Chapitre 24 –
— Charmante ta frangine.
Bart poussa un soupir, passant une main sur sa nuque pour détendre ses muscles. Béryl lui souriait, tressant ses cheveux sur le côté de sa tête.
— Rappelle-moi pourquoi tu ne veux pas lui dire que tu vas bien.
— Je ne peux pas, c'est tout…, murmura-t-elle, la voix brisée.
Bart tapota à côté de lui, invitant à la jeune Sorel à s’installer près de lui. Elle posa sa tête sur les jambes du chef des rebelles qui glissa ses doigts dans la chevelure de la jeune fille.
— C’est ton choix. Mais j’ai l’impression qu’elle va mettre le monde à feu et à sang pour toi. Tu crois vraiment qu’elle ne comprendrait pas ?
— Je ne sais pas. J’ai peur. Peut-être qu’elle aura peur de moi. Ou pire, imagine que je lui fasse du mal ?! Ou qu’elle me ramène à nos parents… ! paniqua Béryl.
Bart acquiesce en silence. Il est sans doute le seul à être au courant de tout ce que vit la plus jeune des Sorel. Il ne peut en aucun cas prétendre qu’il comprenait. Il savait, voilà tout.
Béryl avait fini par s’assoupir, lové ainsi. Bartolomé prenait soin de ne pas la réveiller alors qu’il se levait. Il couvrait le corps de la demoiselle à l’aide d’une épaisse couverture, et il quitta la petite demeure en brique et en bois. Il regrettait de ne plus pouvoir garder Béryl avec lui au camp. C’était devenu trop risqué ; pour tout le monde.
Le camp des rebelles était éclairé par des torches solaires, offrant une atmosphère douce et agréable malgré le bruit des sentinelles qui réalisaient les rondes autour du campement. Le début de soirée était assez clément. La plupart des rebelles s’étaient réfugiés dans leur tente.
— Eh gamin ! Tu es venu sans la prime sur patte ? lança un homme fortement alcoolisé, sa jambe droite remplacée par une prothèse en acier.
Aaron l’ignora, continuant d'avancer dans le camp. Après une seconde interpellation, il décida de couvrir sa tête avec sa capuche. Le nombre de rebelles qui flânaient encore en dehors des tentes n’étaient pas nombreux, toutefois suffisant pour l’agacer. Il arriva à la petite bâtisse en taule et toile cirée. Le chef des rebelles s’était affalé sur le bord du bureau, les yeux rouges et les cernes marqués. Il regarda le pyrokinésiste entrer sans réellement le voir avant de secouer la tête, prenant soin de se redresser pour lui faire face.
— Je ne pensais pas te revoir aussi vite. Tu es venu sans la tueuse d’avancés domestiquée ?
— C’est pas une tueuse d’avancés domestiquée, grogna Aaron, les dents serrées, irrité des surnoms donnés à Aelis.
— Si tu le dis, pouffa Bart, amusé.
Aaron grimaça, mordilla sa lèvre inférieure et finit par soupirer en passant une main dans ses cheveux. Bart, malgré son regard fatigué, dévisageait Aaron avec intérêt. Il pesait le pour et le contre. , et Bart espérait pouvoir lui couper l’envie de fouiner. Le pyrokinésiste n'était pas présent sans raison, et Bart espérait pouvoir lui couper l'envie de fouiner. Il avait promis à Béryl de la garder en sureté. Il y veillait.
— Tu devrais te joindre à nous gamin. Tu sais que ta tête va être mise à prix, si ce n’est pas déjà le cas. Tu pourrais continuer à fuir, faire ami-ami avec des tracs, et espérer être sauvé en cas de guerre… ou prendre ton destin en main.
La réplique du blond s’accrocha à l’air lourd et humide de la tente de fortune. Son ton calme contrastait avec son air grave. Il se pencha légèrement en avant, comme pour ponctuer le sérieux de sa proposition.
— Ce que je te propose, c’est de quitter cette ville de merde.
