Chapitre IX
Elle avait apporté à sa toilette plus de soin encore que de coutume et s'était préparée de la meilleure humeur du monde à conquérir tout ce qui pouvait encore lui résister dans ce cœur, convaincue qu'une seule soirée devait en venir à bout. Elle avait relevé ses cheveux en laissant quelques boucles pendre et après s'être faite deux tresses jointes le long de sa tête, elle y accrocha des petites roses blanches en tissu, alternées de petites perles blanches. Elle mit une robe bleue sombre ornée de fleurs blanches brodées et de dentelles cousues au décolleté, jointent par un nœud papillon, ainsi qu'un collier de perles blanches et des boucles d'oreille assorties. Elle enfila une cape à capuche bleue foncée et descendit rejoindre son père et sa belle-mère prêts à partir. Madame Montaigu remarqua cette toilette faite avec soin et se demanda si le jeune Defontenay était l'objet de cette attention. Son père la complimenta et ils prirent la route de Belcanjac.
Lorsqu'elle pénétra dans le salon, Gabriel Defontenay eût le souffle coupé tellement il la trouva belle. Eve eut les compliments de ses amies et de sa sœur.
Monsieur Defontenay lui présenta son neveu, Monsieur Jourdain arrivé le jour même des Alpes. C'était un homme qui possédait une belle physionomie mais dont la prestance dégageait un orgueil sans limite. Madame Defontenay s'empressa de dire à Eve que c'était un jeune homme célibataire qui avait hérité d'une fortune léguée par ses pauvres parents disparu en mer. Elle leurs proposa de faire plus ample connaissance ce qui piqua au vif Monsieur Montaigu. Gabriel Defontenay s'approcha d'eux d'un air gêné, lorsque ses parents se dirigèrent vers les autres invités afin de présenter les Montaigu. Les autres familles présentes étaient issues de la bourgeoisie allemande et néerlandaise. C'était avant tout, des clients de Monsieur et Madame Defontenay qui étaient venus à Lille en entendant parler de leur bonne réputation de décorateurs d'intérieur. Ils étaient devenus intimes avec le temps et avaient été ravis de pouvoir venir visiter le sud de la France grâce à leurs hôtes.
Pendant ce temps, Monsieur Jourdain ne cessait de se pavaner devant Mademoiselle Montaigu. Gabriel Defontenay paraissait mal à l'aise. Son cousin était un homme imbu de lui-même qui rabaissait constamment les femmes.
- J'ai appris que vous aviez vingt-cinq ans. Comment se fait-il que vous ne soyez pas mariée ? demanda-t-il avec familiarité. Une femme de votre rang et de votre âge devrait être mariée et avoir au moins deux enfants si ce n'est plus !
- Je crois que ce n'est pas une question à poser à une dame Jourdain, intervint Defontenay stupéfait.
- Ne vous en faites pas Monsieur Defontenay, lui dit-elle avec sollicitude, puis s'adressant à Mr Jourdain calmement ; je n'en ai pas eu l'occasion Monsieur, les études et le travail prennent beaucoup de mon temps.
- Les études et le travail dites-vous ? interrogea Monsieur Joudain surpris. Et bien au moins quand vous serez mariés cela ne vous sera plus d'aucune utilité ! s'exclama-t-il.
Eve fut extrêmement choquée, le constatant, Gabriel Defontenay, au comble de la honte, s'éclaircit la gorge et la pria de rejoindre ses parents qui commençaient à s'attabler. Après avoir accompagné Eve, il retourna auprès de son cousin et lui demanda de s'attabler à l'autre bout de la pièce, avec Monsieur Langlais et lui.
- Pourquoi donc ? interrogea Mr Jourdain niaisement.
- Car Mademoiselle Montaigu va sans doute vouloir passer un peu de temps avec sa sœur et ses amies, feignit-il.
- Tu as raison mon cousin, et puis de-là ou je m'assoirai, je pourrais aisément la regarder.
- Tu es toujours très confiant, souffla Defontenay entre ses dents.
