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Andrew pointait son doigt vers la poitrine de Numéro 1. Son excitation était palpable. Les autres tentèrent de voir ce qui provoquait une telle émotion, mais ils durent attendre les explications de l’anthropologue pour comprendre la situation.
— Numéro 1 porte une série de scarifications sur le haut de la poitrine, juste sous la clavicule droite !
Andrew fixait une succession de motifs étranges formés par une suite de petites cicatrices. Les autres avaient du mal à distinguer de quoi il s’agissait, mais Andrew était bien trop occupé pour leur décrire ces marques. Frénétique, il enchaînait les photos. Il savait que ces clichés lui permettraient de réaliser une étude complète des symboles. Tout en ajustant les réglages de son appareil entre deux prises, il parlait pour lui-même :
— C’est bizarre tout de même, car la pratique des scarifications est très rare chez les peuples autochtones indonésiens…
Sinta annonça que le peson était installé et s’approcha de Dewi, qui avait enfilé des gants et s’apprêtait à prélever des cellules épithéliales à l’intérieur de la bouche de Numéro 1. Stella lui ouvrit délicatement la bouche pour dégager l’intérieur de la joue et faciliter le prélèvement. Dewi mit un masque chirurgical avant de sortir un écouvillon stérile de son emballage et de commencer à frotter doucement l’intérieur de la joue. Il fallait s’assurer de bien décoller des cellules, afin de ne pas réduire le prélèvement à de la salive. C’était indispensable pour récupérer de l’ADN.
Une fois l’opération terminée, il tendit l’écouvillon à Sinta, qui portait également un masque et devait faire sécher l’échantillon à l’air libre pendant quelques minutes, puis l’insérer dans un tube stérile. La jeune femme devait ensuite soigneusement annoter le tube en précisant la date, l’heure et la localisation.
Dewi était passé à la joue droite de Numéro 1. En plus des cellules buccales, l’équipe avait prévu plusieurs types de prélèvements d’ADN afin de maximiser les chances de réussite.
Dewi remit le second écouvillon à Stella, puis prit une seringue stérile dans son sac. Il inséra l’aiguille dans le pli du coude de Numéro 1 et réalisa cinq prélèvements sanguins stockés dans des tubes contenant un anticoagulant. Il tenait beaucoup à ces échantillons, car le sang contient de l’ADN de bonne qualité et permet d’effectuer différentes analyses biologiques complémentaires, telles que la recherche du groupe sanguin, l’étude des anticorps, la détection de parasites, et bien d’autres encore. Vu la taille de Numéro 1, il fallait cependant éviter de prélever une trop grande quantité de sang afin de ne pas l’affaiblir.
— Il ne faudra pas oublier de lui laisser des bananes pour compenser ces prélèvements, lança Stella.
— Oui, un peu comme on le fait dans les centres de don du sang ! lui répondit Dewi avec un sourire. Ne t’inquiète pas pour lui, j’ai été raisonnable.
Stella récupéra les tubes et les plaça dans la glacière dédiée afin de les maintenir à 4 °C jusqu’au retour à Pagar Alam.
— Et maintenant, notre assurance vie ! lança Dewi.
Il sortit une carte FTA de son étui. Il désinfecta l’index droit de Numéro 1 avec un coton imbibé d’alcool, puis, à l’aide d’une lancette, piqua rapidement la peau. Il laissa tomber deux gouttes de sang directement sur les cercles imprimés, sans les étaler. La carte changea légèrement de couleur en absorbant le sang. Dewi la posa ensuite à plat sur la petite table pliable que Sinta avait installée.
— Une fois séchée, cette carte permet de conserver de l’ADN pendant des années, dit-il, si on la protège bien. C’est notre sauvegarde, au cas où les tubes se perdraient ou s’abîmeraient.
Il prit ensuite un deuxième échantillon sur une autre carte, pour plus de sûreté. Leur découverte allait certainement déclencher une immense effervescence dans le monde scientifique, et disposer de plusieurs échantillons d’ADN permettrait de refaire les analyses et de tout vérifier plusieurs fois.
Stella devait collecter des cheveux et des poils de Numéro 1. Le corps du petit homme des bois était un peu plus velu, sur le tronc et les membres, qu’un humain, et ses cheveux étaient touffus. Il portait une petite barbe peu dense, et le reste de son visage était couvert d’un duvet. La pilosité de ses épaules, avant-bras et de son dos était assez marquée.
— Je n’ai que l’embarras du choix pour les prélèvements de poils, lança Stella avec un petit rire.
Dewi, aidé de Sinta, installa le générateur de rayons X portatif et le capteur plan numérique qui l’accompagnait.
— Avec ce matériel de vétérinaire, nous allons pouvoir radiographier notre ami sous tous les angles ! dit-il d’un ton satisfait.
Il s’agenouilla à côté du corps endormi, tendit le bras et ajusta le petit générateur en direction du thorax. Le capteur plan, glissé soigneusement sous le corps de Numéro 1, était relié sans fil à la tablette. Un léger bip signala l’émission brève du faisceau. Quelques secondes plus tard, l’image apparut à l’écran : parfaitement nette, comme à l’hôpital. La cage thoracique, fine et arquée, se dessinait en filigrane, ses proportions trahissant une espèce aux proportions déroutantes. Dewi et Sinta poursuivirent l’examen en radiographiant les membres, puis le reste du corps de l’homme sauvage.
Stella avait entouré le bras gauche de Numéro 1 avec le brassard d’un appareil permettant de mesurer la tension artérielle et le pouls. Les enregistrements étaient stockés dans la mémoire de l’appareil, et une alarme se déclencherait si le rythme cardiaque s’emballait ou, au contraire, chutait.
Elle s’adressa ensuite aux autres :
— Je vous propose qu’on procède à la pesée maintenant. Cela permettra à Dewi de calculer la dose du produit antagoniste de l’Hypnoryn que nous injecterons à Numéro 1 pour hâter son réveil. Nous avons estimé son poids entre 23,5 et 24,5 kg. J’espère que nous ne nous sommes pas trompés de beaucoup. On le saura bientôt.
Les quatre scientifiques soulevèrent délicatement Numéro 1 et le posèrent sur le harnais. Après s’être assurés que son poids était bien réparti sur l’ensemble du dispositif, ils le soulevèrent pour le suspendre au crochet du peson.
Dewi se tourna vers Sinta :
— Tu as bien taré le système de pesée avec le harnais, n’est-ce pas Sinta ?
— Oui, répondit-elle, un peu vexée par cette question. Bien sûr !
Après quelques instants, le système se stabilisa et indiqua un poids de 24,1 kg.
— Ouf ! lança Stella, soulagée. Notre estimation était correcte ! Bravo Dewi et Sinta pour ce travail avec les modèles morphométriques.
Les intéressés sourirent modestement, mais appréciaient le compliment à sa juste valeur. Une erreur sur le poids de Numéro 1 aurait pu entraîner des conséquences tragiques à la suite de l’anesthésie.
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