Chapitre 10 : visite nocturne

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Ce soir-là, je n'avais pas mangé, j'avais également demandé à ce que l'on ne me dérangea pas. L'entrevue avec Mora avait fait remonter en moi bien trop d'émotion et de questionnement. Sur moi et mon don comme sur mon frère. Il n'était pas simple d'admettre que mon don n'existait que chez les anges, surtout quand l'on savait grâce à ce même don que ses deux géniteurs étaient bien des humains. La seule conclusion que j'acceptai, c'est qu'il faudrait au plus tôt trouver conseil auprès de mon mentor qui me devait par ailleurs quelques réponses. Si ce don était réservé au ange, comment Marius pouvait l'avoir remarqué et compris ?

Alors que je me morfondais dans mon lit, un bruit attira mon attention. Le léger claquement se fit entendre de nouveau. Je me redressais, interpelée. Le bruit venait de la porte du balcon. Je me levais pour trouver la provenance de ce son. Ce que j'y trouvai me surpris si fort que je restais figée.

L'ange derrière la porte toqua de nouveau pour me sortir de ma stupeur. Hésitante, j'ouvris la fenêtre :

– Que faites-vous là ? Bredouillai-je.

Mora fit une magnifique révérence avant de s'inviter dans mon appartement comme si cette situation était ce qu'il y a de plus banal. Ne sachant pas vraiment comment faire, l'étiquette n'expliquait pas vraiment comment recevoir un ange arrivant en pleine nuit par le balcon. Alors, je l'invitai à s'asseoir sur un fauteuil, m'installant en face de lui, montrant toute ma méfiance. Par politesse, je lui servis néanmoins un verre d'eau.

– Je suis venu vous présenter mes excuses. Je… Mes mots ont largement dépassé mes pensées...

En face de moi, je n'avais pas le mystérieux ange qui s'était lié à mon frère. Non, à cet instant, en face de moi, se trouvait un adolescent cherchant sincèrement à se faire pardonner avec réticence, mais sincérité. Je souris légèrement :

– Je ne pense pas que tu sois le seul fautif. Je tiens également à ce que tu comprennes que ta nature ne me dérange pas. Tes pouvoirs ne me gênent pas tant que tu les utilises avec sagesse. Je ne dirais plus rien vis-à-vis du lien que tu as avec mon frère puisqu'il n'ait pas en danger. Même si j'espère sincèrement que tu feras le bon choix.

Mora porta sur moi un regard que je ne sus interpréter avant de retrouver son sourire poli. Si à présent la tension entre nous était redescendue, la véritable raison de mon rendez-vous précédent avec lui n'était toujours pas résolu.

– Je suis aussi venu, car je pense que notre conversation de cet après-midi est encore inachevée et importante, déclara-t-il en résonance avec mes pensées.

– Je suis du même avis, bien que je doive vous avouer être surprise de cette visite nocturne.

Mora émit un petit rire, il semblait fier de m'avoir surpris. Son comportement enfantin agrandit mon sourire. Je poursuivis néanmoins :

– Je ne comprends pas, commençai-je, reprenant mon calme, si tu es attaché à mon frère, pourquoi poursuivre ta mission. Pourquoi faire en sorte qu'il déteste à ce point les démons ? Cela ne me convaincra nullement de rompre mes fiançailles et cela fera d'autant plus souffrir mon frère.

L'ange serra ses dents me fusillant du regard si rapidement que je crus rêver puis me répondit avec un faux calme :

– Je ne suis pas les ordres. Je pense sincèrement ce que j'ai dit à propos des démons à votre frère et c'est vous qui preniez la décision de le faire souffrir en partant.

J'allais répliquer, mais il forcit le ton :

– Laissez-moi finir ! Je ne dis pas cela pour vous faire du mal. Je cherche juste à vous dire à la vérité. Votre frère s'est toujours senti seul. Avant votre venue, personne ne lui prêtait vraiment attention. Puis, vous êtes arrivé, et lui avait donné l'amour et l'attention dont il avait besoin. Vous lui aviez autorisé à être ce qu'il était pour la première fois depuis longtemps. Vous êtes pour lui un pilier de son bonheur. En partant, vous lui enlevez ce que vous lui aviez si généreusement donné. En faisant cela, vous allez le faire souffrir bien plus qu'il ne souffrait jusqu'à là.

Sachant la véracité de ces propos, mon cœur se serra.

– Je le sais, avouai-je presque honteuse. C'est pour cela que je le poussais à devenir votre ami. Je sais bien que cela ne suffira pas à effacer sa douleur, mais cela aidera à la supporter.

Son regard resta sévère, comme s'il refusait de me pardonner pour mon abandon. Cependant, malgré la culpabilité, je ne me laissai pas démonter et poursuivis :

– Je comprends que vous ne veuillez pas faire souffrir votre ami, mais vous pensez que ce soit juste d'empêcher mon mariage et donc la paix ? Je veux dire, vous croyez réellement qu'il sera heureux définitivement avec la guerre qui plane sur sa tête ?

– Il ne devrait pas avoir à souffrir pour que la sale engeance des démons puisse s'en sortir !