Monsieur Jourdain n'entendit pas. Il se plaça donc de façon à pouvoir observer Mademoiselle Montaigu tout au long du dîner ce qui irrita Gabriel Defontenay. Monsieur Langlais avait observé toute la scène.
Dès qu'elle tournait la tête, le regard de Eve se posait toujours sur celui de Mr Jourdain. Elle se retourna vers sa sœur.
- C'est invraisemblable, il le fait exprès pour m'écraser de son mépris ! dit-elle à voix basse.
- En effet ma pauvre sœur, remarqua Emma, mon mari m'a confié que Monsieur Jourdain n'était certes pas l'homme le plus méchant du monde, mais il manquait sérieusement de bon sens... Ne prête pas attention à lui, tu mérites quelqu'un qui t'admire pour ce que tu vaux.
Le regard de Madame Langlais se posa alors sur Monsieur Defontenay qui parut surpris, puis sur son mari qui lui fit un sourire. Elle le lui rendit. Eve tourna aussi la tête et Monsieur Jourdain, levant soudain la tête de son assiette lui sourit. Elle se retourna promptement de nouveau vers sa sœur.
- Tu vois Gabriel je te l'avais dit, se vanta-t-il, elle fuit mon regard !
- Ce n'est pas très bon signe, se moqua-t-il.
- Bien sûr que si voyons ! Une femme qui fuit ton regard, éprouve forcément de l'admiration pour toi, prends-en de la graine cher cousin ! s'exclama-t-il.
Monsieur Langlais pouffa dans sa serviette ce qui n'échappa pas à Defontenay, qui se retint de rire à son tour en mettant son poing devant sa bouche.
Madame Defontenay invita les Montaigu à se joindre à leurs amis et à eux pour faire une visite à Toulouse toute la journée du lendemain. Eve pria Madame Defontenay de l'excuser de son absence car elle préparait toujours les commandes de fleurs coupées le dimanche pour la semaine suivante. Monsieur Gabriel Defontenay entendit toute la conversation et se décida de ne pas se rendre à Toulouse au cas où Mademoiselle Montaigu ait un ennui.
Il n'adressa à Eve qu'un mot ou deux durant la soirée. Il avait encore honte des propos de son cousin et surtout, elle l'intimidait tellement qu'il n'arrivait plus à parler correctement en sa présence. Elle remarqua d'ailleurs tout ce stratagème et conclue, désappointée, qu'il ne voulait certainement pas d'elle et qu'elle s'était complètement trompée sur ce qu'il éprouvait. Cela l'attrista beaucoup et fort heureusement, ses parents décidèrent de rentrer chez eux.
- Qui a-t-il mon enfant ? Es-tu souffrante ? s'enquit son père inquiet, une fois qu'ils furent partis.
- Non papa, tout va bien, je pense que c'est la fatigue et j'ai peut-être trop abusé des pâtisseries.
Rassuré, son père parla avec sa belle-mère de la soirée, Eve tourna la tête vers la fenêtre et pleura en silence. Elle était affligée et avait le cœur brisé. Comment avait-elle pu être aussi confiante ? Elle monta dans sa chambre et s'endormit aussitôt, épuisée partant d'émotion.
Chez les Defontenay, les invités partis, et lorsque la maisonnée fut couchée, Gabriel et Charles s'installèrent dans le bureau de Monsieur Defontenay père, afin de déguster un Whisky écossais offert par Monsieur Montaigu.
Langlais avait constaté que son ami n'avait cessé de regarder discrètement Mademoiselle Montaigu tout au long de la soirée.
- Je sais qu'elle te plaît malgré sa petite taille ! Cela crève les yeux ! s'exclama subitement Charles.
- De qui parles-tu ? demanda-t-il surpris.
- Mais de Mademoiselle Montaigu bien sûr ! De qui d'autre veux-tu de que je parle ? Tu n'as qu'elle dans la tête, taquina Langlais.
- En effet, répondit Defontenay incapable de se contenir, ce qui étonna Langlais ; mais ce n'était qu'au tout début de nos relations que je la trouvais petite, car cela fait maintenant plusieurs mois que je la tiens pour une des plus belles femmes de ma connaissance.
