Les jours qui passent (et autres choses qui ne passent pas)
Les jours passèrent. À Mirgorod, les jours passent toujours, c’est même la seule chose qu’ils sachent faire correctement. Mostella revenait au puits – il fallait bien aller puiser de l’eau, n’est-ce pas ? On peut même dire qu’elle se retrouva près du puits un tantinet plus souvent que nécessaire. Oh, elle avait toujours une bonne raison : l’eau des autres puits avait un goût de fer, le trajet était plus long, elle voulait se dégourdir les jambes, le seau fuyait et il fallait faire plusieurs voyages… Raisons excellentes, raisons parfaitement valables, raisons qui ne trompaient personne, surtout pas la vieille Agafia qui vendait des oignons sur la place et qui voyait tout, entendait tout, et racontait tout avec moult détails à qui voulait l’entendre, et aussi à qui ne voulait pas.
Saltator apparaissait parfois, parfois non. Quand il apparaissait, c’était toujours au moment où elle s’y attendait le moins, surgissant de derrière une charrette ou sortant de l’échoppe du barbier en se frottant la joue. Ils échangeaient quelques mots, jamais plus. Le temps qu’il faisait – toujours le même. La récolte – médiocre, comme souvent. Les ragots de la ville – dame Grünwald avait encore perdu une poule, mystérieusement disparue, probablement volée par le fils Oblomov, ce vaurien bigleux. Des conversations d’une banalité à pleurer, et pourtant Mostella, sans le vouloir – oh, ce “sans le vouloir”, combien il cache de mensonges ! – ne cessait de penser à lui.
La nuit, dans son lit étroit sous les combles, Mostella entendait la voix de Saltator résonner dans sa tête comme un écho obstiné.
Ridicule, se disait-elle en battant son oreiller comme si c’était lui le coupable. Parfaitement ridicule.
Mais le ridicule, c’est le costume que porte l’amour quand il ne veut pas qu’on le reconnaisse.
☽
Un jour, Saltator commença à lui parler longuement des différentes façons de nouer une corde – « Sept nœuds principaux, mademoiselle, et chacun a son usage : le nœud de chaise pour les marins, le nœud de bure pour les moines, le nœud coulant pour… eh bien, pour ceux qui en ont besoin. »
Parfois, il essayait de prendre sa main. Pas brutalement, pas comme ces garçons de la ville basse qui considéraient qu’une fille près d’un puits était une fille à prendre, mais délicatement, comme on essaie d’attraper une luciole ou un papillon. Un geste furtif, presque involontaire, comme si sa main à lui avait décidé toute seule de se rapprocher de sa main à elle. Mais Mostella la retirait toujours, avec ce mouvement brusque qu’ont les chats qui refusent qu’on les caresse.

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