Chapitre 13 –
L’horizon nuancé de jaune permettait de voir les bâtiments en noir au loin. Les premières étoiles étaient visibles dans le ciel. Les câbles électriques qui parcouraient la ville pour l’alimenter en électricité crépitaient. Burgundy était à la fenêtre de son appartement, une tasse de café à la main. De son salon, il avait une vue plongeante sur la ruelle dans laquelle, quelques semaines plus tôt, il avait vu la fille Sorel abattre le vieil Ilias Romanov. Il but son breuvage à petites gorgées, savourant les dernières minutes de calme et de sérénité avant de devoir s’équiper.
Son manteau rouge tombait parfaitement jusqu’à ses mollets. Un petit calibre glissé dans un étui à la taille, une dague fine dans le haut de sa botte et une autre arme à feu accroché à sa cuisse, Burgundy partait en chasse. Alors qu’il s’apprêtait à passer sa porte, une feuille pliée sur le sol attira son attention. Un froncement de sourcil accompagna sa lecture. C’était la première fois qu’on communiquait avec lui de la sorte. Il glissa le mot dans sa poche, et abandonna son appartement d’un pas léger, presque imperceptible.
Il traversait les rues de la ville ; le percevoir parmi les ombres relevaient du miracle. Le vieux cabinet médical abandonné était agité ce soir-là. Beaucoup de tracs s’étaient contentés de ramasser les restes de cadavres après l’explosion du bar et faisaient maintenant reconnaitre leur chasse. Pathétique. C’était un comportement de charogne. Burgundy attendit son tour dans la ruelle adjacente jusqu’à pouvoir s’assurer d’être seul. Il aimait le fait d’être un fantôme ou d’essayer d’en être un.
Posant sa carte sur le piédestal, il avait obtenu le nom d’un avancé qui le fit froncer les sourcils une nouvelle fois. Pour la deuxième fois de la soirée, il était étonné. Il relut le nom une seconde fois, comme si cela aurait pu changer ce qu’il lisait.
Aaron Sans-nom
70 000
La prime était particulièrement élevée pour un avancé orphelin. Les Sans-nom étaient généralement des enfants ou des adolescents dont leur particularité avait été découverte tardivement. De fait, leur prime était souvent ridiculement basse. Burgundy accepta la chasse. Il devait trouver cet orphelin. Ensuite, il choisirait de son sort.
Le mot à la main, Burgundy marchait calmement dans un quartier en périphérie de la ville. De grands immeubles dominaient l’espace. À certaines fenêtres, on pouvait voir des lumières éclairées des logements modestes. Le trac au manteau rouge s’arrêta au pied d’un immeuble dont les portes en verre étaient inexistantes. Le détecteur de mouvement pour allumer la lumière ne fonctionnait plus. Ses yeux s’habituèrent à l’obscurité, il monta les marches avec une fluidité déconcertante. Toujours le mot en main, il finit par arriver au quatrième étages. Il frappa contre la porte portant le numéro cinquante-huit.
La porte s’ouvrit brusquement. Un homme blond à la carrure imposante, une cicatrice lui barrant le visage lui fit face. À sa bouche, une cigarette bien entamée. L’homme l’observa de haut en bas, Burgundy en faisait de même. Le regard du blond se posa sur le papier dans la main de son invité.
— Ah ! Burgundy c’est ça ? Entre, reste pas dehors.
Sans plus de cérémonie, il laissa la porte ouverte, repartant comme il était venu. Curieuse soirée. Burgundy suivi son hôte en prenant soin de fermer la porte derrière lui. L’appartement était complètement insalubre. L’air ambiant était humide, avec une forte odeur de moisissures. Par endroit, la peinture avait disparu, laissant apparaitre des traces douteuses. Les rideaux étaient mités. Charmant.
