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Stella relança plusieurs analyses de données complémentaires, en marmonnant qu’elle n’y croyait toujours pas. Pourtant, les résultats convergeaient tous. Identiques. Incontestables.

Après des heures de tests et de vérifications, elle attrapa son téléphone et composa le numéro de Dewi, priant pour qu’il se trouve dans une zone bien couverte par Telkomsel. Au bout de trois sonneries, une voix ensommeillée, presque grognée, répondit :

— Dewi Hutabarat, saya dengar.

Il n’avait visiblement pas reconnu le numéro appelant.

— Dewi, c’est moi, Stella. Il faut que je te parle.

— OK… J’espère que tout va bien à Pagar Alam.

La communication était mauvaise ; la voix de Stella arrivait par à-coups, avec un écho désagréable.

— Ça va. Mais ce n’est pas pour ça que je t’appelle. J’ai passé la matinée sur les analyses statistiques... et je crois bien que je sais qui est Numéro 1.

Une bouillie sonore lui répondit. Réseau calamiteux.

Enfin, la voix de Dewi se fit plus nette :

— Quoi ? Tu as identifié l’Orang Pendek ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Ce n’est pas un Orang Pendek ! Enfin... je veux dire que je pense avoir découvert qui est Numéro 1, et donc d’où vient la légende des Orang Pendeks.

— Mais enfin, qu’est-ce que tu racontes, Stella ? Je ne comprends rien !

L’excitation faisait monter la voix de Dewi d’une octave.

— Grrrr... chhhhhhh...

— Je veux dire que la morphologie de Numéro 1 — la forme et la taille du crâne, celle de ses pieds, toutes les mesures — tout pointe vers une espèce connue.

— Quoi ? Tu plaisantes ? Une espèce déjà décrite ? Ha ha !

Stella entendit Dewi répéter la conversation à Sinta, suivi de quelques éclats de rire. Elle grogna.

— Hé ! Les deux Bataks têtus, vous avez fini de vous moquer de moi ?

Plus de rires. Puis Dewi répondit, plus calme :

— Désolé, Stella. On est crevés, c’est tout. Dis-nous ce que tu as trouvé.

Elle inspira profondément.

— OK. Écoutez bien. J’ai analysé les la forme des os de Numéro 1 à partir des radios que nous avons prises. J’ai retourné les mesures dans tous les sens. Et à chaque fois, je retombe sur les mêmes données que celles qui ont été publiées pour une espèce bien connue. Cela signifie que Numéro 1 pourrait en faire partie. Et que les légendes sur les Orang Pendeks viennent peut-être de là.

Elle faisait traîner son récit volontairement, ménageant son effet. Ce qu’elle avait découvert était si énorme, si improbable, qu’elle ne pouvait pas l’annoncer autrement que comme une bombe. Et, dans un sens, la qualité déplorable du réseau ajoutait encore à la tension dramatique.

Elle s’apprêtait à lâcher sa révélation quand elle réalisa que la communication venait d’être coupée.

— Et merde…

Elle posa son téléphone sur le bureau. À côté, son ordinateur clignotait : batterie vide.

— OK, OK, pas de panique. Je te branche et on n’en parle plus.

Stella parlait rarement aux objets, sauf à lui. Son ordinateur avait droit à un traitement spécial.

Une fois l’appareil branché, elle se leva, traversa la cuisine, et se dirigea vers la chambre d’Andrew. S’il était réveillé, elle pourrait lui raconter sa découverte.

— Peu de chance, se dit-elle en frappant doucement. Il est complètement raide…

Pas de réponse. Elle entra.

Après tout, elle jouait les infirmières et les infirmières ne toquent pas aux portes, non ?

Andrew dormait profondément. Son front était brûlant. Elle appliqua le thermomètre frontal : 41 degrés.

La situation empirait. Il allait falloir appeler un médecin, et elle préférait que Dewi s’en charge — elle craignait de ne pas se faire comprendre dans un centre médical peu habitué à l’anglais.

Elle redescendit au salon, s’installa devant son bureau et tenta de rappeler Dewi. En vain. Il était 11 h du matin.

— Ils ne devraient pas tarder à retrouver du réseau en s’approchant de Bandar Lampung, pensa-t-elle. Il me rappellera.

Elle se tourna vers la petite table où était installé le moniteur de suivi de Numéro 1.

— Où es-tu, mon grand ?

Elle se connecta, zooma sur la zone d’émission de la balise. Numéro 1 avait légèrement bougé, mais restait dans le même périmètre, à quelques kilomètres de la caméra 41, sur les pentes boisées d’un massif situé à l’ouest mont Dempo. Le volcan formait à cet endroit un petit ensemble de monts séparés par des vallées.

Stella consulta l’atlas. La zone était escarpée, forestière, non cultivée. Rien n’indiquait la présence de grottes — ou alors, elles étaient modestes. Elle tenta une recherche en ligne, mais le réseau traînait des pieds. Comme d’habitude.

La sonnerie de son portable la fit sursauter. Elle s’en empara aussitôt.

— Dewi ?

— C’est moi. On est arrivés à l’université. Sinta est au labo avec les échantillons. Tu voulais me dire quoi, tout à l’heure ? Je n’ai rien compris.

Enfin, une ligne claire. Une voix nette. Stella inspira profondément.

— Je sais qui est Numéro 1. Ce n’est pas une espèce inconnue, ni une créature mystérieuse comme l’Orang Pendek.

Dewi se tut. Elle sentit le moment.

Alors elle lâcha sa bombe :

— Numéro 1 est un homme de Florès. Homo floresiensis.

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