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— Cette cavité n’est pas très haute… mais d’un autre côté, Numéro 1 et les siens sont si petits, alors pourquoi pas ? répondit Andrew en s’essuyant le front.

La pluie continuait à tomber. Tout le monde était trempé, moite, épuisé. Pourtant, l’excitation les tenait debout.

Après un quart d’heure d’observation silencieuse, Dewi se tourna vers les autres :

— Il n’y a aucun mouvement. On pourrait rester ici toute la journée, ça ne changerait rien. Si c’est vraiment leur abri, on ne peut pas en apprendre davantage en restant sous la pluie. Il faut entrer.

— Tu as raison. Allons-y. Je n’en peux plus d’attendre, répondit Stella en rangeant ses jumelles.

Ils se levèrent, et commencèrent à descendre vers l’abri.

Bien que la végétation fût ici moins dense qu’au cœur de la forêt, elle ralentissait leur progression. Le terrain glissant et irrégulier, les buissons, les pierres humides : tout s’acharnait à les retarder.

Enfin, ils débouchèrent sur la petite dépression rocheuse qu’ils avaient repérée. Il s’agissait d’un renfoncement relativement étroit d’à peine un mètre de haut, à flanc de falaise. L’ouverture, masquée par des arbustes et des buissons, était peu visible depuis la pente.

— Très pratique, murmura Stella. La végétation pousse exactement là où il faut pour masquer l’abri. Une protection naturelle parfaite...

— Je me demande si ce camouflage n’a pas été entretenu par Numéro 1 et les siens. C’est rudimentaire, mais très intelligent, répondit Andrew, à voix basse.

Ils restèrent là, figés devant l’entrée, comme paralysés. L’eau ruisselait sur leurs visages, leurs vêtements, leurs sacs.

Puis Stella fronça les sourcils :

— Vous sentez cette odeur douceâtre ?

— La pluie fait souvent ressortir des odeurs étranges, répondit Dewi, machinalement.

Sinta et Andrew s’avancèrent les premiers, leurs petites lampes à la main. Ils furent bientôt rejoints par les deux autres. Ils s’arrêtèrent sur le seuil à demi courbés, les sens tendus.

Au fond de la cavité, quatre silhouettes étaient blotties les unes contre les autres, adossées à la paroi. Elles ne bougeaient pas.

Un souffle s’étrangla dans la gorge de Stella.

— Ils ne sont pas partis… murmura-t-elle.

Elle fit un pas, puis un autre. Les autres la suivaient, pétrifiés. L’odeur était désormais insupportable, lourde, nauséabonde, saturant l’air. Les corps étaient allongés côte à côte, sur une paillasse de branchettes et de feuilles. Ils étaient recouverts de morceaux de cuir grossièrement cousus entre eux, formant une couverture primitive.

Des fruits flétris étaient posés près du plus grand corps.

C’était lui. Numéro 1.

La forme caractéristique de sa calvitie, son crâne aux proportions uniques, le désignaient sans équivoque.

Il avait les yeux fermés. Une écume brunâtre avait séché autour de sa bouche, traînant sur le sol en une traînée sinistre.

Stella tomba à genoux, comme fauchée.

— Non... non... c’est pas possible… balbutia-t-elle.

Andrew s’agenouilla à ses côtés, la bouche entrouverte, le souffle court. Ses doigts tremblaient, crispés, et des larmes silencieuses glissaient déjà sur ses joues.

— C’est incompréhensible... bredouilla-t-il. Qu’est-ce qui s’est passé… pourquoi…?

Dewi, debout, vacillant, observait les corps avec un mélange d’horreur et d’incrédulité.

Le second cadavre, plus petit, était celui d’une femme. Ses yeux ouverts fixaient la paroi, sans vie. Une mousse brune coulait elle aussi de ses lèvres.

À côté d’elle gisait Numéro 2, nettement plus jeune. Le quatrième, un enfant minuscule, à peine plus grand qu’un bébé humain, était recroquevillé contre les autres.

Le silence tomba comme une chape. Même la pluie semblait s’être éloignée.

— Voilà d’où venait l’odeur… pensa Andrew à voix haute.

— C’est l’odeur de la mort.

Sinta tourna lentement la tête vers Stella et Dewi, les yeux dilatés, son visage ravagé.

— Mais… pourquoi ? Pourquoi sont-ils tous morts ?... C’est horrible… C’est...

Elle n’acheva pas. Elle éclata en sanglots, enfouissant son visage entre ses mains, secouée de spasmes.

Les faisceaux des lampes tremblaient, découpant la scène d’ombres vacillantes. On distinguait deux courtes sagaies posées à l’arrière de la cavité, quelques feuilles de bananier ayant contenu de la nourriture, un crâne de sanglier disposé avec soin sur une pierre plate, et plusieurs éclats de pierre taillée.

Andrew se redressa légèrement. Il se tourna vers eux, les yeux rougis.

— Tout est de ma faute...

Ses mots déchirèrent le silence, pourtant le jeune homme parlait bas. Chaque syllabe raisonnait de façon lugubre dans l’abri de numéro 1.

— C’est moi qui ai apporté le virus… Le COVID. Je l’ai transmis à Numéro 1.

Il s’interrompit, étouffé par les sanglots.

— Il est tombé malade. Il a contaminé les siens. Ils sont tous morts. Même le petit...

Il dirigea le faisceau tremblant de sa lampe vers l’enfant.

Leurs visages blêmes reflétaient la même horreur muette.

Ils avaient voulu observer sans nuire, comprendre sans interférer. Ils avaient imaginé que la science suffisait à tout encadrer. Sans le vouloir, ils avaient rejoué, à petite échelle, le drame des Amérindiens, exterminés non pas par les armes, mais par les germes.

Et cette fois, c’était un virus échappé d’un laboratoire militaire Chinois. Un virus contre lequel Numéro 1 et les siens n’avaient malheureusement aucune défense.

Les larmes d’Andrew se mêlaient à la pluie sur son visage. Il n’y avait plus rien à dire. Plus rien à sauver. Ils restèrent là, dans l’abri silencieux, sous les regards morts des derniers représentants de l’hommes de Florès.

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