Chapitre IV

8 minutes de lecture

Lorsque Eve fêta ses dix-huit ans, elles avaient pris la décision, Mademoiselle Perrault et elle, de connaître d'avantage la bourgeoisie citadine et tout ce qu'il s'y disait. Ainsi, sous couvert de leurs femmes de chambres et lorsque Monsieur Montaigu partait en voyage, elles s'habillaient comme des hommes et passaient beaucoup de temps à Toulouse, lors de conférence que les hommes nommaient « philosophiques ». Elles avaient pu constater que ces conférences étaient loin de l'être et s'étaient demandées s'ils avaient oublié la vrai définition de la Philosophie. En effet, ces réunions étant interdites aux femmes, elles étaient organisés dans le but de parler de celles-ci et de réprimer le peu de droits qu'elles possédaient déjà. Alice et Eve s'étaient à plusieurs reprises insurgées contre les maîtres de conférence, révélant ainsi leurs identités, elles s'étaient faites mettre à la porte, voire même pour la dernière fois, coursées par le portier. Arrivées dans la voiture, elles avaient ri de toutes leurs dents, jusqu'à en avoir le souffle coupé.

Monsieur Montaigu était rentré des Indes quelques temps plus tard.

N'ayant pas fêté l'anniversaire de sa fille, il lui avait ramené de somptueux présents. Il avait aussi rapporté bons nombres de livres et d'objets intrigants.

Un soir, alors de Monsieur et Madame Montaigu étaient montés se coucher, Eve descendit à la bibliothèque car elle n'avait plus rien à lire. Les livres que son père avait amené l'intriguait beaucoup. Elle en feuilleta quelques-uns jusqu'à ce qu'elle tomba sur un livre très petit qui alimenta sa curiosité. A peine l'eut-elle ouvert, qu'elle le fit tomber et rougit de surprise. Sur la couverture en cuir était écrit à la feuille d'or « Le Kâma-Sûtra ». Elle n'avait jamais rien vu de pareil bien qu'elle en comprit le sens. Elle reposa soigneusement le livre sur l'étagère et monta prestement dans sa chambre. Elle écrivit un pli à son amie, lui priant de la retrouver le lendemain afin de lui montrer quelque chose de surprenant et d'indécent.

Au petit matin, elle envoya le domestique porter sa lettre. Quelques heures plus tard, Mademoiselle Perrault arriva à cheval, les yeux brillants de curiosité et dans un état d'excitation telle une enfant la veille de Noël.

- Bonjour ma chère amie ! s'exclama-t-elle, quelle affaire pressente m'a valu un pli de si bonne heure ce matin ?

Alors que le palefrenier emmenait sa monture, elle baisa Eve sur la joue et celle-ci lui demanda la plus grande discrétion.

- Je t'ai fait venir ici car j'ai fait une découverte des plus surprenante hier soir, comme je te confie tout et que tu es plus âgée, je me suis demandée si tu connaissais quelque chose sur le sujet, et je t'ai donc fait venir dans ce but.

- Mais pourquoi tant de secrets Eve ? Serais-ce quelque chose d'intime ? demanda-t-elle avec une curiosité encore plus grande.

- Ne dis plus un mot et suis moi dans la bibliothèque tant que Père est dans le jardin.

Elle la suivit jusque dans la bibliothèque, et lorsque Eve lui tendit un petit livre, elle ne comprit pas.

- Quoi ? Grand Dieu, mais tu m'as fait venir pour un petit livre ? dit-elle d'un ton déçu.

- Ouvre-le et tu verras que je ne t'ai pas faite déplacée pour rien, lui répondit-elle calmement.

S'asseyant toutes deux dans des voltaires, Mademoiselle Montaigu observa son invitée au moment où elle ouvrit l'ouvrage.

Les yeux rivés sur les pages, les tournants l'une après l'autre avec un regard rempli de surprise. Eve continua de l'observer, jusqu'à ce qu'elle ferme le livre et le pose sur le bureau. Elles se regardèrent dans les yeux, silencieuses.

C'est alors que Mademoiselle Perrault éclata de rire. Elle ne pouvait plus s'arrêter et le regard ébahit de son amie la fit rire d'avantage.

