Chapitre 73 : L’invité à hauts risques

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Les yeux toujours sur la route, à l’écoute de ces derniers mots, Richard laisse échapper un sourire en coin pour toute réponse. Il ne peut contenir le plaisir qui monte en lui en envisageant la possibilité que peut-être... De son côté, Anthony interprète cela comme un assentiment. Comme si Richard venait de lui annoncer : « ça m’arrange qu’on ne soit pas de la même famille. Comme ça, toi et moi, on peut baiser ». L’expression affichée sur le visage du coiffeur est comme une brèche, dans laquelle le jeune homme compte s’engouffrer dès qu’ils arriveront à destination. Malgré la banalité du reste de leur conversation, ses pensées s’envolent vers cette porte que le conducteur vient d’entrouvrir. Dans la voiture, les yeux sur la route, l’imaginaire du gamin s’enflamme, mettant son corps en branle. Son énergie se modifie.

Lorsqu’ils arrivent à Camaret, tous ses sens sont en éveil. Une fois sortis du véhicule, il attrape le bras de son hôte, prêt à mettre la clef dans la serrure de son habitation.

— Je dors où ce soir ? demande-t-il en gardant sa main posée sur la manche de Richard.

— J’ai une chambre d’ami.

— Mauvaise réponse.

Le quadragénaire le dévisage, impassible.

— Je n’ai pas le droit de faire ça.

Mais Anthony, sous le charme de ses yeux matures entourés de petites pattes d’oies et de sa silhouette athlétique, aux muscles puissants et parfaitement dessinés, lui, est décidé à en prendre le droit. L’adolescent n’a pas la carrure d’homme de son hôte, mais atteint presque sa taille. Son corps paraît frêle avec ses longs membres fins, mais lorsqu’il saisit la nuque de Richard pour l’embrasser avidement, celui-ci le découvre plein de force et de répondant. Tandis que leurs langues se mêlent, Richard perçoit très nettement l’intensité de son désir durement plaquée contre son entrejambe.

Il s’écarte brusquement, acculé à la porte d’entrée.

— Arrête. Ton père va me tuer.

— Ça fait deux fois que tu le répètes. J’avais bien compris la première fois.

— Je ne peux pas faire ça.

— D’accord. Ouvre alors. Ça caille.

Son regard brûlant de désir le transperce. Si Richard ouvre cette porte, Anthony va s’y engouffrer et sauter sur le coiffeur tel un rapace sur un proie trop facile. Richard est sur le cul. Plus ils sont jeunes, plus ils sont entreprenants ! Cette nouvelle génération a plus de couilles que l’ancienne et, de toute évidence, n’hésite plus à revendiquer de vivre pleinement sa sexualité. On était à des kilomètres du cas de Benjamin, qui avait préféré vivre sa vie comme un comédien, plutôt qu’oser afficher qui il était vraiment.

Dérouté par son attitude ouvertement démonstrative, Richard le recadre encore :

— Anthony... Je t’héberge parce que je ne veux pas que tu reprennes la route de nuit, en moto, avec le risque de verglas qu’il y a actuellement. Mais...

— C’est bon. Je sais me tenir. On m’a dit bien éduqué, t’inquiète. Tu m’as dit non, j’ai bien entendu. Je ne suis pas sourd, tu sais.

Mais bouché, si, visiblement... vu cette façon de m’embrasser.

D’autant que ses yeux perçants expriment exactement le contraire de ses paroles. Richard se résigne et obtempère. Le gamin commence à claquer des dents en plein courant d’air. Il déverrouille la porte et le laisse passer le premier, à l’affût de la moindre nouvelle tentative. Sur ses gardes, il lui indique où poser ses affaires et lui montre la chambre d’amis.

— Qu’est-ce qui lui est arrivé à cette pauvre lampe ? demande son invité.

— Erwann est un sauvage. Elle a été pétée lorsqu’il a déglingué sa meuf ici.

— Mon père a baisé là ?