- Alors fais-le donc ! Vas lui demander sa main sans plus tarder, conseilla Charles en lui faisant un grand sourire.
Ils trinquèrent en l'honneur de l'amour et d'un prochain mariage.
Gabriel Defontenay descendit prendre son déjeuner très tôt ce matin-là, mais il ne mangea rien. Il avait passé une nuit des plus pénibles, trop angoissé et agité pour trouver le sommeil. Dès que ses parents eurent quitté la maison pour rejoindre les Montaigu à Toulouse, il enfourcha sa bicyclette afin de ne pas éveiller les soupçons des domestiques et prit le chemin de La Tour.
Eve était loin de se douter ce qu'il allait se passer. Elle entendit la sonnette retentir alors qu'elle était plongée dans la rédaction d'une liste pour les commandes de fleurs coupées de la semaine suivante. Elle irait les chercher le lendemain au marché avec son apprentie. La domestique fit entrer Defontenay dans la véranda.
Après plusieurs minutes de silence, il s'approcha d'elle, en proie à une agitation manifeste.
- Mademoiselle Montaigu, déclara-t-il à bout de souffle, hier soir, j'ai entendu la conversation de nos parents sur leur projet de ce matin. Je me suis donc permis de vous rendre visite, vous sachant seule...
Il fit une courte pause puis reprit la parole, la voix chevrotante.
- Je vous prie de m'excuser de m'ingérer dans votre vie privée... Il fallait vraiment que je vous vois.
Son visage manifestait une grande angoisse.
- Voilà... dit-il après un court silence. Cela fait plusieurs semaines et même plusieurs mois que j'ai réalisé mes sentiments à votre égard.
Après une profonde inspiration il continua :
- Je ne suis plus maître de mes émotions. Permettez-moi de vous dire avec quelle ardeur je vous admire et je vous aime. A peine avais-je posé mon regard sur vous, j'ai su que c'était vous que j'aimerai et chérirai pour toujours. Petit à petit, plus je vous connaissais et plus j'entretenais le feu ardent, qui me consume un peu plus chaque fois que nous nous rencontrons. J'ai donc l'espoir que mes sentiments ne sont pas vains et que les vôtres sont plus ou moins identiques aux miens, car je peux vous assurer qu'il m'a fallu un courage de tous les diables pour venir et tout vous dévoiler.
Eve sourit et rougit, puis baissant la tête, Monsieur Defontenay perdit contenance.
- Si vos sentiments ne sont pas réciproque, dit-il avec tristesse, alors je n'aurais plus qu'à regretter les miens et à me taire à jamais sur le sujet... Je souhaite donc savoir, si vous consentiriez à devenir ma femme, continua-t-il d'une voix chaleureuse, mon égale, mon alliée, ma partenaire et mon amie pour le reste de votre vie ? Vous êtes l'amour de ma vie mon adorable Eve !
Le silence se fit, Eve eu enfin le courage de parler.
- Je ne puis fixer ni le jour, commença-t-elle d'une voix tremblante, ni l'instant, ni même le lieu où je suis tombée irrémédiablement amoureuse de vous Monsieur. Mais je sais qu'un seul regard sur vous a suffit à conquérir mon cœur à jamais. Oui ! s'exclama-t-elle les larmes aux yeux, ce serait un honneur pour moi, de vous donner ma main Gabriel Defontenay.
Après un court silence, sans doute le temps de réalisé son bonheur, Gabriel laissa exploser sa joie.
- Vous me voyez ravi et vraiment heureux de cette réponse. Je suis un homme comblé à présent !
- Et moi donc ! J'espérai depuis si longtemps cette demande que je suis vraiment la plus heureuse ! s'exclama-t-elle.
- Je suis certain que mes parents ne s'attendent sans doute pas à cela, étant donné que ma mère se persuade toujours que je vais épouser Henriette ! Vos parents le seront aussi sans nul doute ? Et votre sœur ? Comment devrions-nous leur annoncer ? s'enquit-il.
