Chapitre 22 –

9 minutes de lecture

Le vieil appartement était vide. Aelis découvrait les lieux avec une frustration grandissante. Elle était convaincue de retrouver Béryl en passant cette porte. La moisissure sur les murs et l’odeur d’humidité lui donnait des hauts le cœur. L’air froid qui s’engouffrait par les fenêtres, le sol qui craquait dangereusement à chacun de leurs pas. Aelis n’aimait pas l’idée même que sa petite sœur ait pu être retenue ici. Les verres dans l’évier et l’absence de poussière démontrait une activité récente dans le logement. D’un geste hésitant, elle poussa la seule porte close de l’appartement. Un frison parcouru aussitôt son échine devant l’image qui s’imposa à elle. Un lit aux draps froissés, des chaines en métal pendaient à chaque extrémité du seul meuble de la pièce. Une barre de rideau arrachée du mur avec violence résidait sur le sol. Le carton vide à côté du lit faisait office de table de chevet avec dessus une boite de médicament vide et un verre. Les doigts d’Aelis glissèrent sur un trou dans le mur à côté de la porte, elle s’approcha ensuite du lit. Elle cherchait du regard une quelconque preuve du pire scénario possible qu’elle avait pu imaginer. Elle grimaça en trouvant un long cheveu noir sur l’oreiller. L’attrapant du bout des doigts, elle se le mit avec précaution dans le bout de papier comportant l’adresse du logement qu’elle visitait. Nate pourrait lui confirmer ses craintes, bien qu’elle n’eût aucun doute sur le fait que Béryl était bel et bien là.

Silencieusement, elle s’assoit sur le bord du lit, regardant les chaises, puis la fenêtre, avant de fixer la porte. Aaron s’était appuyé contre l’encadrement sans la lâcher des yeux. La jeune fille se pinça les lèvres, son esprit divagant dans ses pensées.

— On ne devrait pas rester là, intervint-il.

Aelis sursauta en sentant la main d’Aaron sur son avant-bras. Elle ne l’avait pas vu s’approcher. Pas même entendu ou senti. Il fit glisser sa main de l’avant-bras jusqu’à la main d’Aelis jusqu’à pouvoir refermer ses doigts autour de sa paume froide.

— Viens, murmura-t-il dans un souffle.

Aelis se laissa guider sans un mot, son esprit encore trop embrumé par les images du lieu qu'elle venait de fouiller. Chaque pas vers la sortie de l'appartement résonnait dans son crâne comme un avertissement sourd. L’idée que Béryl ait pu être piégée dans un endroit pareil, dans ces conditions, la paralysait. Un étrange sentiment de culpabilité se faisait pesant dans sa poitrine, cependant elle n’avait ni le temps ni l’énergie de s'y attarder. Aaron la mena rapidement à l'extérieur du bâtiment, sans un regard en arrière. À peine la porte se referma-t-elle derrière eux qu'Aelis prit une grande bouffée d'air, comme pour effacer l'atmosphère de ce lieu sordide. Le vent froid fouettait son visage, les températures négatives mordait sa peau bien qu’il y ait un grand soleil au-dessus de leur tête. Malgré la sensation de liberté que lui procurait l’air frais, elle se sentait plus perdue que jamais.

Aaron n’avait pas libéré sa prise sur sa main, son geste protecteur contrastant avec l'angoisse palpable dans les yeux d’Aelis. Il s'arrêta au coin de la rue, jetant un regard furtif autour d’eux pour s’assurer qu'ils n’étaient pas suivis. Aelis n’avait jamais semblé aussi fragile. Pas face à lui en tout cas.

— Et si… elle était morte ? murmura-t-elle d’une voix brisée.

— C’est pas le moment de baisser les bras poupée, rappela-t-il en l’obligeant à relevé le visage vers lui.

— C’était la seule piste. La seule…

Les yeux d’Aelis s'étaient remplis de larmes sans pour autant qu’elle ne les laisse couler.

— C’est pas la seule. Burgundy a suggéré de s’intéresser aux rebelles, reprit-il d’un ton plus grave.

Elle le regarda, les sourcils froncés. Il avait raison, même s'il restait une pensée intrusive qui rappelait l'incohérence de l'enlèvement de Béryl.

— Ça ne coûte rien d’aller se renseigner, suggéra Aaron plus calmement.

