandre encore assoupi à côté d’elle, elle ressent une soudaine répulsion proche de la nausée.

En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, l’inconnu endormi redevient son client, aussi facilement qu’il avait arrêté de l’être durant quelques heures. Tout reprend sa place dans l’ordre des choses et désormais, elle n’a plus envie qu’il la touche.

À tâtons, elle cherche son smartphone sur la table de nuit. Puis utilise la lumière de sa lampe torche pour se repérer. Elle se lève discrètement et se dirige vers la salle de bain, où elle enfile les vêtements qu’elle a récupéré à la hâte, disséminés sur le chemin.

Elle doit quitter cette chambre, même si elle n’a pas rempli son contrat tacite. Elle sait qu’elle ne mérite pas ses deux mille euros, même si elle a fait une partie de ce qui était convenu. Elle retire l’enveloppe de son sac et la pose sur la commode près de l’entrée. Elle pourrait en prendre la moitié et filer en douce mais, à bien y réfléchir, elle n’en veut plus du tout.

Cet argent, elle l’a payé trop cher pendant des années. Il est temps de passer à autre chose, de se défaire de cette facilité, de cette solution à tous ses maux. Que ce soient ses problèmes de fric ou ses problèmes de cœur.

Lorsqu’elle passe devant la réception, cette dernière est ouverte et aussi éclairée qu’en plein jour. La luminosité trop vive agresse ses yeux fatigués et lui arrache des larmoiements. Un employé en costume de groom la salue d’un geste de la tête et lève un sourcil interrogateur en la voyant se faufiler vers la sortie, débraillée et décoiffée.

Elle s’attend presque à ce qu’il lui dise :

— Mademoiselle Viviane, où allez-vous ?

Mais non, Manuella avait raison. Encore. La vie n’est pas un conte de fée. Et Alexandre n’était pas Richard Gere. Il faut qu’elle redescende sur Terre et revienne à la réalité. Son obstination lui a déjà trop coûté…

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