23
Dissimulée dans la végétation, Stella tenait la tablette entre ses mains, guettant le moindre mouvement de Numéro 1. À côté d’elle, Andrew surveillait le sol en grommelant. Les scientifiques venaient d’être mordus par une petite troupe de fourmis qu’ils avaient dérangée en s’installant.
— Aïe ! Fait chier ! grogna Andrew. Il ne manquait plus qu’une attaque de fourmis !
Stella le fit taire d’un ton sec :
— Chut ! Regarde, Numéro 1 bouge !
Le petit homme remua les jambes, puis tenta de s’asseoir. Il échoua une première fois et se laissa retomber au sol. Après une minute d’immobilité, il s’élança et réussit à se redresser.
— Regarde, Andrew, il est assis sur ses fesses !
Stella avait les larmes aux yeux.
— Je n’arrive pas à croire qu’on a réussi… et que ce pauvre gars va bientôt retrouver sa famille.
Andrew réalisa à quel point la tension avait été forte pour Stella. Il comprit qu’il avait traversé cette aventure à toute vitesse, sans jamais vraiment prendre de responsabilités. Il avait même critiqué certains choix faits par ses collègues. Eux s’étaient impliqués du début à la fin, et la décision d’endormir Numéro 1 avait certainement été très difficile à prendre.
Il voyait maintenant l’angoisse de Stella et comprenait à quel point elle tenait à le protéger. Il fut pris d’un élan de tendresse pour son amie, mais le moment ne se prêtait pas à ce genre de démonstration. Il était, de toute façon, absolument épuisé par le décalage horaire et toutes les émotions vécues depuis son arrivée. Il réalisa alors que la fièvre était remontée : il était brûlant.
Numéro 1 se relevait lentement. Debout, il s’avança vers un gros rocher et s’y appuya. Il ne semblait pas très stable et tournait lentement la tête de gauche à droite. Stella pleurait à présent doucement, tant l’émotion était forte.
Ignorant qu’on l’observait, Numéro 1 se gratta l’abdomen et bâilla. Il essaya ensuite de faire quelques pas. Lentement, il marcha sur quelques mètres, s’arrêta, fit demi-tour, puis revint vers le rocher. Il attrapa alors les bananes.
— Il n’a probablement pas faim à cause des produits qu’il a ingérés, murmura Stella. Il va sans doute les emporter avec lui. Vas-y, Numéro 1 ! Rentre chez toi !
Mais Numéro 1 ne bougeait plus. Il reposa les bananes sur le rocher et avança la main vers le collier que Dewi avait attaché autour de son cou.
— C’est l’instant de vérité. On va vite savoir s’il accepte la balise !
L’Orang Pendek tira doucement sur le collier. Il sembla désemparé en sentant que l’objet résistait.
— S’il tire plus fort, le collier va lâcher. C’est fait exprès, murmura Stella.
Mais Numéro 1 abandonna. Son bras retomba, vaincu par la fatigue. Il reprit les bananes, et sa petite silhouette s’éloigna lentement à travers la végétation tropicale.
Stella se tourna vers Andrew :
— On a perdu le contact visuel. Attendons un peu pour ne pas prendre le risque de l’effrayer, puis allons récupérer la couverture de survie et le relais wifi.
Je ne pense pas que Dewi et Sinta soient déjà à la voiture, mais je vais essayer de les appeler sur le téléphone satellite.
Elle achevait sa phrase lorsqu’elle s’aperçut qu’Andrew était à moitié endormi à côté d’elle.
— Andrew, tu dors ou quoi ? Ce n’est pas le moment !
Stella lui tendit sa gourde dans l’espoir de lui redonner un peu de tonus. Son inquiétude monta d’un cran lorsqu’elle réalisa qu’Andrew était brûlant de fièvre.
— Ne bouge pas. Je vais chercher la couverture de survie et le relais, puis on se met en route pour rejoindre la voiture.
Andrew acquiesça d’un signe de tête résigné. Il avait compris, lui aussi, que ses forces l’abandonnaient.
Le retour à la voiture leur prit deux fois plus de temps qu’à l’aller. Andrew avait pris de l’aspirine pour faire tomber la fièvre, ce qui l’avait un peu soulagé, mais il avançait terriblement lentement. Stella marchait à ses côtés, l’encourageant régulièrement. L’anthropologue essayait de se concentrer sur le chemin du mieux qu’il pouvait.
Stella et Dewi étaient en contact grâce au téléphone satellite. La jeune femme se tenait ainsi au courant de la position de Numéro 1, que Dewi suivait en direct via la balise.
— Allô ? Dewi, tu m’entends ? Où est Numéro 1 maintenant ?
Un grésillement retentit, puis la voix de Dewi sortit du haut-parleur appuyé à l’oreille de Stella.
— Il s’éloigne lentement vers l’ouest. Il a fait quelques courtes pauses, mais il ne semble pas hésiter sur son itinéraire. Je veux dire : il ne fait pas de zigzag. Au contraire, j’ai l’impression qu’il repère très bien son chemin dans la végétation. Il semble que les sédatifs ne lui posent pas de problème particulier.
Stella eut de nouveau les larmes aux yeux. Numéro 1 était sauvé !
— C’est formidable ! Nous avons réussi, Dewi ! Nous avons réussi !
La voix de Dewi, déformée par la liaison satellite, lui répondit :
— Oui, je crois que nous avons fait un sans-faute. Il faudrait maintenant que Numéro 1 accepte de garder la balise le plus longtemps possible.
Ce qui m’inquiète, c’est l’état d’Andrew. Comment va-t-il ?
Stella tourna la tête vers son ami.
— L’aspirine a fait baisser la fièvre, mais son état n’est pas terrible. Tu vas bientôt pouvoir t’en rendre compte toi-même : nous nous rapprochons de la voiture.
Andrew avançait en serrant les dents, en silence. Chaque pas lui coûtait un effort immense.
Les oiseaux faisaient un joyeux vacarme dans la canopée.
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