Chapitre 16 –

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Le brouhaha du camp était un mélange de vie active. C’était un endroit rudimentaire, marqué par l’usure du temps et les traces de conflits passés. Des tentes de toile décolorée et des structures improvisées en métal récupéré et en bois formaient une sorte de village disloqué, où rien n’était vraiment stable, où chaque élément trouvait sa place dans la lutte pour la survie. À plus d’une heure de marche de la ville, le camp était très différent de celui des réfugiés. Ici, la rage est palpable. Tous étaient ici dans l’idée d’abolir un pouvoir en place. Ils n’avaient pas peur, ils ne se cachaient pas. Bien au contraire, ils appelaient à rejoindre leur rang.

Les sentinelles se tenaient silencieuses, perchées sur des guets, observant l'horizon de leurs jumelles usées, prêtes à réagir à toute intrusion. La ville, les forces militaires et la police étaient de loin les seuls interdits en ces terres. Le sol était boueux, détrempé par des pluies incessantes, et les chemins, creusés par les allées et venues, étaient bordés de déchets et de débris d’une civilisation en ruines. Au cœur du camp, des feux de camp crépitaient, diffusaient une lueur tamisée, l'odeur de la fumée se mêlant à celle des aliments en préparation. Les rebelles, vêtus de vêtements usés, se regroupaient autour, discutaient en vociférant, planifiaient les actions futures ou partageaient des informations sur les mouvements ennemis. Leurs regards étaient souvent distants, et derrière leurs expressions fatiguées, se cachaient des rêves de révolte et d'espoir, ainsi qu’une profonde résignation. Leurs visages marqués par les cicatrices de la guerre et les privations révélaient une détermination farouche.

Les armes, aussi précieuses que menaçantes, étaient soigneusement dissimulées dans les recoins du camp. C’étaient des reliques de combats passés, entretenues avec une précision d'orfèvre, car chaque munition compte. Des munitions étaient stockées dans des caisses rouillées, parfois ouvertes, parfois cachées sous des couvertures. Les rebelles étaient prêts à se battre jusqu’au dernier souffle, non pas pour conquérir le pouvoir, plutôt pour rendre l'espoir à ceux qui l'avaient perdu. Le camp était vivant, leur survie n'était pas qu'une question de vie ou de mort, davantage une résistance, une rébellion contre une société qui les jetait en pâture depuis trop longtemps.

Burgundy laissa son regard glisser sur le visage des personnes qu’il croisait. Parmi ces personnes, il y avait majoritairement des avancés recensés. Certains avaient des doigts coupés, des oreilles aussi, ou encore amputé d’un membre. Il n’y avait rien de surprenant là-dedans. Il fallait bien se douter que certains avancés étaient suffisamment malins pour contourner le système d’identification des Tracs et se faire disparaitre des bases de recherche. Même si cela leur avait coûté un bout de corps, c’était toujours mieux que leur vie.

L’homme au manteau rouge s’était délaissé de ses armes à l’entrée du camp, et il suivait la sentinelle d’un pas rapide. En arrivant à la hauteur du feu, Burgundy reconnu sans trop de mal la chevelure blonde de Bart.

— Ah ! Je pensais que tu te serais dégonflé ! lança Bart d’un ton moqueur.

— Je ne renonce jamais à un paiement, souligna platement Burgundy, se laissant tomber sur le sol en face de Bart.

— Tu sais, l’argent est un mode de paiement, se moqua-t-il sans méchanceté.

— Sans doute, pour autant, je préfère toujours les informations. Elles sont bien plus précieuses.

Personne ne pouvait le contredire. Bart attrapa une bouteille d’un alcool sans étiquette d’une couleur brune. Il tendit la bouteille à son invité de fortune qui déclina poliment.

— Dans mon immense générosité, je t’accorde trois questions, l’informa le blond.

— C’est peu cher payé pour une vie, fit-il remarquer.

Bart grimaça. Étant chef des rebelles, il n’avait aucun intérêt à révéler quoi que ce soit à un trac. Par ailleurs, beaucoup de ses compagnons ne comprenaient pas que leur commandant aidait une gamine sans aucune raison. Cependant, l’affection portée par Bart à la jeune fille n’était plus à prouver. Il avait déjà montré les dents plusieurs fois pour la préserver. Il avait même délaissé son rôle dans le camp pour passer le plus clair de son temps dans ce vieil appartement miteux.

— C’est à prendre ou à laisser, cracha-t-il.

— Sur quoi travaillez-vous ? Par vous, j'entends « les rebelles » et par travail, j’entends “les plans que j’ai vus sur la table hier”.

— Tu as l’œil. Bart passa une main sur son visage, accompagné d’un soupir. On prévoit de débrancher la centrale afin de nous permettre de passer la frontière avec moins de risques et quitter cette foutue ville.

— Pour quand est prévue l’échappée ? enchaîna Burgundy.

— Dès qu’on aura résolu notre problème technique.

Un silence s’imposa à la fin de cette réponse. Burgundy avait encore le droit à une question, cependant la formulation avait un rôle précieux. Bart arqua un sourcil, faisant rouler le liquide brun dans la bouteille.

— Tu voudrais rejoindre nos rangs ? reprit Bart.

— Pas le moins du monde. Je ne suis pas suicidaire, refusa Burgundy sérieusement.

— Dommage, tu aurais été un sacré atout. Bon alors, cette question. Ça vient ? s’impatienta-t-il.

— Hm. Connais-tu la famille Sorel ? demanda simplement Burgundy, les yeux légèrement plissés.

— Qui ne les connait pas ?! Ce sont les pires connards de cette ville de fou ! renchérit Bart, bourru.

— C’est amusant. J’étais convaincu d’avoir vu leur fille hier. Dans ton appartement, souffla Burgundy avec un air surpris.

Bart eut le visage empourpré d’un seul coup. Il aurait pu faire croire que c’était l’alcool ou le froid, cependant, c'était bel et bien la gêne qui habitait les traits de son visage. L’un des hommes assis autour du feu se tourna prestement vers le chef des rebelles, le visage colérique :

— Sérieux, la gosse est la fille Sorel ?!

Burgundy se leva calmement, dépoussiéra son manteau, puis enfonça ses mains dans ses poches, saluant Bart d’un signe de tête avant de commencer à s’éloigner. Après quelques mètres, il s’arrêta et fit pivoter son visage par-dessus son épaule pour croiser le regard furieux de Bart.

— C’était un plaisir de faire affaire avec toi, lança-t-il, chafouin.

Bart s’élança, prêt à sauter sur le trac, par chance, ses compagnons l’ont retenu d’un même geste. Burgundy venait de semer la zizanie parmi les rebelles. Bart n’avait pas enlevé Béryl Sorel. Bien au contraire. Burgundy savait. Chaque pièce du puzzle venait de trouver sa place dans son esprit.

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