Aaron fixa la carte de la ville dépliée sur la table bancale étendue devant Bart. Ses yeux s'accrochèrent à la frontière entourée en rouge. L’avancé était tiraillé entre l’envie de quitter cette vie qu’on lui avait imposée dès son plus jeune âge et rester dans cette confortable connaissance de son petit monde. Le camp de réfugiés, les échanges, Mira, Elsbeth et maintenant, il pouvait même y ajouter la jeune trac à la chevelure éparse et aux yeux perçants. Ce que Bart lui proposait était tentant. Aaron n’avait jamais voulu être un soldat, ni un fugitif, ni un rebelle, et encore moins un martyre. Vivre sans avoir constamment peur pour sa vie avait quelque chose de séduisant. Bien qu’il n’ait pas voulu qu’Aelis creuse plus loin, Aaron était convaincu que le chef des rebelles pouvait être un atout majeur dans la quête de la trac. Cette offre tombait à pic. Pour autant, il n’arrivait pas à ignorer la sensation de malaise et de peur qui naissait dans le bas de son ventre.
— Tout a un prix dans notre monde. Tu attends quoi de moi ? demanda-t-il d’un ton pensif et suspicieux.
Le chef des rebelles souriait presque de façon paternelle. Il se redressa, tanguant légèrement.
— Je veux simplement que tu nous aides. Inutile d’être en première ligne. Il faut juste que tu te rendes utile.
— ça semble trop beau pour être une vraie offre. C’est quoi l’arnaque ? fit remarquer Aaron, méfiant.
— Y en a pas. Mais il y a tout de même une condition, assura Bartolomé avec nonchalance.
— Laquelle ? demanda-t-il en levant les yeux au ciel, désinvolte.
— La tueuse domestiquée doit rester à la niche, imposa-t-il, intransigeant.
Aaron resta silencieux, son regard coléreux ancré dans celui de son homologue. La proposition avait du sens. Pour autant, Aaron hésitait, l’esprit en ébullition. Aider des personnes, protéger des innocents et fuir les massacres. Puis quitter la ville. Quitter la peur. Ses yeux descendirent de nouveau sur la carte. La frontière ressortait en rouge. Il ignorait ce qu’il y a au-delà de cette ligne rouge. Tout le monde l’ignorait. N'importe qui pourrait imaginer le meilleur quand on était les parias d'une société violente. Un monde différent s’étendait là-bas, où personne ne le connaitrait, où il pourrait vivre sans fuir. Néanmoins, il n’avait pas prévu de quitter la ville. À vrai dire, il n’y avait même jamais songé. S'il acceptait de suivre les rebelles, qu’en serait-il des réfugiés ? D’Aelis ?
— Tu peux y réfléchir. Mais mon offre disparaît dans vingt-quatre heures. Fait le bon choix gamin, reprit Bart, finissant de semer le doute dans son esprit.
Aaron acquiesça, s’empressant de sortir, comme si l’air serait différent. Il avait besoin de faire le point. Après quelques pas lourds, s’enfonçant dans le sol légèrement boueux du camp, il s’était mis tout à coup à courir, prenant de plus en plus de vitesse. Il tentait de fuir, de s’éloigner davantage de cette proposition aussi attirante que dangereuse.
Lorsqu’il arrêta de courir, il dut prendre plusieurs minutes pour reprendre son souffle. Puis, sans réfléchir, ses pas ont pris la direction de ce qui ressemblait le plus à un chez-lui pour l’instant : le camp de réfugié du vieux métro.
Elsbeth était assise sur les marches, ses doigts caressant son arme d’un air absent. Elle le salua sans même relever la tête. Aaron se laissa tomber sur la marche à côté d’elle dans un soupir.
— J’ai pas envie de parler. lança-t-elle de but en blanc.
Aaron étira un discret sourire, posant une main sur l’épaule de la sentinelle. C’était une façon comme une autre de l’informer qu’il comprenait. L’instant d’après, il quitta la bouche du métro pour s’enfoncer dans le camp.
C’était très calme. La plupart dormaient déjà. Seules les lumières d’urgence luisaient dans le vieux tunnel. Le vent sifflait comme à son habitude. Aaron épousa le camp d’un regard, avant de passer une main dans ses cheveux. Il se questionnait encore sur son envie de quitter tout cela, de renoncer à tout ce qu’il s’était créé.
Aaron se tenait quelques heures plus tard à l'entrée de la bâtisse en taule, les mains tremblantes dans ses poches.
Il s'était endormi hésitant et s'était réveillé avec une décision claire. Le camp était figé dans la lumière blanche du soleil dissimulée derrière les nuages épais et l'atmosphère autour de lui était lourde, pesante. Il n’avait pas réfléchi à ce qu’il allait dire, mais il savait ce qu’il devait faire. Il n'y avait aucune place pour l'hésitation ici, pas maintenant.