- Ne vous inquiétez pas mon cher, le rassura Eve avec douceur, tout se passera bien et en temps voulu, ne vous en faites pas.
Le lendemain, en s'éveillant, Eve était toujours en proie aux pensées et aux réflexions qui avaient fini par lui fermer les yeux la veille.
Lorsque Alice et Emma vinrent prendre le thé, avant que la soirée organisée par les Montaigu ne débute, Eve leur annonça la nouvelle, en leur demandant de la garder secrète de tous, jusqu'au lendemain. Elles furent très heureuses et ravies de cette annonce et furent saisies par la plus vive tendresse fraternelle pour l'une et amicale pour l'autre.
Pendant le repas, les fiancés officieux gardèrent le silence. Ce soir-là, peu après que Monsieur et Madame Montaigu se soient retirés dans la bibliothèque pour programmer un nouveau voyage. Elle vit Monsieur Defontenay se lever pour les suivre, et ce spectacle la plongea dans une extrême agitation. Elle craignait un refus de son père, comme il lui avait refusé jadis la main d'un homme mauvais, mais elle avait espoir que les observations de ses parents portent leur fruit et qu'ils soient émus tous deux par la nouvelle. Elle resta abîmée dans la détresse, jusqu'au retour de Gabriel, dont le sourire lui apporta un peu de réconfort. Il s'approcha de la table où elle était assise avec Henriette et Chléore, et sous couvert d'admirer son ouvrage,
- Allez voir votre père et votre belle-mère, souffla-t-il tout bas, ils veulent vous voir dans la bibliothèque.
- Bien que j'eus remarqué un léger penchant de ton côté, commença Monsieur Montaigu, j'ai été surpris par sa demande. Es-tu sûr de vouloir épouser cet homme ? Mon enfant, ne m'inflige pas la douleur de te voir incapable de respecter la personne avec laquelle tu vas partager ta vie. Je connais ton caractère Eve. Je sais que tu ne pourras pas être heureuse, ni en règle avec toi-même, si tu n'as pas une sincère estime pour ton mari ! Je lui ai tout de même donné mon consentement, il est si aimable que l'on ne peut rien lui refuser mais es-tu vraiment sûr de ton choix ?
Il se tut, le regard plein d'angoisse.
- L'aimes-tu vraiment mon enfant ? demanda Madame Montaigu. Est-il aussi bien qu'il en a l'air ? Je le sais timide et bon, et j'ai tout de même remarqué l'admiration qu'il te porte, mais j'espère qu'il est plus que cela ! L'exemple du précédent mariage de ton père et du mien doit t'avoir fait réfléchir sur le sort d'un couple à notre époque ?
- Je l'aime, je vous jure à tous deux que je l'aime, répondit Eve les larmes aux yeux. Il m'est plus cher que tout. Il est parfaitement aimable et souhaite mon bonheur autant, voire même plus que vous ! Il souhaite que je travaille en tant que bouquetière et que je garde votre boutique comme prévu, si cela me plaît, de cultiver ma joie dans cette voie, afin que je puisse avoir de quoi vivre s'il venait à disparaître, il n'y voit aucun inconvénient. Iris, il est meilleur que le mari de votre fille ! rit-elle. Il est l'objet de ma flamme, ce n'est pas un caprice de petite fille, ni un amour passager, je peux vous l'assurer !
Madame Montaigu sourit.
- Ma foi, ma chérie, déclara son père, je n'ai plus rien à ajouter. S'il en est ainsi, il te mérite. Je n'aurais pu, mon Eve, accorder ta main à quelqu'un qui n'en fut pas digne, et tu as eu l'exemple il y a quelques temps déjà. Nous attendrons donc les trois sommations du notaire, et j'espère de tout cœur que Monsieur et Madame Defontenay les accepteront aussi. S'ils n'acceptent pas ou avec difficulté nous te promettons de vous aider pour les convaincre.
