Chapitre 7 : mascarade
Arinna rouvrit les yeux l’instant d’après. Elle fut éblouie par une lumière blanche. Croyant son heure arrivée, elle chercha à rassembler ses derniers souvenirs pour comprendre ce qu’il venait de lui arriver. Elle était allongée au sol et restait immobile le temps que ses yeux se soient habitués à la luminosité.
Deux ombres étaient penchées au-dessus d’elle. Après quelques secondes, leurs visages se firent plus net. Elle reconnut la bibliothécaire et Eren. En voyant le visage de son camarade, la terreur revint saisir son cœur et elle eut un mouvement de recul tout en étouffant un cri dans sa gorge.
— Doucement mademoiselle, n'allez pas vous faire plus mal, s’alarma la bibliothécaire en voyant la lycéenne s’agiter subitement, vous devez vous ménager, vous venez de faire une mauvaise chute.
Arinna leva des yeux incrédules vers la femme qui lui tendit une main pour l’aider à se redresser. La bibliothécaire la fit s’asseoir sur une chaise en restant bien attentive à ce que la jeune étudiante ne s’écroule pas. Arinna fixait Eren d’un regard méfiant, guettant le moindre geste qu’il ferait à son encontre.
— Vous n’avez rien de cassé ?
Le regard d'Arinna se durcit un peu plus. Exactement comme à son réveil après la forêt. Il fallait s’y attendre. Elle aurait voulu détailler chaque blessure qu’il lui avait infligé mais son corps ne portait aucune trace de l’agression qui venait d’avoir lieu. Elle fit alors non de la tête.
— Heureusement que votre camarade vous a rattrapé, souffla la bibliothécaire avec un certain soulagement.
Arinna jeta alors un oeil intrigué à la vieille femme. Comment ça ? Que s'était-il passé selon elle ? Ou selon lui ? Allait-il encore endosser le rôle du sauveur ?
— Tu t’es écroulée sur toi-même Arinna, sans doutes à cause de la chaleur, expliqua Eren avec une voix teintée d’une pointe d’inquiétude, je t’ai rattrapée avant que tu ne touches le sol.
Arinna se pinça les lèvres. Voilà donc le mensonge qu’il avait inventé. Et si elle disait quoi que ce soit, on la traiterait de folle car, de toute évidence, il n’y avait plus aucune preuve de ce qu’il lui avait fait subir.
— Vous voulez qu’on appelle quelqu’un pour vous ramener chez vous ? interrogea la bibliothécaire.
Arinna tacha de réfléchir rapidement. Appeler Xander peut-être ? Et puis elle sentit le regard appuyé d’Eren sur elle, comme s’il était suspendu à ses lèvres. Elle se souvint alors de ses demandes alors qu’il la violentait. Il lui demandait d’appeler à l’aide. Il voulait qu’elle fasse venir quelqu’un. Arinna n’y comprenait rien mais elle avait le sentiment qu’elle devait absolument laisser Xander de côté pour le moment.
— Je vais rentrer en bus, ne vous en faites pas, fit-elle en reportant son attention sur la bibliothécaire.
— Très bien, mais passez d’abord voir l’infirmière scolaire. Elle doit être encore dans son bureau.
— Inutile, je vais bien, répondit Arinna.
Arinna se redressa avec l’aide de la bibliothécaire. Elle rassembla ses affaires sous l'œil quelque peu inquiet de cette dernière et quitta les lieux avant Eren. Tout ce qu’elle voulait, c’était mettre de la distance entre eux deux, s’éloigner de lui, rentrer chez elle se mettre à l'abri.
Alors qu'il réunissait ses dernières affaires, une main se posa lentement sur son épaule. Eren se figea. Il ne se retourna pas. Il n’en avait pas besoin. Il connaissait cette poigne, cette force.
— Rassure-moi… Ce n’est pas moi qui t’ai appris à être aussi clément avec les humains.
Eren ne répondit rien. Chaque muscle de son corps s’était tendu. Il sentait son coeur battre trop vite dans sa poitrine. Il s’efforçait de respirer normalement, mais l’angoisse lui mordait les côtes.
— Tu ne lui a pas pris une once de son énergie, reprit l’homme derrière lui avec un calme cruel, Tu sais ce que ça veut dire, n’est-ce pas ? Tu faiblis. Tu oublies ce que c’est.
Un silence. Puis la voix se fit plus dure, plus froide, plus tranchante.
— J’aurais dû m’en douter. Te laisser errer seul dans le monde humain, poursuivre ta vie… quelle idée stupide. Regarde où ça nous mène.
Eren sentit les ongles de l’homme s’enfoncer légèrement dans son épaule. Pas assez pour lui faire mal. Juste assez pour lui rappeler qu’il pouvait.
— Tu vas devoir choisir, Eren. Et vite. Tu ne peux pas aller contre ta nature éternellement. Pas sans conséquences.
