Prologue

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 Le putride flotte dans l’air. L’eau remue sous l’ébat des batraciens. Un coassement résonne, couvert par le chant des oiseaux.

 Tout doucement, mes jambes s’animent, creusent la boue d’un geste flasque. Pendus et amorphes, mes bras s’éveillent, balayent les cheveux de mon visage.

 Le crépuscule. Le croissant de lune. Les eaux croupies. Le marais qui m’endigue.

 Un essaim passe sous mon nez sans m’accorder la moindre attention. Pour eux, je ne suis pas bonne à manger. Je suis répugnante. Je suis toxique.

Combien de temps s’est écoulé depuis ce jour ?

Mes membres brassent la terre où git bon nombre de souvenirs. Des os. Des lambeaux de chairs. Il fut un temps où je côtoyais leurs propriétaires.

 Ma marche s’arrête, la cheville saisie. Je tourne la tête, toisant d’un regard fatigué le corps qui m’empoigne.

Comment peut-il bouger ?

D’un geste sec, j’élance la jambe, déchirant l’avant-bras du macchabé. Silencieusement, la dépouille faiblit, sombrant dans la tourbe. Ma seule compagnie…

Désormais, je vais devoir l’abandonner.

  • Adieu... Billy, murmuré-je en reprenant la route.

La boue s’entasse sur mes pieds. Les mouvements ralentis, j’élève le limon dans mon sillage. La place est à quelques pas, je dois l’atteindre et commencer la cérémonie.

Mon départ.

 Je pose mes orteils sur la roche. Le souffle court, un vertige m’assaille ; le marais tangue. Je trébuche et chute sur les dalles d’un ancien village. Je me relève, les muscles secoués par ma faiblesse. Un gémissement s’évade de mes lèvres ; enfin, je suis arrivée.

 Mes pas reprennent, m’amenant jusqu’à l’autel ; les récoltes de la veille sont entreposées. Je saisis deux morceaux de silex, mes mains se croisent, les roches se frictionnent. Une étincelle s’exprime, aussitôt nourrie par les brindilles. Une fumée s’élève sous la marmite, j’y déverse de l’eau. Le liquide frémit, éructant les effluves d’anciens habitants.

Ça y est, la préparation peut commencer.

Je plonge la main dans un des sacs, une poignée de cosmos repose sur mes doigts. Je les jette au feu. Les flammes grossissent, mon cœur se serre.

Après tout ce temps, j’ai enfin compris.

J’ai fini par trouver la solution.

Ma main fouille l’une des caisses et attrape une scabieuse. Lentement, j’arrache ses feuilles. Les membres se noient, absorbés par l’essence du marais.

 J’empoigne un bouquet de cyprès, dans lequel sévit une ciguë. Eux aussi, coulent avec abandon ; déversant leurs trésors d’eau et de soleil.

Ce n’est pas la méthode la plus optimale.

Mais elle me rendra heureuse, j’en suis sûre.

Je remue la préparation, et ajoute des feuilles d’if. Encore et encore, jusqu’à ce qu’on ne voie plus qu’elles. J’enserre ma cuillère, la souffrance s’exprime à travers mes lèvres.

Depuis combien de temps suis-je ici ?

Je ne veux pas y penser.

Billy… peut-il encore bouger ?

Si oui, sera-t-il capable de m’arrêter ?

Oh non… il n’y arrivera pas.

Car cette préparation sera ma victoire.

Je souffle sur les braises avant d’incorporer de la spirée. Une énergie soudaine secoue mes membres.

Dans ce marais, je suis seule.

Je l’ai toujours été.

Quelle différence entre aujourd’hui et maintenant,

si ce n’est l’absence d’illusion ?

Le seul moment où j’étais heureuse fut à cette époque.

Cette famille, mon véritable clan.

C’était eux, la source de ma joie.

Mon poignet guide la spatule. De mon autre main, je lâche du seringa.

C'est bien là mon seul regret.

Si je pouvais me rappeler d’une chose,

je voudrais que ce soit d’eux.

Cependant, l’ultime liberté a un coût.

Si je veux tuer Thérèse Dokka, je n’ai pas le choix.

D’un geste désespéré, j’attrape le sac d’asphodèles et lance son contenu dans la marmite. Je touille avec force, hurlant de désespoir.

Pardonnez-moi, Sorelle, Madden.

Je ne pourrai pas conserver votre mémoire.

Une odeur fleurie me chatouille les narines. J’éteins le brasier, prête à récolter la panacée.

Si seulement j’étais capable de vous rejoindre...

Je souffle sur la boisson avant d’y tremper mes lèvres. L’amertume pose son empreinte sur ma langue, le liquide se déverse au fond de ma gorge.

Au revoir.

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