— Yep.

— Heu...

— J’ai changé les draps depuis, mais je n’ai pas pris le temps de réparer la lampe. Je l’avais oublié à vrai dire. Personne n’a dormi ici depuis leurs retrouvailles... féroces.

— Tel père, tel fils alors. On a enfin trouvé un autre point commun que notre gueule d’ange.

Richard ne dit rien, mais son visage blême est éloquent.

— C’est bon, détends-toi. Je t’ai dit que je n’allais rien faire. La douche ?

— Deuxième porte à droite. Je commande une pizza ?

Le garçon acquiesce. Richard s’éclipse.

Dans la cuisine, il respire enfin. Était-il en apnée durant tout ce temps ? C’est ce qu’il ressent tant sa respiration est saccadée. Qui est donc ce gamin qui n’a pas froid aux yeux ? Certes Erwann a toujours eu beaucoup d’assurance en apparence, mais c’était une vitrine. Dans les coulisses, il se dévoilait plus fébrile. Est-ce que son rejeton lui ressemble ? Est-ce que lui aussi joue un personnage qu’il n’est pas en réalité ?

Soudain, Richard se dit qu’il est complètement con de ne cesser de les comparer. Finalement, ils n’ont peut-être rien d’autres en commun que leur beauté à se damner. Une incroyable similitude physique qui le perturbe plus qu’il ne l’aurait pensé. Et voilà qu’il se retrouve sous le même toit qu’un adolescent aux hormones en ébullition qui n’hésitera pas à en faire son quatre heures dès que le quadragénaire baissera la garde.

Merde.

S’il était honnête avec lui-même, Richard s’avouerait combien au fond de lui, cette situation l’excite. S’il écoutait vraiment sa petite voix, il réaliserait que ce jeu du chat et de la souris l’amuse comme un défi à relever. Malgré les risques, l’enjeu le motive autant qu’un essai à réussir, qu’un interdit à dépasser. Mais il ne veut pas regarder franchement au fond de lui et reconnaître toutes ces vérités. Il doit absolument les faire taire et ne plus jamais y penser.

Sinon, je suis un homme mort.

La sonnerie de l’entrée retentit.

Merde. Je l’avais oublié lui.

La veille, Richard avait proposé à Alban de les rejoindre pour le dîner, après le parloir, pour qu’Anthony fasse connaissance avec l’entourage d’Erwann. Mais vu la tournure qu’avaient pris les évènements, il n’était plus question que Richard se retrouve coincé entre son mec du moment et son... son... son rien du tout ! Alban risque de ne pas comprendre ce changement de dernière minute mais Richard doit annuler. Ce dernier ne sent pas capable d’affronter cette situation à hauts périls. Nerveux, il ouvre la porte à son amant, acceptant du bout des lèvres le baiser qu’il lui donne.

— Un problème ?

— Aucun. Enfin si, mais pas très grave. Le fils d’Erwann, celui que je voulais te présenter, je pense qu’il a besoin d’un peu de calme, ce soir.

— Je ne comptais pas jouer du tambour dans ses oreilles, plaisante Alban.

— Nan, je sais bien, mais je le trouve un peu... chamboulé par le parloir, la prison, tout ça... pas évident pour un môme de son âge.

— Ok. Bon. Pourquoi tu ne m’as pas prévenu avant ?

Effectivement, bonne question ! Probablement parce que perturbé comme je l’étais par ce gosse au corps électrique, j’en avais oublié jusqu’à ton existence ! pense Richard pour lui-même. Mais je doute que ce soit là ce que tu veuilles entendre. Richard s’abstient donc de lui formuler les vraies raisons de cet acte manqué et botte en touche :

— Je ne me suis pas rendu compte de l’heure qu’il était, désolé. Avec le taf et l’agrandissement du salon, j’en ai plein le crâne.

— Ok. On se voit demain, comme prévu ?

— Ouais.

