Le ressort brisé

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Mais la nuit suivante, il recommença. Et la nuit d’après. Et celle d’après encore. Chaque nuit, la même danse terrible, sans tambours ni musique, la même lutte contre l’invisible, le même épuisement à l’aube. Les gens commencèrent à murmurer. Possession démoniaque, disaient les uns. Châtiment divin, approuvaient les autres. À l’aube, il s’effondrait, à demi-conscient, murmurant des mots incompréhensibles où revenaient souvent “les nuages” et “la musique des sphères”.

Mostella ne le quittait plus. Elle maigrissait à vue d’œil, ses yeux se cernaient, ses doigts engourdis tremblaient de fatigue et de désespoir. Elle priait du matin au soir.

Mais chaque nuit, Saltator se levait et dansait sa danse de mort.

La septième nuit, Saltator se leva selon sa sinistre habitude. Mais cette fois, il y avait quelque chose de différent dans ses mouvements. Ils étaient plus lents, plus lourds, comme si le marionnettiste invisible se lassait de son jouet. Il sortit dans la rue, sous la lune pleine qui éclairait la neige d’une lumière blafarde. Et il dansa. Il dansa longtemps.

Au milieu d’un tour, soudain, il s’arrêta, comme une horloge dont le ressort vient de se briser. Il regarda Mostella qui, comme chaque nuit, l’avait suivi dans le froid en sanglotant et en se tordant les mains – il la regarda et sembla la voir vraiment, pour la première fois depuis des semaines –, et il sourit. Un vrai sourire, pas une grimace de folie. Puis il s’effondra dans la neige et ne se releva plus.

Mostella se précipita, tomba à genoux à côté de lui, l’enlaça, le serra contre elle. Il était déjà froid – comment peut-on devenir froid si vite ? Et il était léger, si léger ! comme si la danse avait consumé sa substance même. Elle hurla, un cri qui réveilla tous les corbeaux de Mirgorod et les fit s’envoler dans la nuit. Elle s’arrachait les cheveux par poignées entières, griffait son visage jusqu’au sang. Les femmes du voisinage durent la séparer de force du cadavre et la porter, évanouie, dans sa chambre.

Et à présent, Mostella se tenait à la fenêtre, contemplant la maudite neige qui tombait, tombait encore, n’en finissait pas de tomber.

Elle se détourna. Le corps de son bien-aimé était là dans son cercueil, enfin immobile, enfin guéri. Les bougies vacillaient tout autour.

Mostella contempla une dernière fois ce visage. Dans la mort, il avait retrouvé cette expression qu’elle avait surprise un lointain jour d’été – cette mélancolie dévorante, mais apaisée maintenant, comme si la mort était la réponse à la question que posaient les nuages.

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