- Ma chère Eve, réussit-elle à dire enfin, tu es ma plus précieuse amie et je t'admire sincèrement. Tu es tellement amusante que je pourrais littéralement mourir de rire. Je vois à ton regard que tu ne comprends rien de ce je dis, je vais t'expliquer... J'étais surprise au début car je n'avais jamais vu de livre expliquant cela. J'imagine que tu n'as jamais reçu de leçon sur le sujet non plus, comme tu m'avais racontée que Mademoiselle Verchère ne t'avait enseignée que la soumission d'une femme. Je sais donc de quoi il s'agit et tu as bien fait de me faire venir, il est tant que je t'apprenne ce que tu dois savoir. Ce livre parle de l'amour, ou plus précisément ce qui se passe entre un homme et une femme. Le Kâma-Sûtra, comme il se nomme, indique que les désirs de la femme doivent être respectés, et qu'il s'agit là d'une condition à son épanouissement nécessaire ; le Kâma-Sûtra refuse les mariages forcés, l'union physique devant être précédée d'abord par une union intellectuelle entre les deux partenaires. C'est ce que tu as vu, l'amour entre deux être qui s'aiment et se respectent. Nous avons encore du chemin à faire, les Hindoux sont plus avancés que les français dans ce domaine on dirait ! s'exclama-t-elle.

- Je comprends, dit Eve rassurée, il n'y a donc rien d'indécent là-dedans, bien au contraire...

- En effet, et ton père comme le mien font partie des hommes qui respectent cela ! C'est vraiment une bonne chose ! rit-elle.

- Je ne veux pas le savoir s'exclama-Eve gênée, l'intimité de mon père ne me regarde pas mais ça me rappelle en effet quelque chose qu'il m'avait dit quand j'étais plus jeune. Il souhaite que je trouve un homme qui me respectera, donc il a eu cette philosophie bien avant d'acheter ce livre.

- Le voyage ouvre l'âme et l'esprit... Voilà qui est dit, si nous allions nous promener, je serais ravie de t'en apprendre plus sur le sujet, proposa gaiement Alice.

- Oui avec joie, et tu me confieras comment tu as appris tout ce que tu sais, renchérit la plus jeune.

Elles passèrent le reste de la journée à parler d'amour, d'hommes et de liberté.

Quelques semaines plus tard, Louis-Philippe, ayant finit sa semaine d'étude, revint à La Tour d'excellente humeur. Lors du dîner, Monsieur et Madame Montaigu l'interrogèrent sur ce qui avait pu le rendre aussi joyeux. Il avait attendu le repas pour annoncer à sa famille qu'il avait passé son diplôme la semaine précédente, sans en avertir personne, afin de ne pas étendre son angoisse. Il l'avait réussi et avait même obtenu une recommandation du directeur, qui lu iconseillait de se rendre à un grand cabinet d'avocat à Cannes, où se trouvait bons nombres d'avocats expérimentés, de tout âge.

La famille fêta cette heureuse nouvelle comme il se dû.

La semaine suivante, Louis-Philippe prépara ses valises pour partir à Cannes. Les adieux furent douloureux car Monsieur Montaigu ne reverrait pas son fils d'aussitôt. En effet, les mois passèrent et le père ne reçu qu'une ou deux lettres disant que son fils avait fait bon voyage, qu'il s'était établi dans un petit appartement d'où il voyait la mer, qu'il était heureux et que le travail allait bon train. Seulement, il ressentit la solitude de Louis-Philippe dans ces lettres et cela l'affecta particulièrement.

Mais trois mois plus tard, un nouveau pli de celui-ci arriva, il s'agissait plus exactement d'une sommation pour un mariage. Monsieur Montaigu laissa exploser sa joie et en fit part à toute la famille .Il envoya une lettre prioritaire dans lequel il acceptait avec bonheur les termes respectueux de son fils mais sous condition de rencontrer l'heureuse élue. Comme Louis-Philippe avait beaucoup de travail en tant que nouvel avocat, il pria sa famille de venir le rejoindre à Cannes où il leur louerait une maison.

Eve et Emma furent comblées de ce séjour à la mer, c'était la première fois qu'elles la voyaient.

