Chapitre 19 –
Dans un sursaut, Aaron se redressa, ses yeux décernant une silhouette dans la pénombre de sa tente. Ses doigts se crispèrent sur le bord de son matelas d’appoint. La silhouette se rapprocha de lui. Il reconnut enfin Mira. Ses cheveux tressés tombant sur le côté de son épaule. Elle eut un hoquet de surprise en croisant le regard mordoré d’Aaron qui luisait dans l’obscurité.
— Je t’ai réveillé ? demanda-t-elle doucereuse.
— Évidemment. Je ne m’attendais pas à de la visite, Mira, élude-t-il, agacé.
Elle se glissa à côté de lui, venant embrasser sa joue.
— Je peux m’excuser si tu veux, souffla-t-elle d’une voix murmurée avec sensualité.
— Je ne suis pas d’humeur, rétorqua-t-il.
Visiblement, la réponse d’Aaron ne lui convenait pas. Elle s’appuya sur l’épaule d’Aaron, se hissant au-dessus de lui, passant ses cuisses de part et d’autre des hanches du pyrokinésiste. Aaron lui attrapa les poignets la faisant chuter sur le sol. Bien qu’ils étaient dans le noir, le jeune homme avait le visage fermé, presque colérique ; cela se ressentait dans sa prise autour des poignets de Mira et son souffle plus court qui s’écrasait sur elle.
— J’ai dit que je n’étais pas d’humeur, grogna-t-il.
— T’es bizarre depuis quelques jours. Je te reconnais plus, lança-t-elle.
Le ton de Mira était autant empreint d'inquiétude que de rage. Il était vrai qu’Aaron passait de moins en moins de temps dans le camp, et qu’il ne partageait plus sa tente avec Mira comme il le faisait précédemment. Pour autant, le jeune homme n’était pas prêt à admettre quoi que ce soit face à elle. Aaron passa une main sur son visage, essayant de chasser l’agressivité de son expression. La fatigue et la frustration se bousculaient dans sa tête.
— J’ai juste pas envie, Mira. C’est humain d’avoir des humeurs.
— Des sentiments aussi. Et, visiblement, tu te fous des miens ! exprima-t-elle coléreuse.
— Sérieusement ? soupira Aaron, exaspéré.
Il laissa un blanc s’éterniser, puis il expira longuement, se rallonge confortablement sur le matelas d’appoint. Les yeux clos, il reprit une respiration lente, cherchant une détente musculaire.
— Bonne nuit Mira, finit-il par lancer, calme.
Sa voix ne laissait aucun doute sur le fait qu’il n’avait pas l’intention de poursuivre cette discussion. Mira soupira bruyamment et quitta la tente d’un pas lourd, prouvant son mécontentement. Aaron attendit de ne plus percevoir le moindre bruit avant de rouvrir les yeux, fixant inutilement le noir au-dessus de sa tête. Des idées, des souvenirs et des brides d’images s’entrechoquèrent dans son esprit. Mira avait rallumé son cerveau, et il était convaincu de ne pas pouvoir retrouver le sommeil. Irrité et courbaturé, il enfila une veste par-dessus ses vêtements sommaires, décidant qu’il avait besoin de changer d’air pour se vider la tête.
Le verglas craqua sous ses pas. Une capuche par-dessus ses cheveux auburn. Il regrettait de ne pas avoir prolongé plus longtemps le paquet de cigarettes.
— Aaron ? l’apostropha une voix.
Il se figea puis se crispa. Il hésita longuement et finalement, il pivota sur lui-même, sortant les mains de ses poches. Un léger frisson le parcouru en découvrant le manteau rouge de Burgundy. Le trac était détendu, jaugeant sa cible. La tension était palpable. Aaron craignait de mourir. Il savait que le trac l’avait vu user de son don. Malgré tout, il ignorait comment il avait pu le retrouver, lui qui n’avait ni nom, ni famille. Il avait toujours fait profil bas. La réputation de Burgundy ne le faisait pas démériter.
— Je suis curieux de savoir pourquoi tu vaux si cher. C’est rare pour un Sans-nom, remarqua Burgundy.
— Je croyais que tu ne tuais pas les innocents, lança Aaron sur le même ton.
— Ah. Et, la rumeur dit aussi comment je paie mes factures ? ricana Burgundy.
