Chapitre 28 : Gwendoline 2.0.

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Gwendoline arrive à pied à son rendez-vous chez sa thérapeute. Elle a marché une heure et quart de chez elle au cabinet, refusant de prendre les transports en commun, avec l’espoir que son pas énergique la défoulerait. Mais c’est encore pire !

Après avoir ruminé sur tout le chemin, elle entre dans le cabinet comme une tornade, oubliant les salutations d’usage. Son souffle est court et elle transpire sous les bras, comme si elle venait de courir un cent mètre haie.

— Erwann me met trop la pression, assène-t-elle debout en faisant les cent pas dans la pièce. Bonjour, pardon !

— Bonjour, Gwen. Ayant à priori manqué un épisode, il va falloir que vous m’en disiez un peu plus sur les raisons de cette déclaration. Erwann vous met trop la pression ?

La thérapeute a l'air complètement décontenancé.

Mais il était pas mort et enterré celui-là ?

— Absolument ! Je vais tout vous raconter mais laissez-moi le faire en bougeant s’il vous plaît, je ne tiens plus en place.

— Aucun problème. Faites au mieux pour vous. D’ailleurs c’est excellent ce que vous faites. Les émotions fortes doivent nous traverser et être vécues du début à la fin, si on ne veut pas qu’elles restent à l’intérieur de nous. Vous devez connaître cette maxime qui dit : « ce qui ne s’exprime pas, s’imprime ».

— Oui, tout à fait.

— Eh bien voilà. En les faisant circuler en vous, elles ne se logeront pas dans une partie de votre corps, ce qui évitera par la suite de nombreuses douleurs chroniques, qui ne sont que des résidus de ces émotions non vécues.

— Je comprends, Véronique, je comprends, dit-elle d’une voix hachée, toujours en proie à ses tourments.

— Reprenons donc. Erwann vous met la pression. La dernière fois que je vous ai quittée, Erwann avait disparu de la circulation, enseveli sous le mépris que vous sembliez lui vouer. Comment ce pauvre homme a-t-il réussi à sortir de sous les gravats de votre indifférence ?

Tout en continuant sa marche dynamique, Gwendoline éclate d’un rire sonore, tant nerveux que joyeux. Et un peu jaune aussi.

— Erwann veut qu’on vive ensemble en Bretagne ! vocifère la jeune femme. Et avec nos deux filles, qui plus est ! Nos deux filles qui ne se sont jamais rencontrées de leur vie au demeurant, mais qu’importe ! Et il m’a acheté une bagnole à quatre-vingt-dix mille briques parce que j’aime pas les chiens, ils ont toujours la truffe humide ! Mais j’en veux plus de la voiture moi ! Elle est beaucoup trop grosse, on dirait un semi-remorque !

— Wowowow. Une chose à la fois, éclate de rire la thérapeute. Vous revoyez Erwann ?!

— Nous sommes ensemble. Et je suis sûre qu’il veut un autre enfant ! En plus, on a fait l’amour sans capotes ! C’était de ma faute, je lui ai sauté dessus. Il m’a dit qu’il allait se retirer, ce qu’il a fait, bien entendu, mais cela n’a jamais été reconnu comme une méthode fiable ! Enfin, pour moi, ça l’a toujours été, mais qui sait, si ça se trouve ses spermatozoïdes sont bioniques !

Véronique suit sa patiente des yeux. Cette dernière marche tellement vite autour d’elle qu’elle commence à lui donner le tournis.

— Vous savez ce qu’on va faire, Gwendoline ? On va sortir, suggère la psy en se levant de son fauteuil. Vous avez besoin de prendre l’air.

— Ah bon ?

— Oui, oui, on va aller se balader. Il y a un parc très joli juste à côté du cabinet. Cela va nous faire du bien.

— Okay, je vous suis.

Les deux femmes se rhabillent et Gwendoline note pour la première fois avec quelle élégance sa thérapeute a revêtu une robe longue vaporeuse à motifs, un perfecto noir et des mini-boots en cuir noir dans le style santiags. Ensemble, bras dessus bras dessous, elles prennent la direction d’un joli sentier arboré qui les conduit au parc, où se promène la faune locale habituelle : canards, oies et enfants en bas âge. Elles slaloment entre les poussettes et une famille de paons qui se dandinent lentement avec, pour le plus gros, la queue déployée telle un éventail de danseuse andalouse.