L'heureuse élue se nommait Mademoiselle Léopoldine Rochefort, elle était la fille d'un huissier parisien. Elle s'était marié en 1844 à vingt-et-un ans avec un architecte du même âge. Il s'étaient installer à Cannes la même année, dans le but de travailler sur de nouvelles constructions du bord de mer, avec l'aristocratie anglaise. Au bout de trois années, Mademoiselle Rochefort avait surpris son mari en plein adultère. Elle mit tout en œuvre pour divorcer, mais les preuves manquaient et il niait tout. Louis-Philippe fut en charge de son dossier, cela prit un an, mais une enquête approfondie pu révéléles réelles intentions de l'architecte. Il voulait s'accaparer la fortune de sa femme. Louis-Philippe ne put le supporter, se remémorant les mésaventures de sa jeune sœur, il mit tout en œuvrepour délivrer cette pauvre femme des serres de son mari. Le procès fut gagner. Cela faisait plusieurs mois que Mademoiselle Rochefort et lui éprouvaient l'un pour l'autre une admiration et un amour sincère. Ils laissèrent passer plusieurs mois et décidèrent enfin de le dévoiler à leurs familles.

Le mariage dura trois jours et deux nuits, les familles Rochefort et Montaigu venant de très loin, s'étaient réunis dans la plus grande convivialité et avaient pu tisser des liens forts. La fête fut somptueuse, la famille Montaigu revint à La Tour charmé de ce mariage.

- Alors ma chère fille, ton tour viendra-t-il enfin ? demanda Monsieur Montaigu souriant.

- Cela m'étonnerait fort, Père... souffla Eve désespérée. Vous savez comme moi que beaucoup d'hommes n'aiment pas les filles qui ont de la culture et un esprit d'indépendance comme le mien...

- En effet, rit-il, mais tous les hommes ne sont pas idiots et j'ai confiance, tu rencontreras certainement quelqu'un de bien, tu verras ! 

Eve commença ses études de bouquetière et aida beaucoup sa belle-mère à la Grande Maison de Toulouse.

Elle étudiait avec ardeur et voyait régulièrement Mademoiselle Perrault pour se changer les idées. Elle n'avait donc point le temps de se préoccuper de trouver un mari.

Cinq années s'étaient écoulées assez tranquillement.

Un beau matin au début de l'été, Eve partit très tôt de la maison afin de passer son diplôme de fleuriste. Elle arriva à l'école de Toulouse, de la meilleure humeur et en sortie tout aussi ravie. Elle avait étudié avec tant d'acharnement qu'elle ne pouvait qu'avoir réussi. Madame Montaigu l'attendait à la sortie et la félicita pour son entrain jovial.

Deux semaines plus tard, Eve reçut une lettre lui demandant de venir à l'école pour recevoir son diplôme en main propre, délivré par le directeur de l'institution. Monsieur et Madame Montaigu l'accompagnèrent afin de partager avec elle ce moment solennel, et ils revinrent tous trois heureux et prêt à fêter cela dignement. La belle-mère et la belle-fille convinrent qu'Eve devrait pratiquer à la boutique pendant deux ans et qu'après, celle-ci deviendrait la maîtresse du lieu car Madame Montaigu, lassée de toutes ses années de labeur, avait décidé de rendre le tablier et de voyager avec son mari.

Les années passèrent très rapidement, Madame Montaigu fit le changement de maîtresse de la Grande Maison et Eve pu s'acquitter de sa tâche de maîtresse bouquetière avec encore plus de sérieux. Elle prit peu de temps après une apprentie qui lui rappela avec quelle ardeur et passion elle avait étudié l'art floral.

Du haut de ses vingt-cinq ans, elle n'avait toujours pas eu l'occasion de rencontrer de prétendant et Alice était elle aussi dans cette situation. Ainsi, elles étaient souvent surnommées « les vieilles filles » dans leur petite ville de Revel, car à leurs âges, les gens estimaient qu'aucun homme ne pourrait supporter ces femmes au naturel indépendant. Elles s'en moquaient bien et riaient de ces réflexions absurdes.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Luluciole Grillon ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0