Aaron se tendit, puis sans explication, il se détendit complètement. Burgundy fronça légèrement les sourcils, intriqué de cette soudaine résilience. Burgundy s’avança lentement jusqu’à se retrouver à la hauteur d’Aaron. Il fit un geste de la main, l’invitant à marcher avec lui. Aaron emboita le pas.
— As-tu retrouvé la fille ? questionna le trac.
Aaron hocha la tête pour lui répondre.
— Elle sait que tu es fiché ? continua-t-il.
— Pas que je sache. Comment as-tu eu mon nom ?
Burgundy sortit une carte de sa poche, la faisant tourner entre ses doigts.
— Cette petite carte nous permet d’avoir des noms de personne à chasser. Habituellement, les Sans-nom sont jeunes. Qu'as-tu fait pour te faire cramer ? Sans mauvais jeu de mot.
— Je suppose qu’un mur de chaleur pour repousser des flics n’a pas aidé ma cause, constata Aaron.
— En effet, acquiesça Burgundy en arrêtant de marcher.
Il sortit une arme et la pointa sur le front d’Aaron. Ce dernier eut un sursaut dû à la surprise. C’était si soudain. Ses yeux regardèrent le canon de l’arme, les mains tremblantes. Le doigt du trac pressa la détente.
Une seconde.
Rien ne s’était passé.
Aaron était toujours debout, en vie, les yeux clos. Burgundy était toujours là, l’arme pointée sur l’avancé, et la détente nullement enfoncée. Le trac avait un air suffisant et joueur sur le visage. Sur son cou, une lame était enfoncée de quelques millimètres. Ses doigts se sont défaits lentement de la détente, puis de la crosse de l’arme. Aaron découvrit avec surprise la scène qui était en train de se jouer devant lui. Aelis se tenait dans le dos de son agresseur, une dague menaçante dont quelques gouttes de sang perlaient. Ses iris violacés étaient nuancés par la rage. Burgundy leva doucement les mains en signe d’abandon et de résilience.
— Bonsoir Sorel. Aurais-tu l’amabilité de me libérer ? susurra Burgundy sans ciller.
Le trac au manteau rouge passa une main sur son cou, appuyant sur la coupure net qu’avait laissé Aelis en retirant la lame. Aaron avait reculé de plusieurs pas en titubant. Frôler la mort n’avait rien de grisant. C’était terrifiant.
Il fallut plusieurs minutes afin que chacun retrouve un semblant de normalité. Aelis gardait fermement sa dague dans la main. Burgundy avait repoussé son arme à feu d’un coup de pied. Aaron peinait à garder son équilibre sans paraître tout à fait présent. Le chemin était éclairé par des lampadaires nuançant l’espace d’une teinte jaune.
— Afin de dissiper tout malentendu, je n’avais pas l’intention de le tuer, informa le trac désarmé.
— Il est vrai qu’une balle dans la tête, ça soigne la migraine, pouffa Aelis désinvolte et moqueuse.
— J’étais curieux de savoir si tu interviendrais. Tu es rapide. Mais la discrétion est à revoir.
Aelis fronça les sourcils. Il était clair que le trac au manteau rouge l’avait remarqué bien avant qu’il ne décide de pointer une arme sur le front d’Aaron. Il saisissait des choses qu’elle ne pouvait nullement ressentir. Toujours calme, il avait su se rendre invisible pour ses sens, alors qu’elle, n’arrivait jamais à le surprendre.
— Un café, ça vous tente ? demanda Burgundy en faisant claquer ses mains ensemble.
Sans attendre leur réponse, il se mit en route dans les rues mal éclairée de la ville.
La nuit passée dans l’appartement de Burgundy avait quelque chose d’irréel. Le trac au manteau rouge avait guidé les deux jeunes en marchant un mètre devant eux. Aelis avait eu un moment de questionnement en regardant la ruelle dans laquelle elle avait achevé Ilias Romanov. Sa première chasse s’était déroulée tout juste sous les fenêtres du trac au manteau rouge. Il était mystérieux et énigmatique. Depuis qu’Aelis avait eu sa licence trac, elle n’avait croisé aucun autre trac que lui. Aussi avait-il l’air de savoir parfaitement qui elle était, alors qu’elle reste dans l’ignorance la plus totale. Aaron avait marché à côté d’elle dans le silence, jusqu'à ce qu'il lui murmure tout bas :
— Tu étais vraiment prête à le tuer pour me sauver ?