Eve était soulagée d'un grand poids ; et après s'être recueillie pendant une demi-heure dans le calme de sa chambre, elle put aller rejoindre les autres, passablement sereine. Tout était encore trop neuf pour qu'elle eût recouvré sa gaieté, mais la soirée s'écoula fort tranquillement, le temps leur apporterait la douceur de l'aisance et de la familiarité.
Le lendemain matin, l'heureuse nature de Eve lui ayant permis de retrouver très vite son entrain habituel ; alors qu'ils se promenaient seuls, elle somma Monsieur Defontenay de lui expliquer comment il avait jamais pu s'éprendre d'elle.
- Je vous ai trouvé belle, avec une vive intelligence, un savoir, une répartie et un franc-parler que je ne connue à aucune autre jeune-femme. Vos idées, votre liberté et habileté à vous exprimer, votre indépendance me rendaient admiratif mais m'effrayaient un peu... soupira-t-il, le regard dans le vague. Je me remémore tous ces moments, quand nous nous connaissions à peine et ceux où nous avons appris à mieux nous découvrir. Cela me rappelle à quel point vous me faisiez peur mais m'obnubiliez à la fois. Je vous observais et me sentais bien en votre présence mais en contradiction je ne m'approchais pas trop ou détournais le regard afin que vous ne vous aperceviez pas de mon attirance envers vous. J'étais tellement timide que cela me bloquait complètement et me tourmentait beaucoup. Lorsque nous avons commencé à nous parler à la première réception de Charles, malgré mes paroles déplacées, vous ne vous êtes pas affligée ni emportée contre moi. Petit à petit, en m'entretenant avec vous j'ai continué à vous découvrir. J'étais de plus en plus heureux, mon amour pour vous ne faisait que grandir mais cela me faisait peur. Il y a une chose pour laquelle je vous remercie du fond du cœur, c'est que vous m'avez aidé en venant à des réceptions et des bals où je vous conviais alors que je passais seulement que quelques minutes avec vous. J'étais si heureux et cela me procurait un immense plaisir que vous veniez même si je n'étais pas démonstratif. J'avais la sensation que vous ne m'aimiez pas du tout parfois, mais je continuais à y croire, je continuais à espérer que vous m'aimiez juste un peu... En attendant vous commenciez à me changer, je ne vous serai jamais assez reconnaissant pour tout... Aujourd'hui je ne regrette rien, ajouta-t-il après une profonde inspiration. C'est le début de beaucoup d'aventures que nous partagerons. Je tiens énormément à vous et je suis comblé. J'espère arriver à changer ma timidité afin que notre amour perdure et grandisse toujours. Je souhaite plus que tout votre bonheur et ferais tout pour que vous soyez heureuse mon adorable Eve, vous êtes un être si cher à mes yeux...
Il se tourna vers Eve, le regard rempli de joie et un sourire des plus charmants. Eve sourit à son tour, les joues rougies par ces merveilleuses confidences, puis dit sur le ton de l'humour.
- Mes qualités se trouvent désormais sous votre protection, et il vous appartient de les exagérer autant que vous le pourrez ; et moi, en contrepartie, je dois me ménager des occasions de vous taquiner et de vous quereller le plus souvent possible ; je vais commencer sans attendre, en vous priant de me dire pourquoi vous avez tant rechigné à vous déclarer enfin, taquina-t-elle ; puis reprenant d'un air plus sérieux ; qu'était-ce donc qui vous poussait à me fuir lors de notre séjour chez les Langlais et lorsque vous êtes venu ici pour dîner ? Pourquoi, surtout lors des festivités chez vos parents, aviez-vous l'air de ne point vous soucier de moi ?
