Chapitre I

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Réveillé par les caquetages gloussotants de ses poules, Jacky Pavé s'était levé aux premières lueurs de l'aube. En passant par la cuisine, il alluma le poêle à bois, déposa la bouilloire sur le feu et grilla le pain de la veille avant de filer nourrir ses bruyantes cantatrices de basse-cour. Après le petit-déjeuner, il ressortit s'occuper du potager mais la lassitude le gagna rapidement. Il n'en fallait pas plus pour que l’envie de s'encanailler l'emporte sur le jardinage en solitaire. Jacky fêtait, en ce vingt-quatre janvier, ses soixante-neuf printemps et il entendait bien payer une tournée au café en descendant acheter son pain. Le compostage de la parcelle destinée aux futurs plants de carottes pouvait bien attendre jusqu'au lendemain… Il se dirigea donc vers les châssis vitrés de sa fabrication, récolta une frisée et décréta que sa journée de labeur s'arrêtait là pour aujourd'hui.

On n’est pas au bagne, bordel !

Après tout, la procrastination n'était-elle pas le premier des luxes de la retraite ? En pensant à cela, Jacky considéra toute l'ironie de l'expression "On a toute la vie" car ce n'est qu'au crépuscule d'une existence menée à courir après le temps qu’on lui accordait du crédit. Fier de son raisonnement, il ne put retenir un sourire. Jacky affectionnait ce genre de réflexions intérieures, bien qu’il ne les contrôlât pas vraiment. Parfois, un véritable café-philo se tenait dans sa tête, ils étaient plusieurs là-dedans, pas toujours d’accords ! Il lui fallait noter cette fulgurance au plus vite sur son carnet Moleskine, dès qu’il serait rentré. Plumitif amateur depuis toujours, ces recueils de pensées, rêveries et autres aphorismes lui étaient précieux ; il les archivait soigneusement dans un tiroir de son bureau pour les feuilleter à l’occasion.

Jacky entra dans le sous-sol par la petite porte donnant sur le terrain, à l’arrière de la maison et déposa la salade dans le cellier, sur l'égouttoir de l'évier. Après s’être lavé les mains, il traversa l'atelier, ôta ses bottes pour enfiler ses pantoufles et accrocha sa salopette de bleu sur la patère prévue à cet effet. Au loin, le clocher de l'église sonnait onze heures alors qu'il grimpait l'escalier menant au rez-de-chaussée. Dans le vestibule, Jacky extorqua le calepin de sa poche intérieure de veste, mentionna la date sur une page vierge, y consigna les pensées du jour et referma l’objet avec un air satisfait. Combien d’élucubrations avait-il ainsi laisser s’envoler dans l’oubli en se disant qu’il les noterait plus tard ? Des centaines, des milliers sans doute ! Il s’astreignait désormais à une certaine assiduité dans les transcriptions, une forme de sagesse acquise sur le tard... Paumes appuyées sur le lavabo de la salle de bain, il plongea ses yeux bleu azur dans le miroir. Comme un diplomate rivé sur son pupitre fixant l’assemblée pour la convaincre, il minauda pour lui-même :

— Tu tiens encore la forme, hein, vieux con…

Jacky fit un brin de toilette, arrangea sa tignasse grisonnante en y glissant les doigts de manière compulsive avant de tailler sa barbe hirsute et sa moustache jaunie par le tabac. Il enfila une chemise propre, le jean de la veille et un pull-over. De retour dans la cuisine, il nettoya la vaisselle par acquis de conscience avant de se mettre en route. Chaussé de sa sempiternelle paire de Pataugas, il emprunta le chemin du chêne-Batrolle jusqu'aux carrières en rêvassant. De là, il traversa la vigne du père Durieux, son ancien patron, s'engouffra dans le bourg par la boueuse rue du Val d'or et longea l'église pour déboucher sur la place de la mairie. Le camion de collecte des ordures ménagères en feux de détresse garé devant le bistrot lui arracha un rictus moqueur.

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