— Donc vous avez renoué avec Erwann ? C’est de votre fait, j’imagine, puisqu’il n’avait plus vraiment de moyen de vous contacter, sauf à débarquer chez vous, bien évidemment.

— C’est ça. Je suis allée chez lui, en Bretagne. Après moultes péripéties dont je vous passerai les détails, on a renoué. Il est défiguré, Véronique, on dirait Albator !

— D’accord, acquiesce la psy sans broncher. Que lui est-il arrivé ?

— Je n’en ai pas la certitude, mais il s’est probablement battu avec Quentin. D’ailleurs, Erwann a coupé les ponts avec ce dernier.

— Je vois, enchaine la praticienne en opinant du chef. Donc, vous avez été voir Erwann, qui est à présent défiguré, et là, il vous a accueilli les bras ouverts ?

— Oui, et ce fût magique, comme si on ne s’était jamais quitté. Malgré son apparence et ses dernières mésaventures, je l’ai retrouvé tel quel, gentleman, doux, et attentionné, enfin avec moi seulement apparemment, parce que désormais il cogne des femmes !

La voix de la patiente est montée dans les aigus, ce qui a eu le don d’effrayer un enfant et deux oiseaux autour d’elles.

— Il cogne des femmes ?! reprend la thérapeute ulcérée.

— Oui. Enfin, non, j’exagère, parce qu’il n’en a cogné qu’une et d’après ce qu’il m’a raconté, c’est elle qui le lui a demandé. C’était une sorte de jeu érotique entre eux, ou un truc du genre, mais quand même. Sans parler de Jeanne, ma vipère de bookeuse, qui lui a refait le portrait au téléphone ! Comme s’il avait besoin de ça !

Elle rit de son trait d’humour noir, complètement essoufflée par sa tirade trop longue.

— Qui est Jeanne ?

— Mon contact à l’agence des modèles alternatifs. Erwann se traîne à présent une réputation abominable dans le milieu de la photo. Je ne sais pas comment tout cela est arrivé ! Enfin si je le sais, il s’est tapé ses modèles, mais ça ce n’est pas lui qui me l’a dit ! Tout va trop vite, Véronique ! Sans parler du fait que je lui ai présenté ma fille et ma meilleure amie, ça aussi c’est juste énorme pour moi mais cela ne lui suffit toujours pas ! Il veut plus, toujours plus ! Pourtant, moi, j’ai l’impression qu’on a brûlé toutes les étapes. Je suis complètement perdue.

La thérapeute l’arrête, consciente que la patiente est en roue libre, et lui fait face.

— Gwen, regardez-moi. Que se passe-t-il en vous depuis que vous avez renoué avec Erwann ?

— La vérité ? La vérité, c’est que je l’aime plus que jamais…

— Vous le lui avez dit ?

Sa praticienne connaît sa répugnance pour les déclarations sentimentales et s’inquiète d’une éventuelle trop grande réserve de sa part à l’encontre du photographe.

— Je lui ai dit que je l’aimais, oui.

— Et lui ?

— Pareil.

— Mazeltov ! s’exclame la thérapeute, aux anges.

Gwendoline éclate de rire, les larmes aux yeux, toujours aussi surprise par la réalité de ce qu’elle vit actuellement. Depuis des jours, elle a l’impression d’être dans un rêve dont elle va forcément finir par sortir brusquement.

— Prenons un moment Gwen, vous voulez bien. Respirez avec ça, avec cet amour réciproque. Prenez un instant pour vous remplir de cette énergie positive, de ces nouvelles vibrations, de ce revirement inattendu mais néanmoins merveilleux.

L’éloquence de la praticienne souligne sa joie à elle aussi, une joie qu’elle ne peut cacher tant elle a de sympathie pour sa patiente. Elle ressent son bonheur par procuration.

— Mais il y a un hic, objecte Gwendoline après quelques respirations conscientes. Erwann veut de l’engagement en veux-tu en voilà et moi je m’accroche au chambranle de ma porte en hurlant : mais laisse-moi aller à mon rythme d’escargot !

— La vie nous met toujours des défis sur la route pour nous faire évoluer. C’est normal les hics, Gwen. On adore les hics d’ailleurs, ce sont comme des trampolines vers le monde d’après. Le monde deux points zéro.

