Minuit et tout est bien
Elle resta un instant devant la bière, suffoquant, tremblant comme un petit arbre tordu par le gel.
Elle embrassa tendrement Saltator sur le front.
Puis, avec cette méticulosité qu’ont les désespérés quand ils préparent leur dernier acte, elle arrangea ses affaires. Plia sa robe de rechange, rangea ses quelques bijoux sans valeur, rédigea une lettre qu’elle déchira aussitôt – que peut-on écrire quand on s’apprête à rejoindre l’éternité ?
Elle prit une corde – une belle corde de chanvre, neuve, achetée la veille au cordier qui s’était étonné : « Pour quoi faire, une si belle corde, ma petite demoiselle ? – Pour attacher des ballots », avait-elle répondu.
Avec des gestes lents, précis, presque sacramentels, elle forma le nœud coulant, celui dont elle avait besoin. Le tabouret de bois était solide. La poutre, capable de supporter le poids d’un corps – elle avait vérifié en y suspendant un sac de grain.
Les heures passèrent. La lune brillait à travers la fenêtre.
Mostella monta sur le tabouret.
Dans la rue, on entendait le veilleur de nuit crier l’heure :
— Minuit ! Tout est bien ! Minuit et tout est bien !
Le tabouret bascula. La corde se tendit. La lune continua de briller.
Dans la rue, quelqu’un passa en sifflotant – probablement un ivrogne rentrant de la taverne, parfaitement inconscient du drame qui se jouait à quelques toises au-dessus de sa tête embrumée.
Les cloches de la cathédrale sonnèrent matines. La neige continua de tomber. Mirgorod dormait toujours (c’était dimanche), bercée par le vent qui descendait des montagnes.
☽
Au matin, on les aura trouvés ainsi. Lui dans son cercueil, elle pendue à sa poutre. On les aura enterrés ensemble – économie oblige, pourquoi creuser deux fosses quand une seule suffit ? On aura pleuré (peut-être), on aura prié (sans doute) : le prêtre aura certainement eu quelques réticences – le suicide est un péché, mais enfin, la pauvre petite, on peut comprendre. Les braves citoyens auront hoché la tête, auront dit que c’était écrit, que ça devait finir ainsi, que d’ailleurs on l’avait bien dit que ce puits portait malheur. On aura raconté leur histoire, en l’enjolivant ou en la simplifiant selon le goût du conteur. Puis on l’aura oubliée. La vie aura continué à Mirgorod. D’autres jeunes filles seront allées puiser de l’eau au puits maudit. D’autres garçons auront fait des plaisanteries plates afin de les séduire. D’autres histoires d’amour seront nées et seront parties en fumée, comme des fleurs de givre sur une vitre.
Et la neige aura continué de tomber sur Mirgorod, effaçant les traces de pas dans les rues, les traces de sang dans la neige, les traces de larmes sur les joues. Comme si rien ne s’était passé. Comme si Mostella et Saltator n’avaient jamais existé.
Ah, Mirgorod ! Que dire, que dire de Mirgorod ?

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