Chapitre 12 : chaos intérieur

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Après quinze jours passés dans le calme pesant de la campagne, Xander sentait la tension monter chez son amie. Elle tournait en rond dans la maison comme une lionne en cage, chaque mouvement trahissant son agacement et sa nervosité. Son humeur s’assombrissait de jour en jour, ses gestes devenaient brusques, son ton plus sec. Il la reconnaissait à peine. Il savait que le confinement, même sous prétexte de protection, pesait sur elle.

— Je veux partir, déclara-t-elle d’une voix ferme. Accompagner Ambroise. Retrouver ma mère et ma sœur. Je suis prête.

— Ce serait te mettre en danger à ton tour, répliqua Ambroise avec calme. Et je ne peux pas te le permettre.

— Xander m’avait dit que je pourrais partir quand je le souhaiterais. Eh bien je le souhaite ! Je pars, lâcha-t-elle, plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu.

Xander, debout non loin, écarquilla les yeux, pris au dépourvu par sa brusquerie. Un frisson d’inquiétude lui parcourut l’échine. Ce n’était pas une colère d’adolescente capricieuse : c’était sourd, primitif, comme un volcan trop longtemps contenu. Depuis quelques jours, il avait remarqué, cette énergie brute qu’elle n’arrivait plus à canaliser, cette tension permanente. Mais à trop vouloir la contenir, ils avaient peut-être mis en péril ce fragile équilibre qu’elle maintenait instinctivement jusque-là. Et maintenant, il voyait la tempête se lever devant lui.

Arinna fronça les sourcils. Xander vit les ondes sombres qui irradiaient d’elle, comme une menace que seul lui pouvait percevoir. Il fit un pas vers son amie, tendant sa main, cherchant à garder le contact.

— Ça va aller, Arinna… Détends toi.

Il vit son corps se raidir, sa respiration s’accélérer. Son instinct lui criait que ça allait mal finir.

Ambroise lança un regard interrogateur à son fils.

— Elle perd pied papa.

Et avant que Ambroise n’ait le temps de réagir, la mutation commença. La peau d’Arinna se couvrit de lignes sombres, ses veines s’illuminèrent d’une lueur écarlate. Ses ongles devinrent des griffes, ses iris se fendirent comme ceux d’un prédateur. Sa chevelure rousse sembla s’embraser. Elle poussa alors un cri de rage, déversant une vague d’énergie brute autour d’elle. Un vent soudain, chargé de poussière et d’électricité, balaya la pièce comme un souffle de tempête. Les verres vibrèrent sur la table, la porte claqua contre le mur. Xander se figea, bras levé devant lui comme pour contenir une bourrasque invisible.

— Arinna ! cria-t-il.

Rien ne semblait l’atteindre. Elle n'était plus tout à fait là. Quelque chose de plus ancien, de plus primal, prenait le dessus. Xander observa, fasciné et terrifié, son dos se cambrer, sa silhouette s’étirer imperceptiblement, comme si sa chair refusait désormais ses limites humaines. Les contours de ses omoplates vibraient, presque en transparence, des ailes sombres cherchaient à naître. Les flux incandescents qui serpentaient le long de ses bras, la chaleur démentielle qui émanait de sa poitrine. Il y avait de la douleur dans cette mutation. De la peur aussi. Arinna luttait encore. Xander le sentait.

Alors, lentement, il s'approcha, voyant chaque pulsation de cette énergie sombre soulever l’air autour d’elle.

— C’est moi, Arinna. Regarde-moi.

Il vit quelque chose changer. Ses yeux, malgré tout, se tournèrent vers lui. Une larme, fine et incandescente, coula sur sa joue. Et Xander sut qu’il fallait rester. Qu’il devait être son ancrage, le point fixe dans ce chaos.

— Tu n'es pas seule. Je suis là.

Puis, d’un coup, tout se brisa.

Arinna poussa un hurlement qui fendit l’air, un cri de douleur, de frustration, de trop plein. L’énergie accumulée explosa en une onde violente qui fit chanceler les meubles et projeta Xander en arrière.