Je n'avais vraiment plus l'impression d'avoir un ange sage en face de moi, juste un adolescent en colère. Devant sa colère, je compris qu'il fallait que je garde mon calme. Lui aussi souffrait.

– Vous semblez convaincu que les démons sont mauvais. En avez-vous seulement rencontré un ? Parler avec lui ? J'ai l'impression que vos deux peuples sont en guerre depuis longtemps, bien plus longtemps que la guerre qui est en cours. Êtes-vous sûr que votre vision n'est pas faussée par cela ? Je trouve toujours étrange de juger tout un peuple sur des préjugés. Je veux dire, je vois bien que rien que dans ce château, aucun humain n'est semblables. Pourquoi il en serait différent avec les autres peuples ?

– Et qu'en savez-vous, humaine ? Vous pensez pouvoir juger tout un peuple après en avoir rencontré un seul représentant ?

Je lui fis un sourire :

– Bien sûr que non. Cependant, il est pour moi la preuve que tous les démons ne sont pas mauvais. Et pourquoi il serait le seul à être bon ? Cela est fort improbable, vous en conviendrez.

La mâchoire de mon interlocuteur se tendit. Cependant, je dus reconnaître qu'il avait la force d'esprit de calmer sa colère pour m'écouter. Je continuais, sentant que j'étais proche de la victoire :

– Et quand bien même, les démons étaient réellement des montres, penses-tu vraiment que rester en guerre soit bénéfique pour les humains et encore plus pour Alistair ?

Ma question l'interpela.

– Nous les humains n'avons aucune chance de gagner cette guerre, surtout sans aide. En un siècle de guerre, l'empire a perdu tellement. La famine commence à décimer autant que les combats, beaucoup n'ose plus enfanter par peur de voir leur enfant périr à leur tour. La pauvreté n'a jamais été aussi grande. Le peuple est au bord de la révolte et pour de bonnes raisons. Mais si vous voulez des raisons en ce qui concerne votre protégé. Alistair fait partie de la famille impériale, vous croyez qu'il adviendra quoi de lui si le peuple se soulève ? Et même si cela n'arrive pas, savez-vous qu'en tant que troisième prince, il y a peu de chance d'hérité de quelque chose. Pour lui, la seule manière de se démarquer, c'est un rentrant dans les ordres ou dans l'armée. Et vous connaissez comme moi son choix. Il souhaite rentrer dans la cavalerie. Quand il sera en âge, il se rendra lui-même sur les champs de bataille de la guerre que tu cherches à maintenir. C'est vraiment ce que vous souhaitez ? Ne trouvez-vous pas cela injuste, que pour une guerre qui est favorable seulement aux anges, ce soit notre peuple qui souffre ?

Mora se crispa de plus en plus tout au long de mon discours. J'espérais sincèrement que son amour pour mon frère soit plus fort que sa haine factice pour les démons. Pourtant, le silence s'installa sans que l'ange réagisse. Je m'inquiétai un instant, je n'avais plus d'argument et j'espérais avoir été convaincante.

Après de longues minutes de silence, l'ange finit de me regarder avec détermination :

– Je suis prêt à renoncer totalement à ma mission, mais je ne pense pas que cela empêchera d'autre ange de venir tenter de perturber ce mariage.

– Et comment comptent-ils s'y prendre ? Demandai-je avec empressement.

Mora hésita. Il baissa les yeux.

– Pour l'instant, ils cherchent à savoir si vous êtes vraiment la fille de l'empereur...

Il semblait honteux dans cet aveu, ce qui me fit sourire :

– Parce que si je ne le suis pas, le mariage tombera à l'eau sans même qu'ils aient à réagir.

– Vous avez compris. Il y a peu de chances que les démons ne se rendent pas compte de l'arnaque.

– Et pour l'instant, ils en sont ou de leur recherche ?

Mora fronça les sourcils. Il devait être perturbé par ma décontraction et mon grand sourire.

– Pour l'instant, j'enquête sur la disparition d'une lavandière quelques mois avant votre apparition.

– Cette lavandière qui a le même nom que moi, n'est-ce pas ?

– En effet, grommela l'ange dans l'incompréhension devant mon ton enjoué. Cependant, vous n'avez ni son physique ni son caractère. J'en avais conclu que vous n'êtes pas elle.

– Vous leur avez déjà fait part de vos conclusions, dis-je en essayant de camoufler ma déception.

– Non, mais vous ne pouvez me demander de mentir, ils le sentiront.

– Je te demande pas de leur mentir, je suis vraiment Elayne la lavandière. Il faut leur dire !

J'eus le droit à un nouveau regard intrigué. Il ne devait pas comprend pour quelle raison j'étais si heureuse de ne pas être un membre de la famille impériale, moi qui venais de lui faire une leçon sur l'importance de la paix. Cependant, j'avais bien compris que je ne pouvais pas lui en dire plus. Après un grand sourire, je le serrais dans mes bras devant le grand soulagement que je ressentais :

– Ne me pose pas plus de question. Il faut juste que tu saches que je suis vraiment une pauvre lavandière. Maintenant, je te parlerais plus du complot des anges pour réduire à néant la paix. Et toi, je te confie, mon frère.

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