En l’état actuel des choses, Richard n’envisage même plus de le recontacter mais il est préférable de le laisser croire ceci pour ce soir. Cela fait quelques mois que les deux hommes se voient régulièrement, sans qu’aucun engagement n’ait été prononcé de part et d’autre. Ils s’étaient rencontrés lors d’une soirée déguisée dans un club libertin et depuis, la fréquence de leurs entrevues n’avait cessé de croître. Pourtant, même si Richard apprécie la compagnie d’Alban, il n’en est pas amoureux pour autant. Seuls leurs corps semblent avoir trouver l’accord parfait. Pour ce qui était du cœur, le coiffeur en est à présent sûr et certain, les sentiments dont il avait attendu l’arrivée n’allaient pas se manifester de sitôt. Il n’avait jamais rien ressenti de semblable à ce qu’il avait connu avec Benjamin. Ou encore plus récemment...

Il ne le retient donc pas lorsqu’Alban s’éclipse, trop heureux de s’en débarrasser, comme si soudain ce dernier pouvait être un obstacle. Un obstacle ? Comme c’est intéressant ! ricane Richard en silence. Mais un obstacle à quoi au juste ?

À table, Anthony est taciturne. Après avoir affiché une attitude survoltée, il paraît presque éteint. Soit il a pris une douche froide qui a calmé ses ardeurs, soit il s’est branlé dans la salle de bain, soit il est épuisé par cette seconde rencontre toujours aussi déroutante avec son paternel. Il ne pipe pas mot et se contente de réponses monosyllabiques ou de mouvements de tête pour répondre aux quelques questions que Richard lui pose sur ses études, un sujet sans aucun risque. Tous les autres présentent potentiellement un danger.

Lorsque le dîner se termine, Anthony annonce vouloir aller se coucher, rincé. Richard opine du chef, ravi de constater que la troisième probabilité paraît la plus plausible. Et la réalité lui saute aux yeux. Son invité n’est encore qu’un gosse. Et à cet âge, leur besoin de sommeil est proportionnel à leur appétit ou à leur libido. Richard avait observé l’adolescent engloutir l’équivalent d’une pizza pour quatre personnes tandis que lui picorait, trop perturbé pour avaler quoi que ce soit. Il avait précédemment été embrassé par un gamin dominé par ses pulsions animales, presque incontrôlables. Et maintenant, ce dernier tombait de fatigue sous ses yeux inquisiteurs. Rien de plus naturel.

Oui, ce n’est qu’un adolescent, se répète-t-il pour se rassurer. Et toute cette scène ubuesque n’avait été qu’un malentendu. Demain, ils se retrouveront au petit déjeuner sans qu’aucune ambiguïté ne s’installe entre eux. Les choses seront faciles et appropriées. Toute cette comédie n’est qu’une illusion éphémère qui allait prendre fin dans les plus brefs délais.

Richard n’aurait eu aucun mal à croire toutes ces pensées si, seul au fond de son lit, il n’était pas en train de se masturber au souvenir de leur après-midi. Tandis que sa main gauche monte et descend au ralenti sur son membre en érection, les seules images qui lui viennent en tête sont celles de l’adolescent au regard de braise. Il ne parvient pas à les chasser et fermer les paupières plus fort n’a aucun effet. Lorsqu’il jouit, ce n’est pas le plaisir d’un orgasme qui le saisit, mais une culpabilité pesant le poids de mille morts sur sa poitrine.

Il s’endort anéanti, regrettant qu’un jour Erwann ait eu un fils.

Au réveil, son sexe tendu lui rappelle l’état d’excitation dans lequel il baigne depuis la veille. Malgré son épisode de plaisir solitaire avant de fermer les yeux, Richard a l’impression d’avoir passé la nuit sur la béquille. Il enfile un jogging, un tee-shirt et un pull, histoire de bien camoufler ses prédispositions anatomiques.