Quand la poussière retomba, elle était là, à genoux, haletante, les doigts agrippant le sol. Sa peau fumait légèrement. Son dos se soulevait de spasmes. Humaine.

Xander revint vers elle sans hésiter un instant. Il s’agenouilla à côté d’elle, tendit la main, effleura la sienne. Elle ne la repoussa pas et se laissa aller contre lui, s'effondrant dans ses bras. Les yeux clos, elle laissa la fatigue prendre le dessus. Ambroise s’avança prudemment posa ses mains sur les épaules de la jeune fille, s’assurant qu’il n’y avait ni blessures ni séquelles.

Doucement, Xander la porta jusqu’à son lit et la couvrit. Il resta un instant immobile, écoutant la respiration paisible d’Arinna. Elle dormait. Pour de bon. Il inspira profondément, puis descendit retrouver son père et son frère.

La cuisine portait encore les traces du chaos : une chaise renversée, une étagère fendue, quelques assiettes brisées. Siméon balayait les morceaux de porcelaine en silence. Ambroise, debout près de la fenêtre entrouverte, semblait perdu dans ses pensées.

— Alors ? demanda-t-il sans se retourner.

— Elle dort, dit Xander en s’adossant à l’encadrement de la porte. Elle était à bout.

Ambroise hocha la tête, le regard tourné vers l’obscurité du jardin.

— Mais elle a tenu. Elle s’est transformée… sans être endormie.

Siméon redressa la tête, sa brosse à la main.

— C’est la première fois, hein ? Avant, c’était pendant ses rêves. Des états de transe. Là, elle était lucide.

— Oui, répondit Xander. Et c’est ça qui m’inquiète.

— Ce sera plus dangereux, c’est certain, fit Ambroise pensif.

— Maintenant que la porte est ouverte… On ne pourra plus lui dire d’attendre, ou de freiner. Son corps sait le faire. Et son esprit commence à suivre.

Ambroise se tourna lentement vers Xander, le visage grave.

— Alors il faut qu’on change de stratégie.

— On l’aide ? demanda Siméon, Pour de vrai, cette fois ?

— Oui, confirma leur père. On arrête d’avoir peur de ce qu’elle est. Et on l’aide à comprendre. À maîtriser. Tant qu’elle ignorait, elle refoulait. Mais maintenant…

Il désigna d’un mouvement vague la pièce partiellement ravagée.

— Maintenant, elle est réveillée.

Xander s’approcha de la table, posant ses mains à plat sur le bois. Sa voix était presque étranglée par ce qu’il avait vu.

— Il va falloir qu’on structure tout ça. Qu’on mette en place un entraînement. Parce qu’elle… Elle est bien plus puissante que ce qu’on avait imaginé.

Il inspira profondément, cherchant ses mots.

—Je… Je l’ai vue. Son énergie… elle n’est pas seulement plus forte, elle … elle s’est incarnée. Elle a tout balayé ! C’est ça qui a tout fait voler en éclats… Je n’avais jamais vu ça… jamais.

Ambroise acquiesça d’un air sombre.

— On ne pourra pas tout faire seuls, ajouta le docteur, Il va falloir aller chercher de l’aide.

— Tu penses aux démons ? demanda Siméon.

— J’y pense, oui. Si ça doit se faire, alors autant qu’on s’y prépare.

Un silence lourd suivit, chacun perdu dans ses pensées. Aucun d’eux n’avait envie d’en arriver là mais ils avaient tous les trois conscience que les événements les dépassaient.

Le jour filtrait à peine à travers les rideaux quand Arinna ouvrit les yeux. La lumière était douce, tamisée. Elle mit quelques secondes à retrouver ses repères. Le drap froissé sous ses doigts. Le léger clapotis d’une goutte d’eau dans l’évier de la salle de bain voisine. Et surtout… le calme. Un calme inhabituel. Pas celui de la campagne. Celui de son propre corps.