Il imaginait le conflit interne qui régnait dans la tête de son homologue. Cette dernière acquiesça difficilement, avant de prendre une profonde inspiration, dégageant sa main de celle de l’avancé, elle emboita le pas dans le dédale de rue.

Ses pensées tourbillonnaient. Elle savait que chaque instant passé à chercher Béryl était un instant où elle risquait de tout perdre. L’idée de retrouver sa sœur, de la sortir de ce piège, lui donnait la force de continuer, même quand la peur voulait l’étouffer. Aaron resta quelques pas derrière elle, gardant ses sens aux aguets. La ville était exactement la même que d’habitude. Les commerces, les logements, le brouhaha sous fond de grésillement des lignes hautes tensions. En plein jour, rien ne pouvait trahir la situation chaotique de la ville. Des innocents qui continuent à vivre sans se soucier des conflits qui résidaient à deux portes de chez eux. L’humain, inexorablement enfermé dans un égocentrisme protecteur.

Ils marchèrent durant deux heures. Empruntant les rues pavées du centre-ville, croisant une population grouillante et vivante. Aucun d’eux ne prêta attention aux affiches placardées sur les murs. Aucun d’eux n’entendit les commérages parler du fameux camp démantelé pendant la nuit. Ils ne regardaient pas réellement le monde qui les entourait. Seule la route et le point d’arrivée comptaient.

Le camp des rebelles s'étendait dans un champ en jachère. Le bruit incessant du martèlement des outils, des voix qui s’élevaient dans l'air froid, donnaient une impression de frénésie contrôlée. L’endroit respirait la rudesse, un patchwork de survie forgé par des années de lutte contre un ennemi tout-puissant. Des tentes déchirées et élimées côtoyaient des abris de fortune faits de planches récupérées et de tôles cabossées. Le sol était boueux, sillonné de traces de pas qui se mélangeaient à la terre brune, formant des chemins durs comme des scarifications sur le visage des campeurs. Quelques barbelés étaient tendus autour des points stratégiques. Les bâtiments précaires et les installations de fortune avaient été érigés à la hâte ; tout avait une utilité précise, une place dans la grande mécanique de la révolte. Les toiles des tentes, décolorées et usées par les intempéries, bougeaient sous le vent comme des drapeaux déchirés.

Aaron devait reconnaitre que le camp avait quelque chose de fascinant et d’attractif. À l’intérieur, il y avait peu de calme. Les échanges étaient vifs. On parlait fort, on riait aussi. C’était une petite ville, bien loin de l’ignorance citadine et du confort mondain.

À la différence des réfugiés qui fuyaient et se cachaient, ici, les rebelles se dressaient sans honte, affichant leur appartenance à cette cause ardente. Chaque panneau, chaque mur d'affiche, chaque graffiti sur les planches annonçait un message de défi. « Rejoignez-nous, ou disparaissez !», pouvait-on lire dans plusieurs endroits. Une invitation directe à ceux qui étaient prêts à tout risquer. Le camp n'était pas seulement un refuge, il était le cœur battant d’une révolution qui ne demandait qu'à éclater.

Aaron s’arrêta juste avant de heurter le dos d’Aelis. Elle se tourna vers lui, un regard rempli d’une curiosité vive. Elle le fixa un instant, hésitant à poser la question qui lui brûlait les lèvres.

— Tu fais partie de leur rang ? demanda-t-elle.

Aaron sourit faiblement. Un sourire qui ne parvenait pas à effacer les soupçons de la jeune fille.

— Quand tu rejoins les rebelles, tu fais le pari de ta vie. Jusqu’à présent, je n’étais pas prêt à me sacrifier pour quiconque, finit-il pas lui répondre, sa voix laissant planer un sous-entendu qu’elle ne saisit pas.

Bart, appuyé contre un mur, regardait les deux arrivants. Il n’a pas l’air pressé, ni stressé, néanmoins il ne cachait pas son agacement. La sentinelle qui avait guidé le duo jusqu’au chef des rebelles fut remercié d’un signe discret. Le blond faisait couler son regard sur la jeune femme. Mentalement, il se fit la réflexion qu’il était impossible de ne pas voir la similitude des traits entre les deux sœurs. Il regarda ensuite le rouquin qui l’accompagnait, se questionnant quant au fait de leur alliance incongrue. Aaron se racla la gorge, ignorant comment entamer le dialogue. Le chef des rebelles était impressionnant avec sa carrure carrée et les cicatrices sur son visage.