Lorsqu’il se rend à la cuisine, Anthony est déjà attablé, les écouteurs enfoncés dans les oreilles, en train de dévorer un bol de céréales. Torse nu malgré la fraîcheur de la pièce, il ne porte qu’un jean posé bas sur ses reins et un caleçon noir dont la ceinture en émerge. Ses pectoraux plats et glabres renforcent son apparence juvénile, tout comme ses cheveux bruns en pétard et ses yeux ensommeillés. Richard redescend d’un cran, rassuré. Le gamin retire ses oreillettes lorsque le quadragénaire entame la conversation, la voix encore enrouée.

— Bien dormi ?

— Hum.

— Tu rentres à Quimper ?

— Ouais, j’ai des cours à rattraper.

— Tu retourneras voir ton père ?

— Peut-être. Je ne sais pas encore.

— Ne lui tourne pas le dos. C’est un mec bien. Ok il ne sera pas à l’aise avec... tes préférences, mais il finira par s’y faire, je n’ai aucun doute là-dessus. C’est le genre de personne qui fait des efforts pour ceux qu’il aime, pour ceux à qui il tient.

— Je verrai.

Le gamin finit sa dernière bouchée et pose le bol dans l’évier avant de nettoyer la table. Richard s’approche de lui en lui demandant de laisser, arguant qu’il aura le temps de s’en occuper. Cette proximité avec le jeune homme le trouble à nouveau. Anthony pose l’éponge et le regarde fixement, avant de quitter la cuisine en le frôlant. L’odeur suave et musquée du garçon accompagne le courant d’air créé par son passage. Richard reste debout, hagard, planté au milieu de la cuisine. Les bruits qui lui parviennent de la chambre le mettent en panique, même s’il sait qu’ils sont normaux. Anthony fait son sac et s’habille, sur le point de quitter le domicile du coiffeur. Ce dernier a envie de le retenir. De le retenir ? Mais pour lui dire quoi au juste ? Tu m’as retourné le cerveau et je veux que tu restes aujourd’hui ? Pure folie. Cette situation frôle l’inceste, tant leurs liens sont quasiment familiaux, tant leur écart d’âge représente un gouffre infranchissable. Leur attirance mutuelle, car elle semble belle et bien mutuelle, doit est tuée dans l’œuf. Ça ne pourra jamais rien leur apporter de bon, surtout à Richard qui redoute d’y laisser son amitié avec Erwann. Même si leurs corps s’appellent, il va leur falloir s’y refuser, sous peine d’ajouter un mélodrame à une situation déjà périlleuse.

Quand l’adolescent est prêt, harnaché de son manteau de cuir rembourré, de son sac à dos et portant son casque à la main, il revient vers la cuisine où Richard n’a pas bougé d’un iota, immobilisé par son trouble intérieur.

— J’y vais. Merci pour l’accueil et pour m’avoir accompagné là-bas.

— Tu comptes lui écrire ?

— Je ne suis pas très doué pour ça.

— Lui non plus.

— Un autre point commun alors.

— Vous en avez beaucoup, crois-moi.

— J’aimerais rencontrer ma sœur. Tu peux organiser ça ?

Richard opine du chef.

— Cool. J’ai... j’ai une dernière question à te poser.

— Vas-y.

— Vu notre ressemblance... tu as déjà eu des vues sur Erwann ?

Richard ne s’attendait pas à ça. Toujours ce culot si déroutant... et qui le laisse muet, la poitrine oppressée et la gorge sèche. Les mots ne peuvent pas sortir, coincés en lui, ensevelis sous la honte et le désarroi. Il ne peut ni nier, ni dire la vérité, seulement se taire en espérant que le gamin n’insistera pas. Anthony hoche la tête et se retourne, quittant la pièce et le domicile de la même foulée pressée. Sa fuite silencieuse est le coup de grâce de ces dernières vingt-quatre heures. Sonné, Richard s’écroule sur une chaise vacante et plonge son visage dans ses mains.

Pourquoi, mais pourquoi, celui lui arrive-t-il à lui ?

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