Chapitre 38 : Héros ou zéro ?

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Tous les trois quittent les lieux d’un bon pas, dans deux directions opposées. Gwendoline se dirige rapidement vers le chemin principal, le père de l’enfant disparu sur les talons. Ils croisent la route de quelques badauds, que l’homme paniqué commence à apostropher, comme le lui a conseillé Erwann. Gwendoline est en ligne avec les secours et leur décrit la situation et la description physique de l’enfant. Puis, rejoint le père et suit son exemple en interpellant les personnes qu’elle rencontre sur leur route, leur expliquant brièvement les derniers évènements, dans l’espoir qu’ils leur viennent en aide. Ce qu’ils font sans se faire prier, scandant à tout va le prénom du petit, les mains en porte-voix.

Lorsque le père et Gwendoline rejoignent la mère du petit, complètement affolée, ils essaient en vain de la calmer. Voyant la maman effondrée, Gwendoline passe son bras autour de ses épaules, et tente de la réconforter de son mieux. Essayant de faire preuve d’optimisme, elle improvise des paroles rassurantes, sans lui donner de faux espoir. Intérieurement, elle espère que leur fils va réapparaître de lui-même, en revenant sur ses pas. Peut-être s’est-il seulement éloigné de ses parents sans s’en rendre compte.

Elle regarde vers la table de pique-nique, jonchée des restes de leur dîner, et prie pour un miracle. Frustrée par son impuissance à soulager la peine de la mère en détresse, elle ne sait que faire. Malgré tout, sa présence et son soutien semblent apporter un peu de réconfort à la femme qui lui presse les mains comme si elle s’accrochait à une bouée de sauvetage en plein naufrage.

La famille est maintenant entourée d’une dizaine de personnes qui se sont portées volontaires pour les recherches. D’un bout à l’autre de la vallée de l’Erdre, une solidarité se met en place spontanément. Le prénom Killian résonne haut et fort sous le couvert des arbres, le long des chemins de terre, emporté par la légère brise qui se lève à l’approche du coucher du soleil. Les bosquets, buissons et chaque recoin de la forêt, sont passés au peigne fin.

Pendant ce temps, Erwann file droit vers les berges qu’il connaît bien, pour y faire souvent son jogging matinal. Il songe à la description de l’enfant tout en scrutant l’eau vaseuse. Pourvu qu’il n’y flotte pas de short rouge, supplie-t-il intérieurement.

Il n’exclut pas non plus la possibilité d’un enlèvement, et cette seule pensée lui glace le sang dans les veines. Tentant de garder son sang-froid, malgré le goût ferreux qu’il a dans la bouche, il se concentre sur les abords de la rivière. Ces derniers sont jonchés d’un tas de déchets n’ayant rien à voir avec la nature, entre canettes de sodas abandonnées et pneu de voiture. Il longe l’Erdre sur plusieurs centaines de mètres, attentif au moindre mouvement. Un canard le surprend et le fait sortir de son état hypnotique. Erwann reprend sa chasse, aux aguets.

Il continue son inspection minutieuse et arrive dans une zone marécageuse. Un haut le cœur lui monte à la gorge. Si le petit est tombé là-dedans, ils ne le retrouveront jamais vivant. Le goût de la bile se mêle plus fortement à sa salive. En se penchant, il croit distinguer de la couleur dans les branchages. Des fleurs, des oiseaux, des déchets ?

Un arbre pousse au bord de l’eau, son tronc en partie couché sur le lit de la rivière, à un bon mètre de hauteur. Le niveau d’eau de cette dernière a considérablement baissé cet été à cause de la chaleur excessive et il est probable que ce frêne naturellement recourbé était moins visible auparavant. Son feuillage dense et jauni est partiellement immergé et forme une sorte de cabane naturelle pouvant accueillir les poules d’eau, les canards et toutes sortes d’amphibiens.

Mais pas uniquement, semble-t-il.