Il y eut un léger soupir, presque amusé.
— Comme tu sembles incapable de t’en prendre à cette gamine…. Tu ne veux quand même pas que je sois obligé de rendre visite à ta cousine pour que tu réagisses ?
Eren ferma les yeux, gardant le silence. Il serrait ses dents si fort qu’un tremblement naquit dans sa mâchoire.
— C’est toi qui vois, Eren, conclut l’homme d’une voix douce, réfléchis et ce soir, à 20 heures, nous en reparlerons chez toi.
Puis la main se retira. Eren attendit quelques secondes avant de se permettre de respirer à nouveau. Il n’eut pas besoin de regarder autour de lui pour savoir qu’il était à nouveau seul dans cette bibliothèque.
Lorsqu’elle arriva à l’arrêt de bus, Arinna s’arrêta net. Eren était déjà là.
Les bras croisés, adossé à l'abribus, un pied sur le panneau publicitaire. Son regard planté dans le sien, un sourire en coin. Trop sûr de lui. Trop arrogant. Une attitude qui n’avait rien à voir avec le garçon distant qu’elle venait de laisser dans la bibliothèque. Mais après tout, Eren n’était pas à son premier revirement de comportement.
La respiration d'Arinna se fit instantanément plus courte alors qu’elle serrait ses mains autour de son sac à bandoulière, comme si elle pouvait s’en servir de bouclier.
— Détends-toi ma belle, je ne vais pas t’agresser en pleine rue, lança-t-il d’une voix douce, presque moqueuse.
Elle resta figée. Il y avait quelque chose de faux dans sa façon de parler. Ce sourire forcé, cette assurance soudaine… Tout sonnait étrangement. Trop bien huilé. Trop joué.
— Tu veux des explications j’imagine ? continua Eren, un large sourire dérangeant, presque carnassier.
— Qu’est-ce que tu me veux maintenant ?
À peine avait-elle terminé sa phrase qu’il n’était plus à sa place. Il se tenait à quelques centimètres d’elle, apparu là comme un mirage. Sans un bruit. Arinna eut un mouvement de recul, le souffle coupé.
— Tu ne rêves pas princesse. Tout ce que tu vis est réel, dit-il d’une voix doucereuse, Tu veux que tout cela s’arrête ? Viens me retrouver chez moi ce soir, soit une gentille fille et tu auras tes réponses.
Eren marqua une pause, levant la tête un instant pour perdre son regard derrière elle avant de continuer.
— Ce soir, vingt heures, finit-il.
Il s’écarta d’elle et lui adressa un sourire charmeur. Dans un geste téméraire, Arinna lui saisit le poignet du bout de ses doigts. Un frisson glacé remonta le long de son bras. Elle plongea ses yeux verts dans les siens, cherchant quelque chose dans son regard. Mais rien ne se produisit. Pas d’étincelle, pas de vague d’émotion. Rien. Juste le vide. Elle laissa alors sa main glisser et se recula d’un pas à son tour.
— Ton adresse ? souffla-t-elle.
— Avenue du docteur Martin, numéro 25, lança-t-il avant de s’éloigner avec cet insupportable sourire arrogant sur ses lèvres.
Arinna le regarda sans rien ajouter. Elle resta immobile bien après qu’il soit parti. Il n’avait pas déménagé, avait-il oublié qu’elle était déjà venue chez lui.
Que se passait-il ? Elle sentait que c’était une très mauvaise idée de s’y rendre mais c’était l’occasion rêvée pour obtenir des réponses aux questions qu’elle se posait.
C’était surtout de la folie de s’y rendre après ce qu’il venait de se passer. Arinna n’était pas dingue, la violence de l’agression qu’elle venait de subir restait bien présente à son esprit. Si elle avait eu de la chance dans la forêt et s’en était sortie sans trop de perte, elle avait bien cru voir son heure arriver quelques instants plus tôt. Ses pensées restaient paralysées par l’incompréhension qui l’agitait. Elle revoyait ce dernier échange en boucle.
Huit ans qu’ils ne s’étaient pas adressé un seul mot, un seul regard. Et en moins d’une semaine il était revenu à la charge dans sa vie. Si a une époque elle avait pu s’imaginer le connaître par coeur, aujourd’hui il était un inconnu aux réactions imprévisibles. Elle ne reconnaissait pas le petit garçon de son enfance, mais après tout, cela faisait huit ans qu’il avait disparu derrière son masque. L’enfant qu’elle avait connu avait disparu, remplacé par un inconnu… ou pire.
Un klaxon la fit sursauter.
— Alors, vous montez ? l’interpella le conducteur appuyé à moitié hors de son siège.
Arinna cligna des yeux, reprit une inspiration tremblante et se précipita dans le bus sans un mot.

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