- Lors de notre séjour chez nos amis je refusais d'admettre que vous me plaisiez et ainsi je me forçais à ne pas vous parler dans l'espoir où cela s'estomperait mais c'était totalement impossible. Quand vos parents nous avaient invités à dîner mes amis et moi, je me suis senti gêner de penser que nous devenions des amis de plus en plus intime. Quant à la réception chez mes parents, je n'ai point eu l'air de me soucier de vous parce que vous étiez grave et silencieuse après la présentation avec mon cousin, dont les propos éhontés m'ont ridiculisé. Et du fait que vous ne m'avez, par la suite, donné aucun encouragement, que heureusement j'ai surmonté le lendemain. Votre patience et votre franchise m'ont permis de réaliser qu'il fallait que j'agisse si je ne voulais pas vous perdre. Je craignais que nos chemins se séparent avec votre travail à la Grande Maison de Toulouse. J'étais heureux pour vous mais chamboulé, je me suis encore défilé après cette conversation avec Jourdain. Je ne cessai de penser à vous, de me questionner sur moi-même, voire de désespérer de mon comportement. Relativement peu de temps après votre départ de notre maison et suite à une taquinerie de Charles, je prie enfin la décision de venir chez vous en sachant que vous seriez seule, cela a été très dur et angoissant, d'où cette situation de malaise lorsque je me suis déclaré ! dit-il d'une voix nerveuse et gênée.
- J'étais fort embarrassée, lors de la soirée chez vos parents, pour vous, vis à vis de votre mère et de Monsieur Jourdain, car j'ai remarqué que vous étiez très nerveux et tendu dès que votre mère ouvrait la bouche pour parler. J'étais aussi embarrassé car je ne savais plus si je vous plaisais ou non, ajouta Eve.
- J'étais aussi beaucoup embarrassé, et je dois vous dire que j'ai passé une nuit d'angoisse avant de venir chez vous ! s'exclama Gabriel.
- Vous auriez pu me parler davantage quand je me suis approchée de vous au banquet, cela aurait certainement atténué mes doutes et vos angoisses ! taquina-t-elle.
- Un homme qui aimait moins aurait pu parler plus, et je ne pense pas que cela les aurait atténués, bien au contraire je vous assure, renchérit-il.
- Quel dommage que vous ayez toujours une réponse raisonnable à m'opposer, et que je sois, moi, suffisamment raisonnable pour la croire ! dit Eve en souriant.
Ils rirent tous deux de bon cœur.
Gabriel Defontenay annonça à ses parents qu'il organisait une petite réception le soir même afin d'annoncer une bonne nouvelle.
La joie qu'exprima Mademoiselle Defontenay, en apprenant une nouvelle aussi exquise, fut aussi sincère que celle qu'éprouvait son frère à la lui annoncer. Les Defontenay furent ravis bien que très surpris ; surprise venant surtout de Madame Defontenay qui, comme Gabriel l'avait prédit, était persuadée de ses prochaines fiançailles avec Henriette Langlais. Mr Jourdain dont la surprise égalait celle de sa tante, étant convaincu, dans son orgueil, d'avoir séduit Eve, et c'était promis de lui faire une demande en mariage avant la fin de son séjour. Mademoiselle Montaigu et Gabriel Defontenay rirent en aparté de la remarque de Monsieur Jourdain.
Monsieur et Madame Defontenay acceptèrent les trois sommations de leur fils et de leur future belle-fille. Le mariage serait célébré avant la fin de l'année, le temps de réunir les deux familles et de faire les préparatifs.
Gabriel Defontenay se rendait régulièrement à Toulouse pour voir sa fiancée. Chaque fin de semaine il lui rendait visite à La Tour et elle venait se promener dans le petit bois de Belcanjac lorsqu'elle en avait l'occasion. Monsieur Montaigu put bientôt assurer à sa fille que Gabriel Defontenay s'élevait d'heure en heure dans son estime.
- J'admire énormément mes deux gendres, déclara-t-il. Je crois que j'aurai autant d'affection pour ton mari que pour celui de Emma !
Un après-midi, alors que Gabriel Defontenay rendait visite à sa fiancée ; celle-ci lui demanda de la suivre dans la bibliothèque.
- Je vous prie de m'excuser mon ami, j'ai du courrier en retard et j'ai une tante, que je n'ai pas le droit de négliger plus longtemps.
- Ce n'est pas un problème ma chère, j'en profiterai pour lire quelques livres de votre père, dit Defontenay souriant.
Eve commença alors à rédiger sa lettre.