Au centre de la pièce, il y avait une table autour de laquelle cinq personnes s’étaient regroupées. Sur le canapé, le blond se laissa choir, invitant son invité à en faire de même. Burgundy déclina poliment et resta à l’entrée, privilégiant une vue générale sur l’espace. Complètement à droite de son champ de vision, il y avait une kitchenette et une porte entre-ouverte. Burgundy leva sa main avec le mot qu’il avait trouvé avant de quitter son domicile.
— C’est original comme façon de faire appel à mes services.
— Une idée de Max ! se défendit aussitôt le blond.
Burgundy examina le visage des personnes présentes pour tenter de découvrir qui était le fameux Max. Le visage d’une femme marqué par le temps s’empourpra. Il conclut que ce devait être elle.
— Tu as le paquet ? reprit le blond en allumant une nouvelle cigarette.
— Oui. Cependant, ça me dérangerait que ce soit utilisé pour de mauvaises raisons.
— C’est pas pour du trafic, relax. L’un des nôtres est malade. C’est pour lui.
Burgundy sorti un sac en papier de la poche de son manteau, le jetant sur la table basse. Le balafré s’empressa de vérifié le contenu du sac, un sourire illuminant son visage. Burgundy se racla la gorge. Max s’approche de Burgundy, sous le regard de ses compagnons méfiants.
— Est-ce que vous me reconnaissez ? demande-t-elle timidement.
— J’ai du mal avec les visages, souffla-t-il en réponse.
C’était un mensonge. Burgundy n’oubliait jamais un visage.
— Il y a quelques mois, j’ai été dénoncé. Et c’est vous qui deviez… Enfin. Merci. Je ne sais pas pourquoi vous ne m’avez pas… pourquoi vous m’avez épargné, mais merci.
Burgundy regarda la main qu’elle lui tendait. Il hésita, puis accepta la poignée de main. Il se pencha lentement vers elle, et se plaça proche de son oreille, murmurant le plus bas possible pour que seule Max puisse percevoir sa voix :
— J’ai fait le choix de devenir un trac pour avoir le choix de sauver des vies innocentes. Tu en étais une Max.
Elle s’empourpra de plus belle alors que Burgundy se remettait droit. Max retourna parmi ses compagnons qui la dévisageaient avec intérêt. Le blond qui jusqu’à présent était resté silencieux se leva en s’étirant bruyamment. Il s’avança vers Burgundy et lui tendit une enveloppe kraft. Burgundy transféra son regard de l’enveloppe au visage de son hôte.
— Tout travail mérite salaire, lança-t-il comme un mantra dument appris.
— Je préfère être payé en information, confia le trac.
L’homme se crispa, puis s’ensuit un rire bourru et une tape sur l’épaule.
— Comme tu veux mon gars. Mais je suis une vraie tombe !
— Bart, je crois que ça pourrait être un bon allié, lança Max avec un sourire encourageant.
Bart hésita. Il regarda la table basse où le sac en papier était resté, puis l’enveloppe kraft. Ses yeux s’accrochèrent à ceux de Max et il soupira. Bart s’approcha de la table au milieu de ses acolytes. Il saisit un stylo et griffonna rapidement. Lorsqu’il était revenu vers Burgundy, la porte entre-ouverte à droite de la pièce s’ouvrit un peu plus grand. Burgundy vit le visage ensommeillé d’une jeune fille qui regardait dans sa direction. Il eut un nouveau froncement de sourcil. Il détailla autant que possible l’adolescente avant qu’elle ne referme prestement la porte. Bart posa une main lourde sur l’épaule de Burgundy le sortant de son observation. Il lui donna le mémo comportant une série de chiffres.
— Viens là-bas, demain matin, ordonna-t-il.
Le papier enfoncé dans la poche, il regarda de nouveau la porte close, puis fixa tour à tour chaque personne présente dans l’appartement. Dans un silence respectueux, il repartit comme il était venu.
Le ciel avait commencé à blanchir lorsque les compagnons de Bart ont quitté son appartement. Il fit craquer son cou et bâilla bruyamment en déposant deux tasses sur la table.
