Chapitre 1 :
Seize ans auparavant, royaume d'Alyra
Je n’avais jamais entendu un silence aussi lourd que celui qui régnait dans le palais d’Alyra, juste avant que le chaos ne s’abatte. Les murs vibraient sous les grondements des ténèbres, et pourtant, tout semblait figé. Mon cœur battait si fort que j’avais l’impression qu’il allait briser ma poitrine.
Les flammes dévoraient les jardins royaux. Au loin, les bombardements de boules de feu illuminaient la nuit comme des éclairs maudits. Trois millions quatre cent cinquante-deux mille soldats des ténèbres – un nombre que je n’aurais jamais cru possible – encerclaient nos murailles. Le rugissement des créatures résonnait, mêlé aux cris des hommes qui tombaient. Et moi… moi, je n’étais qu’un prince, Wilson d’Alyra, incapable de retenir la fin qui s’annonçait.
Je courais dans les couloirs, le souffle court, jusqu’à la salle où Astrid m’attendait. Ma fiancée. Mon amour. Elle était pâle, ses mains tremblaient, mais ses yeux brillaient d’une force que je n’avais jamais vue. « Wilson… je vais accoucher », murmura-t-elle, et ces mots me transpercèrent plus violemment que n’importe quelle lame.
Je voulais hurler, mais il n’y avait pas de temps. Je fis appeler une servante, lui ordonnant de préparer une pièce isolée. Quand le bébé naquit, minuscule et fragile, je sus que je ne pourrais pas le garder ici. Pas dans ce royaume condamné. « Emmène-le… loin d’Alyra. Dans un orphelinat. Qu’il vive… une vie normale », soufflai-je à la servante, la voix brisée. Elle acquiesça sans un mot, et mon cœur se déchira en la voyant partir avec ce fragment de nous.
Astrid posa sa main sur mon bras. « Wilson… suis-moi. » Ses pas nous guidèrent vers le sous-sol, une salle oubliée, presque une grotte. Au centre, un cristal bleu clair, électrique, pulsait comme un cœur vivant. « Il faut… que je prenne sa magie. C’est la seule chance de sauver notre peuple », dit-elle, ses yeux emplis de larmes et de courage. Je voulus protester, mais elle posa un doigt sur mes lèvres. « Laisse-moi… pour eux. »
Je l’embrassai une dernière fois, le goût salé des larmes mêlé au sien. Puis elle planta son doigt dans la pointe du cristal. Le sang coula, rouge vif, avant que la lumière ne l’engloutisse. La magie entra en elle, brûlante, dévorante. Je savais qu’elle payait un prix terrible, mais je ne pouvais rien faire. Quand elle se redressa, ses yeux étaient devenus des éclats d’orage. Elle sortit, et dans un hurlement qui fit trembler la terre, elle anéantit les armées des ténèbres.
Le royaume fut sauvé. Mais Astrid… Astrid s’éteignit dans mes bras, son sourire figé comme une étoile mourante.
Aujourd'hui ...
L’hiver enveloppait Alyra d’un manteau de neige immaculée. Les collines s’étendaient à perte de vue, parsemées de fermes aux toits blanchis et de sentiers gelés où les pas s’imprimaient comme des cicatrices éphémères. Au sud, le château royal dominait la vallée, ses murs rénovés scintillant sous la lumière pâle du soleil. Depuis la grande guerre, seize ans plus tôt, la vie avait repris son cours. Le roi Wilson régnait toujours, désormais marié à Lyria, venue d’une contrée voisine, et son fils James grandissait dans le confort des salons royaux.
Bien loin de ces fastes, Maria vivait dans un hameau tranquille, avec Evenille, sa mère adoptive. Dix-neuf ans, une vie simple, rythmée par les saisons et le travail de la terre. Chaque matin, Maria se levait avant l’aube, enfilait ses bottes et traversait la cour enneigée pour rejoindre l’étable. Les chèvres l’attendaient, leurs souffles formant des nuages dans l’air glacé. Elle les nourrissait, les caressait, puis s’occupait de la traite, ses gestes précis et doux, appris depuis l’enfance.
Maria avait une beauté singulière qui attirait parfois les regards au marché. Ses cheveux blancs, longs et épais, tressés avec soin, descendaient en deux cordons élégants sur ses épaules. Sa peau claire semblait presque se fondre dans la neige, et ses yeux, d’un gris limpide, reflétaient la lumière hivernale. Elle portait souvent des robes simples mais soignées, aux tons doux, qu’Evenille cousait elle-même. Malgré la modestie de leur vie, il y avait chez elle une grâce naturelle, comme une peinture vivante au milieu des paysages d’hiver.
La maison qu’elles partageaient était bâtie en pierre claire, avec un toit couvert de neige et une cheminée qui fumait doucement. À l’intérieur, l’odeur du bois brûlé se mêlait à celle du pain chaud qu’Evenille préparait chaque matin. Les murs étaient décorés de tapisseries usées, souvenirs d’un temps ancien, et d’étagères où s’alignaient des pots de confiture et des herbes séchées.
Le village voisin, à quelques lieues, était un petit paradis hivernal. Les ruelles pavées s’étiraient entre des boutiques aux enseignes sculptées : la boulangerie, où le parfum du pain et des brioches se mêlait à celui des épices ; l’échoppe de tissus, débordant d’étoffes colorées qui contrastaient avec la blancheur des rues ; et la librairie, minuscule, dont les vitres givrées laissaient entrevoir des piles de livres anciens. Des guirlandes de houx et des lanternes dorées illuminaient les façades, et au centre, la fontaine gelée brillait comme un joyau sous le soleil d’hiver.
Maria aimait ces instants simples : marcher dans la neige, sentir le froid piquer ses joues, écouter le tintement des cloches des chèvres. Sa vie n’avait rien d’extraordinaire, mais elle la chérissait. Elle ignorait les intrigues du château, les histoires de guerre racontées par les anciens. Pour elle, Alyra était un royaume paisible, où la magie n’existait que dans les contes que l’on murmure aux enfants.

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