Elle se redressa lentement dans son lit, ses muscles douloureux comme après une forte fièvre. Et alors, les souvenirs revinrent. L’explosion. La rage. Xander. Son cri. Sa peau qui s’était changée, ses yeux, ses mains… Le monde autour d’elle qui avait tremblé. Et puis ce vide après, cette chute intérieure, ce gouffre de fatigue qui l’avait aspirée toute entière. Elle se passa une main sur le visage. Sa paume était tiède, ses veines normales. Aucune lumière rougeoyante. Pas d’éclat surnaturel. Elle aurait pu croire à un cauchemar. Mais elle savait. Elle sentait. Quelque chose avait changé. Elle ne rêvait plus. Elle ne fuyait plus dans l’inconscient.

Le démon n’attendait plus la nuit.

Cette pensée tournait en boucle dans l’esprit d’Arinna.

Elle se redressa lentement, le drap glissant le long de ses épaules. La lumière matinale filtrait à peine à travers les rideaux tirés. Elle fixa la porte, sentant presque sa présence de l’autre côté. Il était là. Elle le savait.

Sa voix, plus fragile qu’elle ne l’aurait voulu, fendit le silence.

— Xander…

L’instant d’après, la poignée s’abaissa sans bruit. La porte s’ouvrit lentement, et Xander entra. Il avait les traits tirés d’une nuit sans sommeil, mais dans son regard brillait cette inquiétude douce, ce lien discret mais indéfectible.

Il ne dit rien. Il s’approcha simplement, et s’assit au bord du lit.

Arinna ne bougea pas. Elle le laissa faire, le regardant avec cette intensité inquiète, presque coupable. Alors, sans un mot, il ouvrit les bras. Elle n’hésita qu’un instant avant de s’y réfugier. Sa tête se posa contre son torse, et son souffle se calma. Un silence enveloppa la chambre. Xander referma les bras autour d’elle, comme pour l’ancrer dans le présent, comme pour contenir ce feu qu’il sentait encore frémir en elle. Il ferma les yeux un instant, le menton posé sur ses cheveux. Il aurait voulu que tout cela n’arrive jamais. Qu’elle reste loin de leur monde, protégée, ignorante, comme Danaé. Mais c’était trop tard. Elle était là, au cœur du chaos. Et il ne pouvait plus rien y faire… sinon rester.

— Je suis désolée, murmura-t-elle contre lui.

— Tu n’as pas à l’être, répondit-il. Tu tiens bon. Et tu avances.

Il la sentit frémir légèrement.

— J’ai peur de ne plus savoir qui je suis, parfois.

— Alors laisse-moi t’aider à le redécouvrir. Ensemble.

Il resserra un peu plus ses bras autour d’elle, posant son menton sur le sommet de sa tête. Ils restèrent ainsi encore quelques minutes, suspendus entre silence et apaisement. Puis, Arinna releva doucement la tête.

— Je deviens… un démon ?

— Tu l’as toujours été.

— Je dois te parler de quelque chose Xander. Cela fait plusieurs semaines que je fais un rêve. Un rêve dans lequel j’ai les mêmes sensations qu’hier soir…

— Je sais, Arinna. Ce n’est pas un rêve.

Il baissa un instant le regard, cherchant les bons mots.

— Tu te transformes lorsque ton conscient ne maitrise plus rien. Ta forme démoniaque prend le dessus. On a toujours veillé sur toi. A chacune de tes transformations on était là.

Arinna recula, se séparant de son ami. Ainsi il savait depuis longtemps ce qu’elle était et il ne lui avait rien dit. Un éclat de contrariété s’anima au fond de ses yeux. Mais pouvait-elle vraiment lui en vouloir ?

— C’est plus compliqué que ce qu’il n’y paraît Arinna. Je m’en suis remis à nos parents, aux décisions de ta mère notamment.

Le silence s’installa un instant entre eux, plus lourd, plus chargé. Arinna détourna les yeux, la mâchoire serrée.

— Tu aurais dû me le dire, murmura-t-elle. J’aurais préféré savoir… plutôt que de me croire folle.

Xander s’accouda sur ses genoux, passant une main dans ses cheveux.