— Tu peux sortir, lança-t-il d’une voix claire.
Béryl avait un autre visage. L'épuisement qui l'avait défigurée semblait avoir laissé place à une apparence soignée, presque fragile. Elle était propre, ses cheveux soigneusement attachés, et elle portait des vêtements propres, d’une simplicité presque clinique. Ses mouvements étaient lents et mesurés lorsqu'elle entra dans la pièce. Il n'y avait plus d'agitation dans son regard, ni de tremblement visible dans ses mains. Elle s’installa lentement à la table, un geste presque timide malgré le contrôle qu’elle exerçait. Plusieurs heures étaient passées depuis sa dernière crise.
Devant elle, une tasse de thé fumant. L'odeur douce et apaisante du liquide flottait dans l’air, une douce invitation à la tranquillité. Bart était déjà assis en face d'elle, observant d’un regard dur et intense, comme toujours. Un silence confortable régnait entre eux.
Elle prit une première gorgée, puis posa doucement la tasse sur la table avant de lever les yeux vers Bart. Il était penché en avant, observant la tasse de thé, les coudes sur la table. Ses mains rugueuses se rejoignaient dans un geste distrait. Il était fatigué, et son visage trahissait son irritabilité.
— Je t’ai fait du mal ? demanda Béryl, presque incertaine, les mots pesant lourdement sur sa langue. Elle ne le regardait pas directement, comme si la question était gênante, toutefois son inquiétude était là, visible dans la façon dont elle se mordillait légèrement la lèvre inférieure.
Bart émit un bruit sourd, un rire bourru, à peine perceptible, qui brisa un peu le poids de la scène. Il se redressa, croisant les bras sur sa poitrine sans perdre son sourire.
— Si tu m'avais blessé, crois-moi, j'te l'aurais fait savoir.
Il haussait les épaules comme si c’était une évidence. Ses yeux se plissèrent un instant, plus tendres sous cette façade de dureté. Il massa machinalement le doigt qu’elle avait mordu, sans pour autant l’accabler. Il savait qu’elle n’y était pour rien. Ce n’était pas un choix.
— T’en fais pas pour ça, gamine. J'ai vu pire… Et j'ai survécu.
Béryl garda le silence quelques instants, observant ses mains posées sur la table. L'idée qu'elle ait pu faire du mal à quelqu'un, à lui, la perturbait encore. Elle n’avait pas confiance en sa propre force dans son état actuel. Bart avait dû voir sa culpabilité se dessiner sur son visage, car il recouvrit ses petites mains avec une seule des siennes. Un frisson la parcourut alors que Bart la fixait, une lueur d'inquiétude et d’impuissance dans les yeux.
— Tu penses pas qu’il serait plus sage d’aller voir un médecin ?
La mention d’un médecin sembla déclencher une réaction immédiate chez Béryl. Sa tête se leva brusquement, ses yeux s’agrandissant légèrement, une lueur de panique prenant place derrière ses pupilles.
— Non ! protesta-t-elle d'un coup, la voix plus sèche, plus tranchante qu’elle ne l'aurait voulu. Hors de question.
Elle retira brusquement ses mains de la prise de Bart. Elles se crispèrent sur la tasse, sans qu’elle ne la soulève. Bart resta là, la fixant sans ciller. Il n’avait pas prévu cette réaction. Son sourire s’éteignit légèrement, sans pour autant insister, sachant que ce genre de sujet, une fois écorché, devenait un terrain miné. Il ne fallait pas la pousser plus loin. Le silence se fit. Cette fois, il n’était pas aussi confortable. Béryl détourna les yeux, fixant le sachet en papier qui trônait fièrement au milieu de la table basse. Comme si la conversation ne la concernait plus. Une fine couche de tension enveloppait de nouveau la pièce, invisible et pourtant bien présente, marquée par la colère contenue et la frustration d’un sujet délicat.
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