Ma chère tante,
Je vous ai laissé longtemps sans nouvelles et je vous prie de m'en excuser. La boutique de fleurs accapare beaucoup de mon temps, mais il y a aussi une nouvelle chose, dont je vous ai souvent parlé dans mes précédentes lettres, qui occupe davantage mon esprit.
A présent, supposez tout ce que vous voudrez ; lâchez la bride de votre imagination ; laissez votre esprit vagabonder à sa guise parmi toutes les fantaisies que peut vous inspirer le sujet, à moins de me croire bel et bien fiancée, vous ne risquez guère de vous tromper. Il faut que vous m'adressiez vite une autre lettre dans laquelle vous ferez de lui un éloge car il est vraiment exceptionnel et courageux d'avoir eu le désir de m'épouser ! Je suis la plus heureuse de France, je ris tout le temps de toutes mes dents. Monsieur Defontenay me prie de vous transmettre toute l'affection qu'il peut réussir à me soustraire. Et il aura un immense plaisir à faire votre connaissance avant le mariage, nous l'espérons ! Il faut dire que je lui ai souvent parlé de vous.
Je suis tout de même encore inquiète des nouvelles que vous m'aviez envoyé il y a de cela quelques semaines déjà. L'épidémie de choléra sévit-elle toujours ? Vos domestiques et vous même êtes-vous bien à l'abri ? S'il s'étend beaucoup trop venez donc vous réfugiez chez nous, nous avons suffisamment de place pour tout le monde ! Avec toute mon affection, etc.
Les mois s'écoulèrent très promptement. Toute la famille et les amis des mariés furent réunis. Eve et Gabriel avaient décidé de se marier à Revel afin que tous les invités puissent rentrer chez eux sans encombre, en effet les jours de grand froid commençaient déjà à arriver.
L'église de Revel n'était pas très spacieuse mais tout le monde pu y trouver sa place. La cérémonie se déroula fort agréablement, Gabriel était agenouillé à côté de sa femme face à l'hôtel illuminé et fleuri.
Le banquet et le bal se déroulèrent au château d'Encastel. Lorsque le jour commença à baisser, les mariés montèrent en voiture en direction de Toulouse.
Tous les convives furent ému de leur départ, Monsieur Montaigu et Madame Defontenay étaient certainement les plus chamboulés de tous.
Lorsqu'ils arrivèrent à l'entrée de leur nouvel appartement le propriétaire les attendait avec un jeu de clef. Il était très tard, les domestiques avaient déjà déchargé les bagages et allumé les cheminées.
Fatigués de la journée et du voyage, Monsieur et Madame Defontenay allèrent se coucher.
Au milieu de la nuit, Eve sentit un souffle sur sa cheville. C'était comme un frôlement, comme-ci une main glissait en montant sur son mollet, sa cuisse... Avant de s'introduire sous sa chemise de nuit pour effleurer la peau douce de son entrejambe. Elle se mordit la lèvre au moment où une vague de chaleur l'envahissait. Une autre main écarta ses cuisses pour le plus grand bonheur de Eve, qui aspirait tant à être désirée, aimée, devenir une femme. Un gémissement s'échappa de sa bouche, ce qui la tira de son sommeil. Sa poitrine palpitait au rythme des battements de son cœur. Elle ouvrit les yeux et aperçu Gabriel dans le noir, dévêtit et fou de désir. Il lui ôtât ses dessous et sa chemise de nuit, tandis que son dos se cambrait sous les caresses de plus en plus hardies. Elle allait s'abandonner corps et âme à la passion. Les mains de Gabriel convergèrent pour explorer les mille et un secrets de son intimité. Elle frissonna, incapable de résister davantage. Submergée de plaisir, elle pencha la tête en arrière et entrouvrit la bouche, tandis que ses yeux se fermèrent. Elle repensa aux livres qu'elle avait lus et fit découvrir à son mari ce qu'elle en avait appris. Defontenay fut surprit mais conquit. Ils s'adonnèrent à une passion charnelle, tant ils se plaisaient et s'aimaient. De cette union, ils espérèrent voir naître un enfant.
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