Le puits aux âmes

2 minutes de lecture

Dehors, les cloches de la cathédrale sonnaient les vêpres avec leur habituelle et inharmonieuse lenteur. Mostella comptait machinalement les coups, comme elle comptait autrefois les gouttes de suif qui tombaient du chandelier de son père quand elle était enfant. Mostella regardait la neige tomber et se souvenait.

Elle se revoyait, l’été dernier – mais était-ce vraiment la même année ? Était-ce vraiment possible ?

Eh bien, oui. Oui, c’est bien cet été-là qu’elle l’avait rencontré. Près du puits de la place aux foins. Ah, ce puits ! Il faut que je vous le décrive, car sans lui, rien ne serait arrivé. Maudit puits ! … Mais j’anticipe.

L’été dernier, Mostella était descendue au puits de la place aux foins, c’est-à-dire non pas le puits neuf, celui qu’avait fait creuser le voïvode après l’épidémie de flux de ventre de l’année précédente, mais l’ancien, celui dont l’eau était noire comme de l’encre et qui, disait-on, communiquait avec des rivières souterraines où nageaient des poissons aveugles.

Imaginez donc un puits – jusque-là, rien d’extraordinaire –, mais un puits si profond que lorsqu’on y jetait une pierre, on avait le temps d’en faire trois fois le tour avant d’entendre un « plouf » si distant qu’il semblait sorti des entrailles de la terre. Un puits profond comme les pensées d’un théologien, en somme. Ou peut-être un peu plus, car ces braves gens sont parfois surestimés.

Les eaux de ce puits étaient noires comme de l’encre, et les vieilles femmes – ces créatures estimables, nobles et édentées qui savent toujours tout sur tout et surtout ce qu’elles ignorent –, racontaient qu’au fond vivait un démon qui avalait les âmes des jeunes filles imprudentes. Naturellement, c’était précisément là que toutes les jeunes filles des alentours venaient puiser leur eau.

Les commères y échangeaient leurs venins sous couvert de recettes de conserves, les servantes y minaudaient devant les valets, et les enfants y jetaient des cailloux en faisant des vœux.

Mostella était là, penchée sur la margelle, non pour y puiser de l’eau – elle avait déjà rempli ses deux cruches –, mais pour regarder dedans, comme on regarde parfois dans les yeux d’un inconnu en espérant y trouver quelque chose qu’on ne saurait nommer. L’eau, tout au fond, brillait faiblement, pareille à une pièce d’argent oubliée dans la poche d’un mort. La jeune fille contemplait la profonde noirceur du puits. Qu’y cherchait-elle ? Son reflet ? Son avenir ? Ou bien rien du tout, ce qui est souvent la chose la plus sage à chercher ?

— Eh bien, que crois-tu trouver là-dedans ? retentit tout à coup une voix dans son dos. Les secrets de l’univers ou le denier que tu as perdu la semaine dernière ?

La voix était moqueuse, mais sans méchanceté, et légèrement traînante. Mostella se redressa, ajusta sa coiffe – un geste machinal que font toutes les jeunes filles quand elles sont surprises, comme si l’ordre de leur chevelure pouvait compenser le désordre de leurs pensées –, et se tourna vers celui qui avait parlé.

Annotations

Vous aimez lire Asellus ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0