— On cherche quelqu’un, et on nous a dit de venir voir par ici, expliqua maladroitement Aaron.

— Va falloir être plus précis mon gars. Après l’explosion du camp de cette nuit, j’en ai des tonnes des gens qui cherche des « quelqu'un », grogna Bart.

— L’explosion ? reprit Aaron, les sourcils froncés.

— Vous vivez dans une grotte ou quoi ? s’égosilla le blond. Le camp des rebelles de l’Est a été détruit par les marionnettes de la ville. C’était un carnage.

Aaron resta muet, stupéfié de cette nouvelle. Une telle attaque était explicitement une menace et accessoirement une déclaration de guerre. Aelis s’avança d’un pas, se plaçant devant son acolyte.

— C’est malheureux, je consens. Cependant, nous avons été dirigés vers vous concernant ma sœur. Béryl. Si vous connaissez une quelconque information sur son état ou sur sa localisation, je vous serais reconnaissante de m’en faire part.

Le ton d’Aelis était hautain, détaché et froid. Elle se fit la réflexion qu’elle ressemblait à ses parents en agissant ainsi. Bien qu’elle ait les cheveux emmêlés et des vêtements négligés, elle n’en restait pas moins une fille de la ville. Le chef des rebelles éclata d’un rire bourru.

— C’est pas facile de retrouver quelqu’un qui ne veut pas être retrouvé. Tu ne penses pas ? demande-t-il en essuyant une fausse larme aux coins des yeux, ses épaules tressautant de son éclat de rire précédent.

— Ne me faites pas perdre mon temps, gronda-t-elle.

Le visage d’Aelis s’était assombri aussitôt. Si ses yeux avaient pu le tuer, il serait déjà criblé de balle. Elle avait agrippé son arme à sa taille, prête à parcourir les quelques mètres qui les séparait pour appliquer la menace silencieuse qu’elle venait d’émettre à son encontre. Bart baissa la tête, sans réussir à se défaire de son sourire joueur.

— Bien, bien, il fit claquer ses mains ensemble, avançant jusqu’à eux. Je pense que ta petite sœur chérie, si toutefois, elle est encore en vie, a dû être vendue à la frontière. Il y a plein de petites filles à papa comme elle qui disparaissent tous les jours. Tu devrais le savoir.

— Si tu sais où elle est, dis-le. Ça t’évitera de te retrouver avec la gorge tranchée. C’est un conseil, répondit Aelis sur le même ton.

— Range tes griffes chaton. Je n’ai jamais entendu parler d’une quelconque Béryl. Peut-être que si tu ne la retrouves pas, c’est parce qu’elle ne s’est pas fait enlever. Réfléchis un peu gamine : elle te fuit. Toi et ta psychopathie évidente, rétorqua Bart, espiègle.

Elle sortit sa dague d’un mouvement fluide, plaçant l’arme sous la gorge de son interlocuteur, l’obligeant à relever la tête pour ne pas s’entailler lui-même.

— Aelis, non ! s’offusqua Aaron. Lâche-le. S’il te plait.

— Vas-y. Tue-moi, provoqua Bart sans se défaire de son air chafouin. Il ne faudra qu’une poignée de secondes aux autres rebelles pour te buter et récupérer la récompense qu’il y a sur ta tête.

Aelis fronça les sourcils, décollant progressivement sa lame de la peau de Bart.

— Quelle récompense ? questionne-t-elle.

— Tu as été mise à prix, informa le blond en caressant sa gorge. Je ne donne pas cher de ta vie ma jolie.

Aaron s’empressa d’attraper Aelis par les épaules, la faisant reculer de quelques pas. Il la fit pivoter vers lui, le regard visiblement inquiet.

— C’était une mauvaise idée. On s’en va.

— Je n'abandonnerai pas Béryl, contra-t-elle de façon alarmiste.

— C’est pas la question ! Ta tête est mise à prix. Si tu meurs, je te garantis que Béryl sera le cadet de tes soucis. Sois raisonnable, je t’en prie, supplia Aaron.

— Écoute-le. Et, pour ta sœur, je ne sais rien, mais j’irai quand même vérifier auprès des trafics aux frontières à ta place, suggéra Bartolomé, nullement rancunier.

Aelis acquiesça, malgré tout reconnaissante. Grâce à cette entrevue, elle n’avait pas avancé dans les recherches, certes, cependant, elle avait récolté une information qui venait de lui sauver la vie.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Kaelane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0