— Je sais. J’aurais dû. Mais tu étais fragile, perdue. Et ces moments nocturnes… ils semblaient te soulager, t’apaiser. Alors ta mère a demandé qu’on ne t’en parle pas, pas tout de suite. Elle disait que tu comprendras quand tu serais prête. Elle voulait te laisser terminer le lycée. On voulait te protéger. J’ai cru que c’était le mieux.

Arinna serra les draps entre ses doigts, la gorge nouée.

— Me protéger… ou me contrôler ?

Il releva les yeux vers elle, douloureusement sincère.

— Te protéger de toi-même. Pas de qui tu es… mais de ce que tu pourrais devenir si tu perdais pied. Et c’est ce qui est arrivé hier, non ? Tu as senti ce que ça fait, quand tu n’as plus aucune barrière.

Elle hocha la tête lentement, repensant à la vague d’énergie, aux veines incandescentes, à la voix gutturale qu’elle n’avait pas reconnue comme sienne.

— Tu as eu peur de moi ? demanda-elle à mi-voix.

Xander resta immobile, puis secoua doucement la tête.

— Non. J’ai eu peur pour toi. Il y a une différence.

— Et ma sœur ? Iris… Elle est comme moi ?

Xander inspira profondément. Son regard se perdit un instant, ailleurs — comme s’il voyait son visage. Une douleur fugace passa sur ses traits, imperceptible mais réelle.

— Non. Elle est différente.

Arinna plissa les yeux.

— Tu l’aimes bien, hein ?

Il ne répondit pas tout de suite. Une ombre traversa son regard, mêlée d’un léger sourire triste.

— Elle est… importante pour moi.

— Tu ne penses pas que tu devrais lui dire ?

— Non. Et ce n’est pas le moment.

— Parce que tu crois qu’on n’a pas assez de secrets comme ça ?

Xander haussa les épaules, évitant son regard cette fois.

— Certains sentiments sont plus faciles à taire qu’à affronter, souffla-t-il.

Un silence retomba. Arinna l’observait, soudain un peu moins dure, un peu plus curieuse. Elle n’avait jamais vraiment vu Xander aussi vulnérable.

— Elle n’est pas comme moi, répéta-t-elle, mais plus doucement.

— Non. Et elle n’est pas comme les autres non plus.

Un silence s’installa, chargé de tout ce qui n’était pas dit. Xander jouait machinalement avec une couture de sa manche, le regard rivé à un point imaginaire sur le sol. Arinna, adossée à l’oreiller, observait la lueur tamisée qui filtrait entre les rideaux.

Elle inspira lentement.

— Il faut qu’on avance, murmura-t-elle. Je ne peux pas rester enfermée ici à me demander qui je suis.

Xander releva enfin les yeux vers elle.

— Alors on avance. Mais ensemble. Pas à pas.

Un coup bref à la porte les interrompit. La voix grave d’Ambroise franchit la cloison.

— Tout va bien ? demanda-t-il d’une voix teintée d’inquiétude.

— Oui P’pa. Arinna se réveille.

— On vous attend pour le petit déjeuner.

Arinna et Xander échangèrent un regard. La parenthèse se refermait. L’instant de doute, d’intimité, s’effaçait déjà, balayé par le retour du réel. Elle hocha la tête, se redressa.

— On va y arriver, souffla-t-elle pour elle même.

Et sans un mot de plus, elle suivit Xander hors de la chambre.

Le terrain derrière la maison s’étendait en pente douce, encadré par les arbres aux feuillages encore humides de rosée. Ambroise et Xander la regardaient depuis le bord du cercle tracé à la craie, prêts à intervenir.

— Arinna, aujourd’hui, tu ne vas pas simplement te transformer. Tu vas apprendre à garder le contrôle, expliqua Ambroise en s’approchant.

Elle sentit la tension monter dans son corps, la colère sourde qui bouillonnait sous la surface. Mais cette fois, elle voulait la dompter.

— Commence par te concentrer sur ta respiration, lui conseilla Ambroise. Inspire lentement. Chaque inspiration doit calmer la flamme, pas l’attiser.

Arinna ferma les yeux, inspira profondément. Le feu intérieur grondait encore, mais elle laissa la colère s’éloigner, comme une vague qui se retirait doucement.