Tout en déblatérant sur les mécanismes de l’Univers, la praticienne s’empare du bras de sa patiente pour continuer leur promenade libératrice et poursuit :

— Une version upgradée de vous-même est en cours d’installation et ça vous demande un gros effort de réinitialisation. Des croyances vont sauter, il ne peut pas en être autrement, mais cela va ouvrir de nouvelles portes. En gros, ça va dépoter sévère à partir de maintenant et il va falloir vous accrocher.

— Heu... c’est effrayant là, non ? admet Gwendoline, en suivant le rythme de ses pas.

La thérapeute s’arrête à nouveau et pose ses mains de chaque côté de ses épaules. Avec bienveillance, elle la regarde droit dans les yeux et déclare :

— Oui, mais je suis là. Et Erwann aussi et l’Univers est avec vous, vous vous souvenez ? L’Univers vous veut du bien, Gwen, ne l’oubliez pas. Rien de ce qui vous arrive n’est là pour vous faire tomber à terre, mais tout est là pour vous permettre d’évoluer, de grandir et d’aller là où vous le souhaitez vraiment.

Le sourire de la psy s’élargit à l’évocation de si belles perspectives. Elle continue, la voix joyeuse :

— Cela demande beaucoup de courage, de persévérance, de patience et d’endurance. Mais vous avez toutes ces qualités en vous, sans aucun doute.

— Mais les choses vont très vite, rétorque Gwendoline, la peur dans les yeux. J’ai l’impression d’avoir monté les marches en soufflant pendant des années et, tout à coup, du jour au lendemain, je fais un saut de plusieurs étages. Je ne me sens pas à la hauteur.

— Vous l’êtes, affirme la thérapeute en reprenant leur marche. Vos croyances, qui sont toujours là malgré votre positivité, vous ne les avez pas encore actualisées,. Vous êtes déjà une nouvelle version de vous-même mais vous vous percevez encore comme une version obsolète. Celle de 1994, lorsque votre frère est décédé et que vous avez cru que la vie allait être une suite de catastrophes. Celle de 2015, lorsque Guillaume s’est suicidé et que vous avez cru que l’amour ne vous était pas permis. Celle de 2016 où votre histoire avec Stéphane vous a fait croire que l’amour ne faisait que souffrir et que les hommes n’étaient pas fiables. Et toutes les versions intermédiaires que vous avez connues et expérimentées.

La praticienne fait une pause pour reprendre son souffle, la gorge sèche d’avoir tant parlé. Malheureusement, elle a laissé sa bouteille d’eau au cabinet. Tant pis. Lancée dans ses explications, elle reprend :

— Mais vous avez changé, Gwen. Tout au long de ces années grâce à votre travail sur vous-même, grâce aux livres de développement personnel que vous avez lus et mis en application. Grâce aux stages que vous avez effectués et à la méditation que vous avez mise en place. Tout cela est de votre initiative, de votre fait et cela porte aujourd’hui ses fruits. Et bien sûr, en venant me voir toutes les semaines, avec l’assiduité que je vous connais et l’enthousiasme qui vous caractérise, vous avez fait un bond de plusieurs étages et c’est tout à fait normal. Il ne pouvait pas en être autrement.

La patiente acquiesce, partagée entre confiance et incertitude, presque convaincue de la véracité de tels propos, mais toujours un peu dans le doute. Elle sait qu’elle s’est donnée les moyens d’y arriver et que son évolution n’est due qu’à sa bonne volonté. Elle sait que les choses devaient se transformer. Il ne lui reste plus que la mise à jour de son logiciel interne pour se le rappeler. Et c’est le rôle de Véronique, toujours fidèle au poste depuis le début, de mettre cela en lumière.

— Il est nécessaire maintenant que vous preniez conscience de votre nouvelle version, insiste la thérapeute pour enfoncer le clou. Vous n’êtes plus la même personne qu’en 1994, ni la même femme que l’année dernière. Et je peux vous assurer que même si cela vous fait peur, vous allez y trouver votre compte. Car vous êtes prête. La vie ne vous envoie rien de plus que ce que vous pouvez supporter. Et plus vous allez vous laissez porter par le courant de votre ascension, et lâcher prise, mieux les choses vont se dérouler pour vous et Emma.

Gwendoline opine du chef et, de sa voix hésitante, demande :

— Vous serez là si jamais j’ai besoin d’aide pour continuer mon envol ?

— Je serais là, Gwen, comme je l’ai toujours été. Et ce, aussi longtemps que vous aurez besoin de moi. Et croyez-moi, ce que vous allez vivre va être au-delà de vos espérances.

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