19
La sonnerie vrilla les oreilles d’Andrew à 4h30. Il se leva péniblement et se passa de l’eau sur le visage. Il avait mauvaise mine et se sentait fiévreux. Après avoir avalé un comprimé d’aspirine, il se dirigea vers la cuisine, où les autres étaient déjà à l’œuvre.
La lumière crue du néon baignait un pot de café et une théière posés au centre de la table. Andrew salua brièvement les trois autres et proposa son aide pour le petit-déjeuner. Stella lui demanda d’apporter la grande coupe de fruits posée sur la table du salon. Tout alla très vite, dans un silence presque pesant. À cette heure, chacun semblait plongé dans ses pensées.
Stella, tendue, finit par rompre le silence :
— Je propose qu’on prenne la voiture pour gagner du temps sur la première partie du trajet. Puisqu’une battue est prévue demain, la discrétion ne compte plus vraiment. On ira plus vite. Je n’arrête pas de penser à Numéro 1, seul, endormi quelque part dans la nature, à la merci de n’importe quoi… ou de n’importe qui.
Les trois autres partageaient son inquiétude. Le stress était palpable. Après avoir vérifié le matériel et rempli les gourdes, l’équipe quitta la maison et s’engouffra dans le 4x4, conduit par Dewi.
Ils suivirent la route jusqu’au point le plus proche de la caméra 41. Après une heure de trajet, ils garèrent le véhicule au bord de la piste. Dewi plaça bien en vue le logo de l’université de Lampung derrière le pare-brise.
Ils poursuivirent à pied, empruntant des sentiers plus ou moins tracés, en direction de la caméra — et peut-être de Numéro 1. La lumière naissante éclairait faiblement les scientifiques qui avançaient en file indienne.
Avant de parler, Andrew inspira profondément. Il peinait à suivre le rythme et choisit ses mots avec soin.
— Si je comprends bien, on suit un itinéraire complètement différent de celui d’hier ?
Dewi, qui marchait juste devant lui, répondit à mi-voix :
— Oui. Cette fois, on arrive par le sud. C’est plus court depuis la piste carrossable.
Ils atteignirent la clairière de la caméra 41 environ une heure plus tard. Le jour était levé, et les oiseaux faisaient un boucan assourdissant. D’un coup d’œil, ils constatèrent que les bananes et les appâts sucrés avaient disparu.
Chacun scruta les environs. Numéro 1 n’était pas en vue, mais cela ne signifiait rien : il avait pu s’éloigner avant de s’endormir.
Stella alluma la tablette et lança la procédure de connexion. Ses doigts tremblaient.
Enfin, la synchronisation s’opéra. Elle s’écria, soulagée :
— C’est bon, regardez les images ! Il est venu cette nuit !
La caméra l’avait filmé arrivant devant l’objectif, se dirigeant sans hésiter vers les fruits et les cubes de sucre.
— Il a ses habitudes maintenant ! J’ai l’impression qu’il est moins méfiant. Regardez !
Numéro 1 s’approchait de la cache, saisissait un sucre, l’examinait longuement. Il avait toujours eu ce réflexe de scruter ce qu’il mangeait, mais dans le contexte actuel, ce rituel prenait un tour angoissant. La tension monta d’un cran.
Les appâts reconstitués par Dewi ressemblaient trait pour trait à ceux qu’il avait appris à aimer, mais le diable se cache dans les détails. Allait-il détecter une anomalie ? Son instinct le mettrait-il en alerte ?
Un silence oppressant s’abattit sur la clairière. Même les oiseaux, braillards quelques minutes plus tôt, s’étaient tus.
Le souffle des quatre scientifiques se relâcha lorsque Numéro 1 enfourna le sucre drogué dans sa bouche, l’air satisfait. Il s’accroupit, tenant les autres petits cubes dans ses mains.
— Il faut qu’il les mange tous, sinon la dose sera insuffisante, murmura Dewi en s’essuyant le front. Allez, petit, vas-y…
Comme s’il se savait observé, Numéro 1 prit son temps, jouant sans le vouloir avec les nerfs de ses observateurs. Il mâcha un second sucre, tout en balayant les environs du regard. Lorsque ses yeux croisèrent l’objectif, Andrew eut la troublante impression qu’il avait compris. Qu’il les avait percés à jour. Il secoua la tête, chassant ces pensées, et se reconcentra sur l’écran.
Numéro 1 mangea tous les appâts, puis se remit debout. Il se gratta longuement le ventre et, d’un air détendu, attrapa les bananes.
Devant la tablette, les quatre scientifiques guettaient les premiers effets des sédatifs. Rien ne pouvait détourner leur attention. Pas même Numéro 1 s’il était apparu à côté d’eux.
Stella murmura :
— Il faut quelques minutes pour que les molécules agissent. Les premiers signes ne devraient plus tarder…
Comme en réponse, Numéro 1 s’appuya lourdement contre le rocher sur lequel les bananes se trouvaient un instant plus tôt.
— Regardez, souffla Dewi. Il vacille. Ça marche !
Un immense soulagement les envahit.
Numéro 1 s’éloigna lentement et disparut dans la végétation. La vidéo s’interrompit peu après, faute de mouvement détecté.
Dewi indiqua la direction empruntée d’un geste rapide.
— Il est parti par là. Vite !
L’équipe s’élança. Ils se séparèrent légèrement pour couvrir davantage de terrain. Avançant prudemment, ils tentaient de deviner la piste qu’il avait suivie. La végétation dense et les plantes épineuses leur rappelaient cruellement qu’ils n’étaient pas des créatures de la forêt tropicale.
Les minutes passaient, et leur inquiétude se mua en angoisse.
Puis, enfin, le soulagement.
Stella aperçut Numéro 1, allongé près d’un puissant contrefort d’un grand Merawan, recroquevillé en position fœtale.
Ils accoururent. Une vague d’appréhension les traversa. Stella s’agenouilla et posa doucement une main sur son épaule. Sa voix se brisa en se tournant vers les autres :
— Il… son corps est froid.
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