— A présent, ressent cette énergie que tu contiens au fond de toi. Laisse la circuler dans tes veines. Mais n’oublies pas, c’est toi qui la contrôle et non l’inverse.

Arinna hocha la tête. Elle voyait parfaitement de quoi il parlait. Cela faisait des semaines qu'elle sentait ce brasier intérieur enfler. Chaque émotion venait le faire grossir jusqu’au point de rupture qu’elle avait atteint la veille au soir. Mais la contrôler était une toute autre affaire. Comment faire ? Comment laisser cette énergie s’insuffler dans chaque fibre de son être sans se laisser submerger ? Arinna tenta de relâcher peu à peu sa prise, mais un torrent de puissance jaillit soudain, la déséquilibrant. Ses veines, notamment sur son bras gauche, s’illuminèrent d’un rouge incandescent. Sous la force de cette onde, elle vacilla puis s’effondra sur l’herbe humide.

La lueur écarlate reflua lentement, laissant son bras redevenir normal, presque fragile. Xander voulut se précipiter à ses côtés, mais Ambroise le retint d’un geste ferme.

— Tu as le contrôle, Arinna. Ce pouvoir t’appartient, c’est ton corps, ta force.

Arinna resta un instant immobile, le souffle court, ses mains serrées en poings contre la terre fraîche. Puis, doucement, elle se redressa, les yeux brillants d’une résolution nouvelle.

— Je peux le faire, murmura-t-elle, plus à elle-même qu’à quiconque.

— C’est exactement ça, répondit Ambroise. Tu ne cherches pas à dompter un ennemi extérieur, mais à t’apprivoiser toi-même.

Le regard d’Arinna se durcit alors qu’elle renouait avec ce feu intérieur. Cette fois, quand elle ouvrit la vanne, elle resta bien ancrée, solide face à la force qui s’échappait d’elle.

Puis, d’un mouvement fluide, elle sentit son corps se métamorphoser. Sa peau s’assombrit, ses ongles s’allongèrent, mais son esprit resta clair.

— Bien, murmura Xander, tu contrôles. Ne laisse pas la peur ou la rage guider ta transformation.

La voix douce et rassurante de Xander la ramenait sans cesse à l’équilibre. C'était sa ligne de survie.

Mais soudain, un éclat de doute traversa son esprit. Était-elle capable de contenir toute cette énergie, n’allait-elle pas céder face à tant de pouvoir ? Et si elle provoquait une nouvelle onde de choc plus dévastatrice que la veille ? Sa forme vacilla, les lignes sombres sur sa peau ondulèrent dangereusement.

— Non, reprends le contrôle ! l’interpella Ambroise, d’une voix calme mais autoritaire.

Arinna se redressa, serrant les dents. Elle rassembla sa volonté, recentra son souffle, et lentement, les ombres se figèrent, la flamme intérieure s’apaisa.

Elle rouvrit les yeux, son regard brûlant d’une nouvelle force.

— Tu vois ? Ce n’est pas la transformation qui est dangereuse, c’est le chaos intérieur. Et tu es capable de le maîtriser, assura Xander.

Arinna hocha la tête, le souffle encore un peu court. Elle regarda ses bras, parcourus de ses veines rougeoyantes. C’était elle ça ? Devant son étonnement, Xander esquissa un sourire. Il questionna son père du regard avant de se permettre de s’avancer vers son amie.

— T’as beaucoup de style Arinna ! lança Xander avec un sourire en coin. Le prof de sport n’aurait jamais osé critiquer ta performance en athlé s’il t’avait vue comme ça.

Arinna sourit. Rassurée et apaisée par la présence de Xander à ses côtés.

Alors Xander changea à son tour. Sa peau vira au gris cendré, parcourue de veines bleues nuit. Deux ailes jaillirent dans un bruit de tissu déchiré. Il resta immobile, le regard posé sur elle, incertain. Allait-elle fuir ? Allait-elle le rejeter ? Il redoutait encore sa réaction.