Il poussa la porte d’un coup, brisant le silence de la petite pièce où Bart l'attendait, une cigarette coincée entre les lèvres, son regard plus aiguisé et moins fatigué que la veille. Aaron s’avança d’un pas, et d’un seul coup, la décision qu’il avait prise quelques instants plus tôt envahit son esprit tout entier. Il n'y avait plus de retours possibles.
— T’as réfléchi ? demanda Bart, une lueur amusée dans le fond de ses iris.
Aaron hocha la tête, le regard résolu, mais l'intérieur de son ventre était pris dans un tourbillon de peur. Il était sur le point de s'engager dans une voie sans issue, de devenir ce qu’il avait toujours détesté : un soldat. Un rebelle. Il n’avait pas choisi cette vie, mais il choisissait son avenir.
— J’accepte, affirma-t-il simplement.
Bart souffla un nuage de fumée, sans rien laissait paraître. Aucune surprise ne transparaissait, seulement un certain plaisir. Il avait parié qu’Aaron finirait par céder. Les personnes comme lui, piégées entre le besoin de survie et la volonté de ne pas se compromettre, finissaient toujours par craquer. Bart en avait vu d’autres.
— T'as fait le bon choix, gamin. Tu vois, je savais que tu finirais par comprendre. C’est comme ça dans ce monde. Fuir, c’est facile. Mais se battre, c’est autre chose. Et toi, t’as cette rage en toi, je le sens. scanda le chef des rebelles.
Aaron se forçait à ne rien montrer. Il avait pris la décision de se jeter dans l’arène. Il croisa brièvement le regard de Bart, qui ne le lâchait pas. Une pensée pour le camp du vieux métro s’insinua en lui. Il repoussa cette dernière en pinçant les lèvres. Il n’y avait aucun retour en arrière.
— C’est pas simple, tu sais, murmura Aaron, sa voix grave et tendue. Mais je le fais. Je vais le faire. Je vais suivre ton putain de plan.
Bart éclata d’un rire bas, satisfait, comme si la décision d’Aaron n’était qu’une formalité. Il se leva lentement, éteignant sa cigarette dans le cendrier avec un geste détendu.
— Ce n’est pas le plan qui fait tout, gamin. C’est ta volonté. Et t’as bien saisi ça. La vie ici, elle ne se résume pas aux premiers obstacles. C’est à partir de là que tout commence vraiment.
Aaron sentit un frisson courir dans son dos. Il se redressa et acquiesça d’un mouvement de tête. Une seconde pensée intrusive dessina le visage d’Aelis dans un coin de sa tête.
— Quand est-ce qu’on commence ? demanda-t-il, la voix plus dure qu'il ne l’aurait voulu.
Le temps de fuir était fini. Il était plus qu’un pion dans ce jeu, et il comptait user de cette décision suicidaire pour peut-être apporter une délivrance à la chasseuse. Bart exprimait une satisfaction tranquille. Il savait que cette peur, cette incertitude qu’il voyait en Aaron, c’était exactement ce qui faisait de lui un soldat. Pas un héros, pas un martyr. Juste un survivant prêt à tout pour s’en sortir.
— Bientôt, gamin, répondit-il. Bienvenue chez les rebelles.
Aaron serra les poings, sa détermination prenant racine à mesure que les mots de Bart résonnaient dans la pièce. Il n’y avait plus de place pour l’hésitation, plus de place pour les regrets. Demain, il serait un autre homme. Il devait apprendre à vivre avec cela. Bart ouvrit une boite et en sorti un téléphone portable. Il le jeta à la nouvelle recrue.
— Je prendrai contact avec toi, expliqua-t-il sans détour.
Le chef des rebelles fit un geste lasse de la main, demandant à son invité de quitter les lieux. Aaron tourna les talons sans demander son reste. Le poids de sa décision, lourd sur ses épaules, aussi lourd que le téléphone dans le fond de sa poche. Il ne craignait plus ce qui l'attendait. Parce que dans ce monde, la peur, c’était juste une autre forme de contrôle. Aaron n’allait plus se laisser contrôler. Même si, à cet instant précis, il devait profiter du temps qui lui restait pour dire adieu à tout ce qu’il connaissait.
Il venait d’offrir sa vie.
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