Aelis l’avait ensuite dévisagé ; son visage trahissant un dégoût profond pour l’idée qu’il venait d’énoncer. Ou bien du dégoût pour lui, tout simplement. Aucune réponse ne sortit de sa bouche. Aaron eut tout de même un sourire sur le bord des lèvres. Lorsque le trac les avait invités à entrer, l’avancé fut le premier à accepter en emboitant le pas à la jeune femme. Tous les trois assis autour de la table basse du salon modeste du trac au manteau rouge, ils ont mis un peu de temps à briser le climat tendu qui régnait dans un silence de plomb. C’est le son de la cafetière de l’hôte qui brisa le calme. Servant trois tasses.
Aelis faisait rouler sa tasse entre ses mains sans avoir touché son contenu. Aaron avait déjà fini sa tasse, tant dit que Burgundy buvait encore à petites gorgées.
— Pourquoi tu as toujours l’air de savoir plus de choses que ce que tu dis ? s’exaspéra Aelis.
— Peut-être parce que c’est le cas ? suggéra Burgundy en souriant derrière son café.
— Alors pourquoi tu ne me dis pas explicitement que tu sais où est ma sœur au lieu de subtilement diriger vers les rebelles, s’insurgea-t-elle, agacée.
— C’est fascinant, siffla Burgundy. Tu es là, assise à ma table, une dague cachée dans ton dos et un regard qui pourrait transpercer un homme. On sait tous deux que personne n'est vraiment innocent dans ce jeu. Alors cesse de me voir comme un ennemi.
— Tu ne comptes pas boire ton café ? demanda Aaron complètement en dehors de la querelle des deux tracs.
Aelis soupira, donnant sa tasse d’un mouvement brusque à son voisin sans quitter des yeux son aîné qui souriait pleinement amusé par les réactions de la jeune femme. Il reposa sa tasse vide. Sous le regard incrédule de la brune, il attrapa le papier plié dans la poche de son manteau. Il glissa le papier sur la table jusqu’à Aelis. Aaron pendant ce temps avait réchauffé la tasse remplie de café, un air satisfait sur le visage.
— C’est l’adresse exacte où j’ai vu ta sœur, informa Burgundy.
Aelis s’empressa d’attraper la feuille, cependant Burgundy l’en empêcha sans retirer sa prise. Elle le toisa avec colère. Sans ciller, il confronta ses yeux violacés. Aaron transféra son regard de l’un à l’autre en buvant à petite gorgée. Le duel entre les deux tracs ne laissait aucun doute quant à leur respect mutuel malgré la tension.
Burgundy soupira en se laissant tomber sur le sol, son amusement avait été remplacé par une expression d’inquiétude. Aelis tira le papier à elle sans pour autant l’ouvrir. Ses yeux passèrent de la feuille à Burgundy, puis inversement. Elle glissa le papier dans la manche de son tee-shirt à défaut d’avoir une poche.
— Merci, souffla-t-elle pour éteindre leur altercation silencieuse.
Burgundy lui offrit un signe de tête sans plus de formalités. Aaron tourna la tête vers la fenêtre, constatant que le ciel commençait à blanchir, preuve de l’arrivée du petit matin.
— Je peux te mettre en relation avec les rebelles si ta sœur est avec eux, songea Aaron à voix haute.
— Elle n’est pas “avec eux” ! cracha Aelis. Elle est retenue par eux.
Aaron leva les yeux au ciel, exaspéré de cette colère dont faisait toujours preuve Aelis. Il déposa la tasse vide sur la table en bâillant.
— Ah, oui, j’oubliais. Les Sorel sont tous des anges, ils sont du côté du bien, nous, on est juste des monstres.
Aelis piqua un fard. Elle s'apercevait par les propos d’Aaron qu’elle ne cessait de stigmatiser tous les avancés alors qu’il en était un et ne cessait de lui prouver leur humanité, on ne peut plus normale. Aaron tapota le genou d’Aelis en faisant un rire exagéré.
— T’inquiète, j’en pense pas moins des tracs ! charria-t-il
Burgundy éclata de rire. Le duo lui faisait penser à lui et sa femme lorsqu’ils étaient jeunes. Aelis lui ressemblait beaucoup par son impulsivité, et cette manière maladroite d’exprimer la moindre de ses émotions. Aaron lui rappelait énormément Marina. Ce côté taquin et pourtant si serviable.
Le souvenir de sa femme plongea Burgundy dans une mélancolie nostalgique. Il quitta donc le salon pour s’isoler. Les deux invités restèrent sur le canapé, échangeant déjà sur leur prochain objectif commun.
Annotations
Versions