Arinna eut d’abord un mouvement de recul, impressionnée par la forme démoniaque de Xander mais bien vite elle tacha de mettre de côté sa surprise, se répétant plusieurs fois que c’était son ami, que c’était Xander, et qu’elle ne risquait rien. Alors, elle fit un pas vers lui, prête à le suivre.

Et l’un à la suite de l’autre ils s'élancèrent dans les bois pour découvrir ces sensations nouvelles. Chaque pas la faisait vibrer d’une énergie puissante. Ses jambes semblaient taillées pour bondir, ses poumons s’emplissaient d’un souffle plus vaste. C'était mieux que dans ses rêves. Mieux que dans ses échappées nocturnes où tout semblait flou, irréel. Là, tout était net, concret. L’odeur de la sève, le vent qui sifflait à ses oreilles, la morsure délicieuse du froid sur sa peau. Elle faisait de son mieux pour suivre Xander, concentrée sur ses appuis, sur ce nouveau corps qui répondait à ses pensées sans hésiter. Ils bondissaient d’arbre en arbre, glissant entre les branches avec une aisance surnaturelle. Un rire lui échappa, un éclat sauvage, joyeux, incontrôlé. Pour la première fois depuis des semaines, elle ne pensait plus. Elle vivait. Xander jeta un regard en arrière, rassuré de voir son amie aussi sereine.

Lorsqu’ils cessèrent leur course folle, Xander se redressa sans effort. Arinna, elle, s’effondra dans l’herbe, haletante. Toute l’énergie reflua sans qu’elle ne puisse la retenir. Elle redevenait humaine.

— Pour une première, t’étais bluffante Arinna, lança joyeusement Xander en reprenant lui aussi sa forme humaine.

Elle eut un sourire fatigué, les joues rosies par l’effort.

— Mais… pourquoi j’avais pas les ailes, moi ?

— Chaque chose en son temps, répondit-il en s’asseyant à côté d’elle. À force de te transformer, tu deviendras plus forte. Ta forme évoluera, elle aussi. Tes ailes pousseront quand tu seras prête.

Arinna accepta silencieusement. Quelle belle parenthèse. Son esprit, encore chargé d’adrénaline, lui paraissait étonnamment clair. Dégagé. Et maintenant qu’un peu d’ordre s’était fait dans ses idées, une évidence s’imposait à elle. Elle savait ce qu’elle voulait. Et rien, ni le danger, ni les mises en garde, ne pourrait l’arrêter.

— Non Arinna, c’est hors de question, trancha Ambroise.

Elle leva les yeux au ciel, le souffle court, les mains sur les hanches, encore vibrante de sa course. Dès que l’idée avait germé, elle avait foncé à travers bois, Xander à ses trousses, jusqu’à la maison. À peine avait-elle retrouvé Ambroise qu’elle lui avait exposé son projet.

— Retourner chez toi c’est te jeter dans la gueule du loup. C’est beaucoup trop dangereux, insista-t-il d’un ton ferme.

— Je ne vous demande que quelques minutes, dix même pas. Juste de quoi récupérer quelques affaires. Quinze jours que je porte les vêtements de Xander, tu m’étonnes que j’ai du mal à comprendre qui je suis. On ne s’attardera pas.

Le visage d’Ambroise se ferma encore davantage. S’il avait eu affaire à l’un de ses fils, il aurait déjà tranché d’un revers de la main. Mais avec Arinna… c’était plus compliqué. Il voyait bien cette étincelle dans son regard, cette fièvre qu’il ne lui connaissait pas. Et ça le mettait mal à l’aise. Il lui était difficile d’exercer la même autorité sur la jeune fille.

— Tu auras dix minutes, pas une de plus. Nous irons demain à l’aube.

Un sourire illumina le visage de la demoiselle. Elle se retint de sauter au cou du docteur. Elle aurait dû se sentir soulagée. Mais ce qu’elle ressentait, c’était une impatience étrange. Une tension sourde qui n’avait rien à voir avec ses affaires ou ses carnets.
Comme si… quelqu’un pouvait encore l’y attendre. Elle baissa les yeux, chassa cette pensée d’un geste agacé. C’était absurde. Et pourtant, son cœur accéléra.

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