Mirgorod sous la neige
Dans les temps anciens, du temps où il arrivait encore que les vœux fussent exaucés, vivait à Mirgorod une jeune fille nommée Mostella.
Ah, Mirgorod !
Que dire de cette ville accrochée à son rocher face au grand lac, sinon qu’elle existe – et encore, certains jours de brouillard, on pourrait douter même de cela. Les montagnes l’entourent de toutes parts, immenses et immuables, pareilles à d’énormes et majestueux secrétaires de chancellerie endormis sous leurs bonnets de fourrure d’hermine, parfaitement indifférents aux tracas des petits mortels qui grouillent à leurs pieds, ces tristes pétitionnaires qui attendent toute leur vie d’être reçus par l’empereur – souvent en vain, hélas.
La neige tombait sur Mirgorod, elle tombait comme tombent les péchés sur l’âme d’un diacre – abondamment, silencieusement, et avec cette obstination propre aux phénomènes naturels, de sorte qu’on pouvait penser qu’un fonctionnaire céleste, penché sur ses registres, avait inscrit : « Neige : de l’équinoxe d’automne à la Saint-Pantéléïmon, sans interruption notable. » La neige obéissait et recouvrait consciencieusement les tas de fumier gelé dans les cours et les croix du cimetière qui penchaient déjà naturellement vers la terre, comme si elles voulaient murmurer quelque secret aux morts.
La ville dormait, bercée par le vent qui descendait des sommets, et Mostella se tenait à la fenêtre – une vraie fenêtre, notez bien, avec du verre soufflé de Briga, pas ces vessies de porc huilées qu’on voyait encore chez les marchands de la ville basse, non ; du verre épais, bullé, déformant légèrement le monde extérieur. Mostella, donc, se tenait là et contemplait le ciel noir parcouru de tourbillons de flocons blancs.
Derrière elle, dans la même pièce – oh, et quelle pièce ! plutôt petite, basse de plafond, avec des poutres qui vous donnaient envie de vous courber même quand vous êtes assis – derrière elle, dis-je, flottait une odeur de cire chaude mêlée de myrrhe et de bois de pin fraîchement raboté. Car oui, derrière elle, dans la même chambre, reposait Saltator. Les cierges disposés autour de la bière projetaient sur le visage grisâtre du cadavre des ombres tremblotantes. Ses mains étaient croisées sur la poitrine, tenant un petit médaillon en étain.
Les doigts de la jeune fille, posés sur le rebord de pierre, étaient bleuis par le froid qui s’infiltrait, malgré l’épaisseur du mur, par d’innombrables fentes invisibles. Elle avait des doigts de fileuse, avec cette particularité qu’ont les mains habituées au fuseau : le pouce et l’index légèrement écartés, toujours prêts à reprendre le fil de leur ouvrage. Mostella avait l’habitude de tenir la quenouille pendant les longues soirées d’hiver, quand les femmes filaient en écoutant les contes de la vieille Lioudmila, celle qui prétendait avoir vu le domovoï dans sa jeunesse (un petit homme pas plus haut qu’une botte, disait-elle, avec une barbe de mousse et des yeux comme des baies de sureau).
Mais ce soir-là, Mostella ne filait pas.

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