Erwann s’approche plus au bord et devine un vêtement rouge dans le vert des feuillages. Et entend un reniflement. Après un moment sans respirer pour mieux percevoir les sons environnants, il expire enfin. Il s’avance encore, les pieds dans l’eau.

— Killian ? C’est toi mon bonhomme ?

Tout en entrant tout habillé dans l’eau épaisse et légèrement froide, Erwann continue à parler au petit garçon aussi immobile qu’une statue, dont seuls les faibles chouinements lui parviennent. Avançant prudemment dans la vase, il dégage de son passage les feuilles et branches mortes, mais aussi les bouteilles en plastique et autres détritus laissés par ses compatriotes. Les porcs, pense-t-il, écœuré.

Voyant que l’eau lui monte jusqu’en haut des cuisses, il attrape son téléphone dans la poche arrière de son jean et le coince sous son bandage. Au fur et à mesure de sa progression, Erwann le distingue de mieux en mieux et commence à se détendre. Assis tout au bout de l’arbre couché, l’enfant pleure en silence. Le petit est prostré, recroquevillé sur lui-même, évitant de bouger. Il a l’air épuisé. Au moindre mouvement, le poids de son corps risque de le faire basculer dans l’eau. Pétrifié, il ne tourne même pas la tête, quand il entend son prénom, probablement terrorisé à l’idée de finir dans la mare de couleur marron.

— Killian, si tu m’entends, reste où tu es, je viens te chercher mon grand. N’aies pas peur, je suis là pour t’aider.

Erwann se demande ce qui a poussé l’enfant à se réfugier ici. Il a peut-être été attiré par la vie grouillante de la rivière. Le petit a dû grimper sur ce qui lui semblait être un pont solide, avant de s’apercevoir qu’il n’y avait rien au bout, à part de l’eau sale, pleine de nénuphars et de branchages morts.

Le secouriste improvisé a déjà parcouru les trois quarts du chemin et a désormais de l’eau jusqu’à la poitrine. Ses pieds s’enfoncent dans le plancher boueux qui le soutient mollement.

— Ok, Killian. Je suis Erwann, un ami de ton papa et de ta maman. Ils m’ont demandé de venir te récupérer car je suis maître-nageur, tu sais, comme à la piscine. Je sais que tu as peur mon grand, mais je viens te chercher tout de suite. Il ne faut pas que tu bouges pour le moment. J’arrive.

Lorsqu’il arrive au bout du tronc penché à l’horizontale, Erwann a encore pied mais le niveau de l’eau lui arrive aux épaules. Il se retrouve enfin face au petit garçon blond, dont le visage est sale et maculé de larmes et de morve. Tout en lui parlant d’une voix douce et rassurante, il l’attrape dans ses bras, en le maintenant en hauteur, pour éviter de le mettre dans l’eau.

— C’est bon, je te tiens, mon grand.

Erwann le pose en douceur sur ses épaules et le tient fermement à l’aide de sa main valide. La peau du petit bonhomme est froide et il claque des dents entre ses lèvres bleuies. Tout en slalomant entre les branches d’arbre récalcitrantes, pour éviter d’assommer Killian avec, Erwann fait demi-tour et revient sur ses pas prestement. Il n’y a plus de temps à perdre.

— Ce n’est pas tellement le meilleur endroit pour se baigner, plaisante-t-il, davantage pour lui-même.

Maintenant que l’enfant est en sécurité, Erwann peut enfin retrouver son humour. Et il lui en faut pour continuer son périple. Il peste intérieurement. Si le petit garçon est maintenu en hauteur bien au sec, lui, en revanche, baigne encore dans la mare boueuse jusqu’au niveau du torse. Ses vêtements entièrement imbibés ne facilitent pas son avancée. Son jean lui donne le sentiment d’être engoncé dans un sarcophage de tissus raides.

Le petit s’agrippe à la tête de son sauveteur de toute la force de ses petites mains crispées. Erwann progresse d’autant plus difficilement que l’enfant a tendance à le déséquilibrer. Il ne manquerait plus qu’ils finissent tous les deux à la baille !

— C’est fini, mon grand, dit-il en se hissant enfin sur la berge. Je te ramène à tes parents. Ne t’inquiète pas, ils ne seront pas fâchés. Ils t’aiment trop pour cela.

Une fois hors de l’eau, Erwann sors son téléphone coincé dans son bandage et appelle Gwendoline, n’ayant pris aucun numéro des parents.

Elle décroche à la première sonnerie :

— Allo ?

— Je l’ai, c’est bon. Tout va bien.

— Oh Seigneur ! Merci mon Dieu, murmure-t-elle, pleine de reconnaissance.

— Je fais au plus vite. Je crois que le petit est en hypothermie.

— Les secours viennent d’arriver. On t’attend.

— Bien.

Les pompiers étaient arrivés quelques instants plus tôt, et heureusement, car la maman frôlait la crise de nerfs. Ils l’avaient aussitôt prise en charge en lui administrant un sédatif, et l’avaient incitée à s’allonger sur un brancard.

Gwendoline coupe la communication avec son compagnon et, se tournant vers eux, déclare :

— Erwann l’a retrouvé.

La maman s’effondre en larmes, partagée entre la joie et le soulagement provoqués par cette nouvelle inespérée. Le père fait de même en attrapant son adolescent dans ses bras. Les badauds venus leur porter secours déclenchent une salve d’applaudissements, accompagnée de « hourra » et autant de mots de gratitude qu’il leur est permis d’en trouver.

Elle entend même l’un d’entre eux s’écrier :

— Bravo Erwann !

Et ce malgré le fait que la personne en question ne le connaisse ni d’Ève, ni d’Adam. Elle sourit en voyant cette célébration de la vie, ce bonheur retrouvé dans les yeux de chacun. La joie a remplacé l’inquiétude sur les faciès qui l’entourent et soudainement l’atmosphère se fait plus légère, comme libérée d’une chape de plomb.

Elle prend conscience que le soleil s’efface pour laisser place à la nuit, éclairant la foule de ses couleurs rougeoyantes, teintées de mauves bleutés. Elle se voyait déjà dans les bras de son homme, appuyée contre son torse, admirant la merveille que la nature leur offre tous les jours. Mais réalise que ce dénouement lui plaît encore plus. Le soleil se couche sur une journée qui a regorgé d’évènements tous aussi intenses les uns que les autres. Ce midi, elle récupérait son brigand à la sortie de sa garde à vue et dans la foulée, il lui faisait l’amour de la façon la plus profonde qu’elle n’ait jamais connue, avant de finir sur un sauvetage digne de ce nom. C’est plus qu’il n’en faut pour un seul jour. Son histoire avec Erwann avait toujours été riche en surprises et en rebondissements mais là, ça bat des records…

En attendant le retour du sauveteur avec l’enfant, Gwendoline s’assoit à côté de la maman dans le camion. Elle lui tient sa main glacée par le choc, qu’elle tente de réchauffer comme elle peut. Elles affichent toutes les deux des sourires de circonstance, aussi large qu’un écran plasma, mais dans ceux de la mère perce encore l’inquiétude.

— Vous êtes sûre qu’il l’a retrouvé ? s’enquiert une nouvelle fois la femme.

— Sûre et certaine, Madame. Sain et sauf.

Au bord de l’épuisement émotionnel, la femme fond de nouveau en larmes contre l’épaule de Gwendoline. L’ironie de la situation n’échappe nullement à celle-ci, lorsqu’entre deux sanglots, la maman déclare :

— Votre mari est un héros, Madame. Un héros.

Ce à quoi elle ne trouve rien à répondre qu’un silence un peu gêné. Sacré retournement au cours des dernières trente-six heures, durant lesquelles son homme a envoyé un mec à l’hosto et sauvé un petit garçon.

Qui es-tu Erwann, qui es-tu vraiment ?

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